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Le glyphosate sur le banc des accusés, de San Francisco au Sri Lanka

Le Vif

Attaqué partout sur la planète, mais jusqu’ici rarement interdit ou condamné: après une décision historique de la justice américaine contre Monsanto, tour d’horizon des restrictions du glyphosate, substance de base du Roundup et désherbant le plus utilisé au monde.

Classé « cancérigène probable » depuis 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le glyphosate est utilisé sous diverses marques, la plus célèbre étant le Roundup fabriqué par le groupe américain Monsanto, qui appartient désormais au géant allemand de la chimie Bayer.

Etats-Unis

Un tribunal de San Francisco a condamné vendredi Monsanto à payer près de 290 millions de dollars de dommages pour ne pas avoir informé de la dangerosité de son herbicide Roundup à l’origine du cancer de Dewayne Johnson, une victoire pour ce jardinier américain qui espère un effet boule de neige.

Des milliers de procédures contre Monsanto sont en cours aux Etats-Unis, à des degrés divers d’avancement.

Le géant de l’agrochimie a répété que « la décision (de la justice américaine) ne change pas le fait que 800 études scientifiques et les conclusions de l’agence américaine de la protection de l’environnement (EPA), des instituts nationaux pour la santé et des autres autorités de régulation à travers le monde soutiennent que le glyphosate ne cause pas de cancer. »

Europe

Après deux ans de débat particulièrement houleux, fin 2017, les Etats membres de l’Union européenne (UE) ont renouvelé pour 5 ans la licence du glyphosate.

La Commission européenne, organe exécutif de l’Union, met en avant le feu vert de ses agences scientifique, l’Efsa (sécurité des aliments) et l’Echa (produits chimiques), qui n’ont pas classé la substance comme cancérigène.

Mais l’indépendance de l’Efsa a été mise en doute par des révélations de journaux selon lesquels son rapport comporterait des passages copiés/collés d’un document déposé en 2012 par Monsanto.

France

Le gouvernement français a promis en mai que le glyphosate serait interdit « dans ses principaux usages » d’ici 2021, et « pour tous les usages » d’ici cinq ans.

Suite à la découverte de glyphosate dans du miel, un syndicat apicole a porté plainte en juin dernier contre Bayer, à Lyon, où se trouve le siège français du géant allemand. Une enquête préliminaire pour « administration de substances nuisibles » a été ouverte, sans viser spécifiquement Bayer.

A l’automne 2017, un juge français, devant juger des défenseurs de l’environnement poursuivis pour avoir vandalisé des bidons contenant du glyphosate, a saisi la justice européenne sur la dangerosité de ce produit.

En 2009, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, avait condamné Monsanto à 15.000 euros d’amende pour « publicité mensongère », car le géant américain vantait le RoundUp comme « biodégradable ».

Argentine

Troisème producteur mondial de soja, derrière les Etats-Unis et le Brésil, l’Argentine consomme des quantités massives de glyphosate.

Dans certains plaines fertiles de la Pampa, le conflit est quotidien entre des habitants préoccupés et les producteurs agricoles, pour qui le produit est indispensable.

Sans législation nationale, les maires ont émis des arrêtés municipaux pour encadrer la fumigation. Ces règles sont généralement contestées par les producteurs, ce qui accentue le conflit.

Brésil

Début août, une juge de Brasilia a ordonné la suspension pour 30 jours de l’enregistrement auprès des autorités de tout nouveau produit à base de glyphosate, afin que l’agence brésilienne de veille sanitaire procède à leur « réévaluation toxicologique ».

Le gouvernement brésilien entend déposer un recours pour tenter d’annuler cette décision avant la prochaine récolte.

La première puissance économique et agricole d’Amérique latine utilise largement les désherbants au glyphosate, notamment dans les plantations de soja.

Salvador

Le Parlement avait voté en septembre 2013 le retrait du marché de 53 produits agrochimiques, dont des désherbants et des pesticides.

Une décision partiellement annulée par le président de l’époque Mauricio Funes. Il avait demandé que sur ces 53 produits, 11 pesticides ne soient pas retirés, au motif qu’ils étaient très utilisés et qu’ils n’étaient pas interdits au niveau international.

Un comité technique avait alors été mis en place et la situation n’a guère évolué en cinq ans. Le glyphosate est toujours vendu au Salvador.

