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Marée noire au Mexique: une amende monstrueuse pour BP, vraiment ?

Muriel Lefevre

Il y a un peu plus de cinq ans, la plateforme pétrolière DeepWater Horizon explosait provoquant une marée noire dans le golfe du Mexique. Aujourd’hui BP reçoit la note avec une amende de 20.8 milliards de dollars. Une amende monstrueuse ? Peut-être pas tant que cela.

Lorsque, le 20 avril 2010, la plateforme au-dessus du puits Macondo explose, le monde retient son souffle. Malgré de multiples tentatives pour bloquer le puits, celui-ci continue à fuir plusieurs mois. Durant 87 jours, près de 757 millions de litres de pétrole, soit 5 millions de barils se sont écoulés dans les flots. Cette catastrophe reste à ce jour la plus grosse marée noire de l’histoire des États-Unis et causera officiellement la mort de 11 personnes.


Deepwater Horizon sur le point de sombrée… par lovy1966

Les effets de cette marée noire sont encore au centre de vifs débats, même si de plus en plus de voix s’élèvent pour relativiser les dommages. Le fait que cette question pèse des milliards de dollars ne doit pas y être totalement étranger.

BP écope d’une amende de 20.8 milliards de dollars

Suite à la procédure civile engagée après l’explosion de la plateforme, le juge du tribunal fédéral américain de La Nouvelle-Orléans, Carl Barbier, vient de déterminer le montant de l’amende infligée au géant pétrolier BP a annoncé la ministre de la Justice. Si elle est salée, c’est aussi une décision qui le fruit d’un long cheminement juridique. En 2014, ce même juge avait déjà estimé que la compagnie avait fait preuve de « grave négligence » en ne s’assurant pas que le puits était sûr. Or la loi américaine sur l’eau, le Clean Water Act, prévoit une amende de 4 300 dollars par baril (soit 159 litres) déversé en cas de négligence grave ou d’acte délibéré entraînant une forte pollution selon Le Monde. Le 15 janvier 2015, Carl Barbier statue que BP est responsable de la fuite de 3.19 millions de barils dans la mer sur la période allant d’avril à juin 2010.

Aujourd’hui la quatrième phase vient donc d’être cloturée avec l’annonce de cette amende record de 20.8 milliards de dollars par la ministre américaine de la Justice Loretta Lynch.

Une amende record , vraiment ?

Le groupe pétrolier britannique BP va finalement devoir payer 20,8 milliards de dollars, un record, pour mettre fin aux poursuites engagées par les autorités aux Etats-Unis après la marée noire de 2010 dans le golfe du Mexique. Si c’est un record, elle reste absorbable pour l’entreprise qui affichait pour 2014, 358 milliards de dollars de chiffre d’affaires ( 396 en 2013). Les profits s’élevant eux à 4 milliards de dollars ( en 2013 il s’élevait à un peu moins de 24 milliards). Une telle amende, si elle est douloureuse pour les investissements et les dividendes des actionnaires de BP, ne met donc pas en péril sa survie.

« Cette transaction historique est une réponse forte et adéquate au pire désastre environnemental de l’histoire américaine », a relevé lundi la ministre américaine de la Justice Loretta Lynch, lors d’une conférence de presse. « BP reçoit la punition qu’il mérite, tout en fournissant la compensation cruciale pour les dégâts qu’il a causés à l’environnement et à l’économie du golfe », a-t-elle ajouté.

Le 2 juillet, elle avait annoncé la conclusion d’un accord de principe au civil d’un montant de 18,7 milliards de dollars. La transaction finale, qui doit encore être validée par un juge fédéral, est notablement plus élevée car les coûts ont été affinés. Selon Mme Lynch, l’équivalent de plus de 3 millions de barils de pétrole se sont échappés et ont souillé plus de 2.000 kilomètres de littoral. Cet accord doit mettre fin aux poursuites intentées par l’Etat fédéral, par cinq Etats touchés (Alabama, Floride, Louisiane, Mississippi et Texas) et par des autorités locales. Selon Mme Lynch, il s’agit de la sanction pécuniaire la plus élevée de l’histoire des Etats-Unis jamais infligée à une seule société.

Elle inclut notamment 5,5 milliards de dollars pour violation de la loi sur la propreté de l’eau, soit la plus importante sanction civile dans l’histoire de la législation environnementale, a-t-elle relevé. BP va également verser 8,1 milliards au titre de la réparation des dégâts sur l’environnement — jusqu’à 700 millions supplémentaires si d’autres sont identifiés –, et 600 millions pour des réclamations diverses. Par ailleurs, le groupe britannique a conclu des accords distincts d’un total de 4,9 milliards avec les cinq Etats affectés, et d’un milliard avec plusieurs centaines d’entités administratives locales.

