© Belga

Le zoo, un acteur écologiste ?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les parcs zoologiques ont beaucoup évolué en un demi-siècle, sous la pression du public et des organisations de défense animale. Selon leurs responsables, ils jouent un rôle dans la sauvegarde des espèces menacées. Un argument contesté.

C’est la Mona Lisa de Pairi Daiza. « Baby P », le cinquième panda né en captivité en Europe. Depuis, les vidéos de l’ursidé diffusées partout connaissent un succès incomparable. Son arrivée, au printemps dernier, pourrait attirer, rien qu’en 2016, près de deux millions de visiteurs. Quelques semaines plus tôt, c’est Planckendael et le zoo d’Anvers qui se sont illustrés dans le carnet rose : un bonobo et un okapi y ont vu le jour. Ces naissances rapprochées permettent de conforter l’image des zoos. Longtemps comparés à des prisons, ils se transforment en maternités pour espèces en danger. L’enclos d’immersion, visant à reproduire l’écosystème par le décor, la végétation et les sons, s’est largement imposé. « Mais ça reste un décor de théâtre pour animaux captifs. Ce n’est pas un biotope naturel », souligne Michel Vandenbosch, président de l’association de défense animale Gaia. « Et l’hiver ou la nuit, les bêtes sont dans leurs cages. »

Durant l’époque d’extension coloniale, les pays européens exposaient fièrement les animaux exotiques rapportés de contrées lointaines. La capture des bêtes sauvages est alors meurtrière : pour un animal exposé, on en tuait une trentaine d’autres. Epoque révolue. Défenseurs et détracteurs sont unanimes : les parcs animaliers ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois. Mais un autre débat s’est installé. Et enfle : est-il moral d’enfermer des êtres que la science décrit comme nos cousins, proches ou éloignés ? Et dont beaucoup ont une sensibilité, des comportements complexes, l’instinct migratoire. Bref, comme l’évoquent certains experts : « Que dira-t-on dans cinquante ans de l’enfermement des animaux sauvages dans les zoos, qui conduit à leur dénaturation ? » Le niveau de tolérance à l’égard de la souffrance animale est en baisse et les zoos n’échappent plus à ce mouvement de fond.

Le basculement s’est opéré dans les années 1980, avec la prise de conscience de la problématique écologique. On commence à parler de la sixième extinction de masse des espèces : la première a eu lieu il y a 500 millions d’années ; la cinquième, il y a 65 millions d’années, a vu disparaître les dinosaures ; la sixième nous menace d’ici à moins d’un siècle et son principal responsable est l’extension de notre espèce.

Une convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) est ainsi signée en 1973, à Washington. Elle sonne le glas de captures sauvages en milieu naturel. Pour peupler leurs enclos d’animaux rares, les zoos doivent désormais compter sur leurs propres ressources. Beaucoup n’y parviendront pas. Mais d’autres y trouvent un second souffle. Et une nouvelle mission, devenue leur principale raison d’être : la sauvegarde des espèces menacées. En 1982, afin d’organiser la reproduction en captivité, les Américains conçoivent un logiciel permettant de gérer la génétique des populations captives. En 1985, les premiers programmes européens pour les espèces en danger (EEP) sont créés : on en compte aujourd’hui 360 environ, concernant autant d’espèces en danger de disparition. Entre les zoos qui participent à ces EEP s’organise le partage des animaux et des informations sous l’égide de l’Association européenne des zoos et des aquariums (EAZA), dont le zoo d’Anvers est l’un des membres fondateurs.

L’Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA) édicte les règles de conduite de cette nouvelle génération de zoos, qui réunit plus de 220 établissements. Le cahier de charges s’est par conséquent alourdi : programmes d’élevage et de réintroductions, recherches scientifiques, projets pédagogiques… Obligations institutionnalisées dans une directive européenne de 2005.

Mais dans les faits, sur les 2 500 espèces animales en danger critique d’extinction inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN), seule une faible proportion est hébergée dans les zoos. Une enquête, publiée dans Nature, et réalisée en 2007 auprès de 725 zoos dans 68 pays, montrait que 72 % des parcs zoologiques hébergeaient moins de 30 % d’espèces reconnues comme étant globalement en danger. Ainsi, par exemple, à Pairi Daiza : 729 espèces présentes, dont une quarantaine font l’objet d’un programme de conservation. Mais essentiellement des mammifères pour très peu d’amphibiens, la classe des animaux pourtant les plus menacés.

Reste que, chez nous, les programmes d’élevage européen constituent le socle de cette mission de sauvetage. Ils visent à maintenir, pour chaque espèce menacée, une population « de sécurité » d’au moins 200 individus. Plus de 300 zoos et aquariums d’une quarantaine de pays sont affiliés à ces EEP. Une fois par an, une conférence internationale réunit directeurs de zoos et coordinateurs pour organiser les échanges d’animaux, planifier la reproduction et veiller à la diversité génétique.

