Marie Gathon

Note pour plus tard : apprendre à mes enfants à survivre

Marie Gathon Journaliste Levif.be

Quand je pense au réchauffement climatique, à la perte de la biodiversité ou à la pollution plastique, il y a de bons jours et de mauvais jours.

Les bons jours, je suis remplie d’espoir. Je suis le genre de personne qui voit toujours le verre à moitié plein. Je pense à ces milliers de jeunes qui manifestent à travers le monde pour demander aux décideurs politiques des mesures concrètes pour le climat. Je me dis que ces jeunes sont formidables, qu’ils sont les décideurs de demain. Que grâce à eux, le monde sera meilleur.

Les bons jours, je crois en la science, en la technologie. Celle qui est utilisée à bon escient et pour le bien commun. Celle qui trouvera des solutions à la pollution. Celle qui nous permettra les déplacements sans polluer. Celle qui refera naitre les millions d’espèces déjà disparues, celle qui reconstruira les écosystèmes.

Les bons jours, je vois des gens bienveillants. Ceux qui se préoccupent de notre planète. Ceux qui jouent les colibris, inlassablement chaque jour, qui remplissent leur gourde d’eau, qui achètent des denrées en vrac, qui vont à la ferme le samedi. Je vois ce maraîcher, son grand sourire, qui vend ses légumes bio à prix raisonnables, parce que « le bon devrait être accessible à tous ».

Ces jours-là, je regarde mes enfants et je me dis qu’ils mourront de vieillesse dans leur lit après avoir vécu une belle et longue vie.

Et puis il y a les mauvais jours. Ceux qui deviennent de plus en plus nombreux. Les jours où les mauvaises nouvelles s’agglutinent sur ma rétine, tourbillonnent dans mon cerveau et font monter ma tension. En tant que journaliste, je ne suis pas gâtée. Difficile d’échapper à la sinistrose journalière : les Indiens qui meurent de soif, le permafrost qui a commencé à fondre 70 ans plus tôt que prévu, le plastique que l’on ingère chaque jour, la pollution de l’air qui tue chaque année de plus en plus de monde.

Ces jours-là, des images d’apocalypse hantent mes pensées, tel un funeste destin auquel nous ne pourrons pas échapper. Je vois la guerre, je vois la famine, je vois la sécheresse, les épidémies. Des hommes, des femmes et des enfants obligés de lutter pour leur survie. Comme dans les pires films de fin du monde ou comme dans ces pays en voie de développement dont on entend parfois parler mais qui sont si loin de nos préoccupations. Sauf que cette réalité-là, elle va bientôt nous concerner puisqu’en 2019, personne ne semble prendre la véritable mesure de l’enjeu. L’unique question est : combien de temps nous reste-t-il ? 10 ans ? 20 ans ? 30 ans ? Personne ne sait vraiment.

Alors je me prépare. Mentalement du moins. Je commence à échafauder des plans. « Il faut que j’achète des livres sur la permaculture ». Pour apprendre à cultiver mes légumes, puis pour apprendre à mes enfants à le faire, car tôt ou tard, ils en auront besoin. « Il faut que j’achète des livres sur les plantes médicinales », pour quand nous n’aurons plus accès à la médecine. « Et si je faisais des réserves de nourriture ? Les boites de conserve ça tient combien de temps, en fait ? » Je note mentalement : regarder la prochaine fois que j’irai faire des courses. « Combien de temps serons-nous capables de survivre si l’on doit subvenir à nos propres besoins ? » J’imagine mes enfants, maigres et amorphes. Ils ont grandi, mais dans leurs yeux, je ne vois plus de malice. Ils ont faim, ils ont peur et je n’ai pas de quoi les apaiser. « Est-ce que je vais voir mes enfants mourir de faim ? »

« Maman ! Mamaaaan ! MA-MAN !! » La voix exaspérée de ma fille de 3 ans et demi me sort de mes pensées morbides et me tend une pâquerette. Son grand sourire et ses beaux yeux bleus qui pétillent. « Merci ma chérie », lui dis-je, en me forçant à lui sourire et à ravaler mes larmes d’angoisse.

Je la regarde s’éloigner en sautillant, admirant cette belle naïveté. C’est tellement beau l’enfance, pourvu qu’elle dure toujours. « Ai-je bien fait de la mettre au monde, elle et son frère ? Vont-ils nous en vouloir un jour ? »

En attendant de savoir de quoi sera fait demain, je fais mon travail de petit colibri et je m’accroche aux bons jours. Heureusement, il y en a encore. Et quand les obligations du quotidien ne sont pas trop pesantes, je chéris les minutes passées avec eux. Même lorsqu’elle hurle parce qu’elle voulait « le gobelet BLEEEUUUUU », ou quand il crache sa troisième cuillère de purée. Parce que dans un petit coin de ma tête, il reste toujours cette pensée qui se rappelle à moi : « profite de chaque minute, car tôt au tard, la vie ne sera plus aussi douce ».

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