Soit 20,8 milliards de dollars au total.

« Avec cette transaction amiable, les autorités fédérales, des Etats et locales ainsi que des communautés de la région côtière du golfe auront les ressources pour effectuer des progrès importants vers la restauration des écosystèmes, des économies et des entreprises de la région », a assuré Mme Lynch.

Le groupe a déjà mis la main à la poche: lors de la présentation fin juillet de ses résultats pour le deuxième trimestre, il avait indiqué que sa facture totale pour cette catastrophe s’élevait à 54,6 milliards de dollars avant impôts. Mais avec une sanction civile inférieure, attendue à 18,7 milliards. Geoff Morrell, porte-parole de BP, a fait valoir que l’écart de 2,1 milliards avec la somme annoncée lundi « ne représente pas un nouvel accord ou de l’argent supplémentaire ». Selon lui, cela inclut simplement des dépenses déjà effectuées ou annoncées par le groupe. « Cet accord règle les différends judiciaires les plus importants perdurant après ce tragique accident, donnant à BP de la certitude en ce qui concerne ses obligations financières », a poursuivi M. Morrell.

Les opérations de secours au moment de la catastrophe lui avaient coûté 14 milliards. En 2013, il avait plaidé coupable à onze chefs d’accusation au pénal et acquitté une amende de 4,5 milliards de dollars. Le géant pétrolier avait mis en place un fond d’indemnisation abondé à hauteur de 20 milliards, dont plus de 13 milliards ont déjà été payés à des particuliers et des entreprises. Mais des actions judiciaires en nom collectif sont toujours en cours. Il a été en mesure de récupérer une partie de ces fonds auprès de ses partenaires (Halliburton, Transocean) dans l’exploitation de la plateforme accidentée.

On a retrouvé du pétrole au fond de la mer

3 à 5 % des hydrocarbures de la marée se serait déposé au fond de la mer, à environ 100 km au sud-est du delta du Mississippi et sur une surface couvrant 8 400 kilomètres carrés selon Le Point. Sur le long terme, cela pourrait se révéler problématique puisque le manque d’oxygène disponible à ces profondeurs ralentit le processus de décomposition et prolongera l’impact sur la faune. On constate par exemple que le thon souffre de malformations. Mais les différentes enquêtes sur le sujet sont encore peu nombreuses et chiches en informations. Le procès étant encore en cours, ce sont en effet des armes qui peuvent se révéler redoutables. Les autorités souhaitent donc garder la main mise sur ces informations le plus longtemps possible. Voire, si l’on en croit une organisation oeuvrant à la protection des oiseaux, le gouvernement a tendance à ne soutenir que les recherches faisant apparaître des dommages. « Lorsqu’une étude semble démontrer que BP n’a pas causé beaucoup de dégâts, il leur arrive d’y mettre fin », explique-t-elle dans le Courrier International. Selon elle, c’est une erreur, car les chercheurs peuvent laisser passer des problèmes qui ne sont pas immédiatement perceptibles.

Moins grave que l’Exxon Valdez

La marée noire du golfe du Mexique serait néanmoins moins grave que celle de l’Exxon Valdez en 1989, car les conditions climatiques seraient plus favorables. La température de l’eau y est plus chaude et une partie du pétrole serait consommée par des bactéries. Après l’accident de l’Exxon Valdez, quelque 30 000 carcasses d’oiseaux avaient été découvertes, alors que, dans le golfe du Mexique, on n’a retrouvé « que » 2 300 cadavres couverts de goudron. Par ailleurs, en vertu du Restore Act, une loi de 2012 sur la réhabilitation, 80 % des amendes payées par BP aux termes du Clean Water Act servent à la réhabilitation du golfe. De quoi, peut-être, rendre au Golfe son lustre d’antan. Selon un rapport de BP publié en mars 2015, le golfe du Mexique serait quoiqu’il arrive déjà retourné à son état d’avant.

Pour éviter que la nappe n’atteigne les côtes, BP a eu recours à un produit dispersant, le Corexit 9500A. Ce produit étale et affine la nappe ce qui favorise son évaporation, sa biodégradation et sa dissolution. Sauf qu’une étude américaine publiée début avril 2015 dans la revue Plos One montre que ce produit est toxique pour les voies respiratoires. De quoi réveiller les peurs de l’Exxon Valdez où, dès 2010, plus aucun des nettoyeurs volontaires n’était en vie si l’on en croit cet article du Business Insider. Leur espérance de vie ayant chutée à 59 ans.

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