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‘Le dérèglement climatique va aggraver les conflits’

Le Vif

Le dérèglement climatique contribuera à aggraver les crises et les conflits, prévient, à l’instar de nombreux experts, François Gemenne, spécialiste de géopolitique du climat à Sciences Po Paris.

Pour y faire face, « il faut réfléchir à des mécanismes de coopération entre Etats », souligne-t-il, à la veille de l’ouverture de la conférence climat de l’ONU.

En quoi le changement climatique peut-il nourrir des conflits?

« Le changement climatique affecte la sécurité alimentaire, sanitaire, hydrique, et on sait que ces enjeux sont de puissants facteurs de contestation et de révolution. Des Etats fragiles risquent de ne pas pouvoir satisfaire les besoins vitaux de leur population.

Des conflits peuvent aussi porter sur les ressources — aujourd’hui les 2/3 des bassins fluviaux se partagent entre deux ou plusieurs Etats.

Ils peuvent être liés à la gestion de flux migratoires. Nous voyons la débandade en Europe face au défi posé par les réfugiés politiques de Syrie: ça ne présage rien de bon quant à sa capacité à gérer de futurs flux liés au changement climatique.

Autre enjeu, dont on parle peu: le sort des territoires. Au Vietnam, la mer va s’élever de 1 m et submerger 25.000 km2, soit 10% du territoire, d’ici la fin du siècle. Il sera difficile de construire une digue géante, donc le gouvernement devra choisir quelle portion protéger. Ce qui est extraordinairement conflictuel au sein des populations.

Il faut anticiper aussi des problèmes légaux. Au début des années 2000, l’archipel de Tuvalu a voulu traduire les Etats-Unis et l’Australie devant la Cour internationale de justice pour violation de son intégrité territoriale, au motif que ces pollueurs historiques ne comptaient pas ratifier le protocole de Kyoto. Le procès n’a pas eu lieu car Australie et Etats-Unis ont menacé de lui couper les vivres. Mais des Etats plus puissants pourraient lancer ce type d’actions, et on peut imaginer que cela provoque des conflits ».

Dans les cas de la Syrie et concernant le terrorisme, comment les impacts croissants du réchauffement ont-ils pu ou peuvent-ils agir?

« Le réchauffement agit en aggravant des risques qui existent déjà. Le soulèvement syrien trouve une part de son origine dans une famine, qui a mené à un exode rural massif. La sécheresse a été un élément déclencheur. Mais surtout Bachar al-Assad n’a rien fait pour y faire face. Or les gouvernants ont énormément de responsabilité quant à la façon dont ils gèrent ce type de crise.

Enfin, il y a le lien entre changement climatique et terrorisme. Dans les pays en voie de développement, les organisations terroristes vont avoir plus de facilité à recruter chez ceux qui ont tout perdu et n’ont plus de cause à laquelle se rattacher. Ainsi dans la bande sahélienne. Ou au Pakistan, où l’aide humanitaire était quasi inexistante quand des inondations de l’Indus en 2010 ont déplacé 15 millions de personnes: ce sont parfois des organisations terroristes qui vont fournir cette aide, reconstruire les maisons, etc ».

Le monde devra supporter longtemps les impacts du réchauffement en cours. Que faire pour améliorer la sécurité mondiale?

« Ces problèmes vont s’accentuer, sauf s’ils sont bien anticipés. Il faut réfléchir à des mécanismes de coopération. Par exemple, autour de l’eau. D’autant que, cette ressource étant vitale, on a constaté qu’historiquement les pays avaient plutôt tendance à collaborer.

Les îles menacées de submersion s’inquiètent, elles, du devenir de leurs eaux territoriales, fixées par rapport à la distance de la côte; mais on pourrait fixer ces limites avec d’autres coordonnées géographiques.

Le lien entre changement climatique et sécurité a été reconnu avec l’attribution en 2007 du prix Nobel de la paix à Al Gore et aux experts du GIEC. Au niveau politique, ça commence à venir.

Des ministères de la Défense ont des départements climat. Car les missions de l’armée vont sans doute évoluer (évacuations etc). Tout comme les matériels, jusqu’aux hélicoptères dont la portance diffère quand l’air est chaud, et qu’il faudra construire différemment ».

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