Sri Lanka

Le gouvernement sri lankais a interdit les importations de glyphosate en octobre 2015, suite à la campagne menée par un moine bouddhiste.

Des organisations agricoles ont critiqué le gouvernement pour ne pas avoir mené d’autres recherches scientifiques, affirmant que l’interdiction leur avait coûté la perte de 10% des 300 millions de kilos de thé produits annuellement.

En juillet dernier, le gouvernement a réautorisé les importations, mais restreint l’utilisation du glyphosate aux plantations de thé et de caoutchouc.

Monsanto, nom controversé et multinationale florissante

Un nom controversé, des bénéfices florissants: portrait du géant agrochimique américain Monsanto, qui devra payer près de 290 millions de dollars à un jardinier américain pour ne pas avoir informé de la dangerosité de son herbicide Roundup.

Rien n’illustre mieux la bonne santé financière de Monsanto – dont le bénéfice net 2017 a dépassé 2 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires de près de 15 milliards – que les efforts déployés par le groupe de chimie et pharmacie allemand Bayer afin de le racheter en juin dernier.

Après avoir relevé à trois reprises son offre, Bayer a finalement mis plus de 60 milliards de dollars sur la table pour avaler une entreprise parfois surnommée « Monsatan » ou « Mutanto » par ses détracteurs, pour qui elle incarne toutes les dérives de l’agrochimie.

Une fois la mégafusion bouclée, le groupe allemand a rapidement fait savoir que la marque Monsanto devrait être abandonnée.

Créé en 1901 à Saint-Louis, dans le Missouri (centre), Monsanto a d’abord produit de la saccharine, un puissant édulcorant, puis s’est lancé dans l’agrochimie à partir des années 1940.

Il a notamment été associé à la fabrication, avec d’autres groupes chimiques, du défoliant connu sous le nom « Agent Orange », utilisé massivement par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam.

Son herbicide vedette et polémique, le Roundup, est lancé en 1976, puis Monsanto met au point la première cellule de plante génétiquement modifiée avant de se spécialiser dans les OGM. Les premières semences génétiquement modifiées, conçues pour résister au même Roundup, sont commercialisées à partir des années 90.

Le Roundup contient du glyphosate, substance très controversée et qui fait l’objet d’études scientifiques contradictoires quant à son caractère cancérigène.

Herbicide le plus utilisé au monde sous diverses marques, depuis que le brevet détenu par Monsanto est tombé dans le domaine public en 2000, il est aussi accusé d’être néfaste pour l’environnement et de contribuer à la disparition des abeilles, ou encore d’être un perturbateur endocrinien.

– « Ecocide » –

Avant sa condamnation vendredi par un tribunal de San Francisco, dont il entend faire appel, Monsanto avait accepté en 2012 un règlement à l’amiable de 93 millions de dollars avec une localité, Nitro, de Virginie Occidentale (est).

Nitro avait abrité dans les années 50 et 60 une usine produisant l’ingrédient principal de l’Agent Orange. Les responsables de la municipalité accusaient cette usine d’être la cause de problèmes de santé de leurs administrés.

En France, la justice a condamné en appel en septembre 2015 le groupe américain à indemniser un agriculteur, intoxiqué en 2004 par des vapeurs émises par un autre produit de Monsanto, le Lasso (contenant de l’alachlore), interdit dans plusieurs pays depuis. Monsanto s’est pourvu en cassation.

L’autorisation de cultures d’OGM dans l’Union européenne a suscité polémiques, controverses et batailles juridiques au long de ces vingt dernières années. Aux Etats-Unis, des agriculteurs ont été déboutés à plusieurs reprises par la justice dans des tentatives pour contester les cultures de semences OGM de Monsanto.

En 2017, un tribunal citoyen informel de cinq juges professionnels formé à La Haye (Pays-Bas) a jugé la firme coupable du crime d' »écocide », un avis purement consultatif destiné à alimenter les lois existantes, notamment via la création d’une jurisprudence au sein du droit international.

Selon ce « Tribunal Monsanto », « les activités (du groupe) causent des dommages aux sols, à l’eau et de manière générale à l’environnement ».

Monsanto avait dénoncé une « mise en scène (…) anti-technologie agricole et anti-Monsanto » niant notamment « les preuves scientifiques existantes ».

Le groupe emploie aujourd’hui 20.000 employés à travers le monde.

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