Le hic, c’est le risque de dérive génétique. Même constitués en réseaux, les zoos peinent à brasser et renouveler suffisamment leur réservoir génétique, processus pourtant indispensable pour conserver des lignées non consanguines. Des scientifiques américains notent que sur 95 EEP, 65 % n’atteindraient pas leur but, puisqu’ils comptabilisent des populations de moins de cent individus. Parmi ceux-là, 25 % ne disposent pas d’un stock génétique assez élevé permettant d’éviter une possible dérive génétique.

Euthanasie contestée

Autre écueil : les zoos sont devenus tellement experts en reproduction qu’un risque de surpopulation s’y présente. Les plans d’élevage concernent des espèces qu’il n’est pas encore possible de réintroduire dans leur milieu naturel, ce qui implique que les établissements gardent en captivité des populations « de sécurité » viables. Solutions pour gérer les « surplus » de leurs effectifs et lutter contre une dérive génétique : le contrôle des naissances (castration ou implants contraceptifs) et l’euthanasie. Selon l’EAZA, en 2014, de 3 000 à 5 000 animaux captifs ont été euthanasiés sans raison médicale. Ce fut le cas, en avril 2015, à Planckendael, avec l’euthanasie d’un oryx algazelle, espèce d’antilope éteinte dans la nature. Aucun établissement n’avait souhaité le récupérer. Depuis, le zoo d’Anvers et Planckendael se sont engagés dans une politique de « no kill » pour gérer leurs surplus. Une première en Europe. A Pairi Daiza, on affirme ne jamais recourir à la mise à mort.

L’impossible réintroduction ?

Une autre raison, avancée par ceux qui doutent que les parcs zoologiques jouent véritablement un rôle dans la sauvegarde des espèces menacées, est plus essentielle. Elle tient au but espéré des programmes de reproduction : la réintroduction de leurs descendants dans le milieu naturel. Il y a eu de belles réussites : l’oryx d’Arabie gambade ainsi à nouveau dans les plaines arides d’Arabie saoudite, d’Israël, d’Abou Dabi. Les putois à pieds noirs, le condor de Californie, le bison d’Europe ont eux aussi frôlé l’extinction avant d’être réintroduits dans leurs milieux naturels, avec un certain succès. Pareil pour le vautour noir, lâché à partir de Pairi Daiza, d’Anvers et de Planckendael notamment, avec des résultats remarquables. Mais c’est à peu près tout.

En fait, l’enthousiasme, réel, des parcs zoologiques bute contre un sérieux obstacle : on ne lâche pas des animaux nés en captivité qui ont perdu leurs aptitudes innées et qui n’ont jamais bénéficié des apprentissages des aînés. Au Brésil, une première réintroduction de tamarins lions s’est soldée par la mort du groupe de singes. En Chine, le panda Xiang Xiang est décédé moins d’un an après son retour à la nature…

Nombre de parcs zoologiques savent que, dans leur grande majorité, leurs pensionnaires sont condamnés à vivre en captivité. Dès lors, des actions de protection « in situ » se développent. Ainsi, depuis 1996, le zoo d’Anvers soutient un projet de développement durable pour protéger dans l’est du Cameroun les grands singes. Avec l’aide d’une équipe locale, des familles se voient proposer des sources de revenu alternatives, comme la plantation de cacao et l’apiculture. En contrepartie, elles s’engagent à ne pas chasser le chimpanzé et le gorille.

« La solution serait plutôt de construire des sanctuaires dans la nature », propose Michel Vandenbosch. De larges territoires protégés, libérés de toutes les pressions environnantes – en particulier des populations locales qui doivent être associées au projet et y trouver un intérêt. Il s’agit en fait de protéger toute la chaîne de la biodiversité.

Et quid du nombre d’espèces présentées dans les parcs animaliers, trop nombreuses selon les associations de défense animale ? Il faudrait les réduire, au profit de plus d’espace et d’une meilleure qualité de vie. Et renoncer, au profit d’espèces moins spectaculaires, mais écologiquement plus essentielles, à présenter tout ou partie du fameux « Big Five » – les plus populaires auprès du public : éléphant, rhinocéros, lion, léopard et ours – parce que leur captivité demeure très exigeante et entraînerait un taux de mortalité plus élevé.

Cette nouvelle métamorphose semble d’autant plus inévitable que les militants contre la détention d’animaux en cage donnent de plus en plus de la voix. Et que leurs arguments sont solides. « Les zoos ont toujours évolué sous la pression continue de l’opinion publique et des associations », rappelait lors d’une récente conférence Eric Baratay, spécialiste de l’histoire animale (1). « Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir si on ferme ou si on tolère les zoos. Il s’agit de les faire évoluer, vers une meilleure prise en compte des besoins et du comportement des animaux. »

(1) Zoos. Histoire des jardins zoologiques en Occident (XVIe-XXe siècle), par Eric Baratay et Elisabeth Hardouin-Fugier, éd. La Découverte, 1998, 294 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire