Élise Elsacker manipule de l'agar-agar dans le but de créer un matériau organique qui puisse être utilisé dans une imprimante 3D © Laurane Bindelle

Le Champignon est-il le matériau du futur?

Stagiaire Le Vif

Scientifiques et amateurs cherchent le moyen de fabriquer des objets biodégradables, à base de champignons.

Notre société est une ode au plastique, au suremballage et aux différents produits d’origine animale. Produit fossile, le plastique pose le problème environnemental de la consommation et du renouvellement des ressources. Nous achetons des produits emballés individuellement qui sont eux-mêmes assemblés dans un emballage pour ensuite être transportés dans divers sacs plastiques. À côté de ça, nous chaussons nos pieds de peaux d’animaux qui sont parfois assemblées à l’aide de colle d’origine animale.

Sur une terre surpeuplée, où l’offre ne satisfait plus la demande et où les déchets se font de plus en plus présents, il est temps de réagir et de proposer des alternatives plus viables. De nombreuses initiatives existent déjà aux États-Unis, en Hollande et même ici, en Belgique. Ces projets ne disposent pas des mêmes moyens que les grandes multinationales, mais ils tentent, à leur échelle, d’apporter une nouvelle vision de la consommation de certains produits.

Si les éco-emballages existent déjà, comme ceux faits à partir d’amidon de maïs, de blé ou de pomme de terre, ils ne représentent pourtant pas une vraie solution. Ils soulèvent en effet la question de la compétition avec les cultures alimentaires, et donc une surproduction et une augmentation des coûts. Face à ça, un autre acteur semble petit à petit s’installer comme une alternative plausible. Il pousse partout, n’a pas besoin de grand-chose pour se développer et est de plus en plus utilisé à d’autres fins que son utilisation première, la cuisine. À la place de le déguster en velouté, en sauce, ou farcis au beurre d’ail, vous pourrez peut-être bientôt l’utiliser comme emballage ou le porter à vos pieds. Il s’agit du champignon et plus exactement de son mycélium.

Le biomimétisme : s’inspirer du vivant

Quand un problème se pose à vous, observez la nature. Si elle a déjà rencontré les mêmes difficultés, elle aura sûrement déjà trouvé la solution. Voilà l’idée de base du biomimétisme, une science qui s’inspire du vivant pour mettre au point des technologies performantes et de nouveaux matériaux.

Cette discipline représente une réelle opportunité pour le futur et prend de l’ampleur au sein des stratégies d’innovation de certaines entreprises. Le biomimétisme commence tout doucement à s’inspirer des propriétés des matériaux naturels et de leur processus de fabrication pour remplacer certains matériaux utilisés dans la vie de tous les jours.

MAGMA NOVA, créer un matériau végétal

L’action citoyenne est souvent le moteur du progrès. À l’origine du projet Magma Nova, on retrouve Élise Elsacker, une jeune architecte bruxelloise.

Grâce à un changement complet de son mode de vie, elle vit depuis plus de deux ans sans produire de déchet. Mais aujourd’hui, sa réflexion va plus loin. « J’ai réalisé que j’arrivais à ne plus mettre de poubelle dehors, mais j’ai également réalisé que tout ce qui était autour de moi deviendrait un jour ou l’autre un déchet. »

De sa simple conviction personnelle naît un projet ambitieux. « Je me suis mise à la recherche d’autres matériaux, des alternatives au plastique, alors j’ai commencé à faire des expérimentations dans ma cuisine. » À partir des petits exemplaires qu’elle fabrique, Élise se rend compte qu’il y a un vrai potentiel à développer. Elle partage alors sur son blog ses nouvelles trouvailles, ses commentaires et opinions, c’est ce qui lui a permis d’entrer en contact avec des scientifiques. Elle rencontre entre autres Winnie Poncelet avec qui elle cofondera Magma Nova en 2014, pionnier dans le secteur des biomatériaux et de la manufacture du futur en Belgique.

Au sein du studio de recherche, créatifs, scientifiques et designers oeuvrent dans un but commun, celui d’engager une transition vers une économie bio-basée. Magma Nova parie sur un avenir alternatif dirigé vers un modèle de production biotechnique, dans lequel la production industrielle ne dépendrait plus ni des matériaux dérivés des industries pétrochimiques ni de l’exploitation des terres cultivables.

« Magma » pour la matière et « Nova » pour le futur, ce qui est nouveau

L’équipe envisage un monde post-déchet où les objets « poussent » à partir de matières organiques. Le principe est simple : utiliser des déchets pour créer de nouvelles ressources, qui seront utilisées pour créer des objets de design biodégradables. Pour ce faire, Magma Nova développe des cultures de l’espèce la plus prolifère offerte par la nature : le champignon. Une fois mélangé à un substrat agricole, son mycélium envahit la matière très rapidement, jusqu’à former une sorte de pâte à laquelle une forme a été donnée grâce à un moule. Une grande partie du travail consiste pour l’instant à tester différents substrats pour déterminer lequel d’entre eux, une fois mélangé au mycélium, donnera le matériau le plus adapté. « On a commencé à chercher comment utiliser les déchets agricoles comme la paille ou le chanvre », explique Élise.

Mycélium : partie végétative des champignons, formée de filaments souterrains ramifiés
Mycélium : partie végétative des champignons, formée de filaments souterrains ramifiés© Matias Ranwez Van Elst

Le travail scientifique est réalisé en grande partie au laboratoire de biologie participative Reagent cofondé par Winnie Poncelet à Gand et à l’open biolab de l’Erasmushogeschool à Jette. Ces recherches sont encore très jeunes et nécessitent un approfondissement. Comme le signale Élise, vers 2050 les ressources de nombreux matériaux de base seront pratiquement épuisées. Le « Pic of oil » a déjà été dépassé, mais c’est également le cas de l’aluminium et d’autres ressources essentielles à la consommation actuelle. « On sera tous en vie en 2050, et j’aimerais vers la fin de ma vie avoir réussi à mettre en place cette transition vers des matériaux qui poussent et qui peuvent remplacer, espérons-le, la plupart des matériaux nocifs. Surtout les plastiques. »

Rethinking High Fashion Shoes

Chaque année, plus de 21 milliards de paires de chaussures sont fabriquées dans le monde, souvent confectionnées à partir de composants toxiques. Après avoir été portée, la grande majorité d’entre elles se retrouve dans une décharge. Cela représente 1,2 tonne de détritus par an pour le seul continent européen, un volume de déchets considérable.

Dans le même esprit, Kristel Peeters s’est lancée dans la création de chaussures d’un nouveau genre. Pendant plus de quinze ans, elle a fréquenté le monde de la haute couture en travaillant notamment pour le célèbre styliste anversois Dries Van Noten. Tant d’années durant lesquelles elle a manipulé, pour confectionner ses chaussures, des matériaux dont l’éthique de

Chaussure en mycélium
Chaussure en mycélium© Laurane Bindelle

fabrication la rebutait. Car si d’un côté elle respecte le fait que le cuir soit utilisé et non pas jeté par l’industrie de la viande, les techniques pour le produire sont mauvaises pour l’environnement notamment parce qu’elles nécessitent énormément d’eau. Le cuir restant pour elle la plus belle des matières à porter à son pied, elle imaginait mal une manière de s’en séparer.

Petit à petit l’idée de produire des chaussures éthiques germe dans la tête de Kristel. C’est après avoir découvert qu’il était possible de produire des matériaux proches du cuir à partir de champignons ou de bactéries qu’elle se lance dans l’aventure. Sa plus grande lacune nous explique-t-elle, est de ne pas appartenir au monde scientifique. Elle est donc incapable de modifier les molécules du mycélium qu’elle utilise. C’est donc à coups d’essais et de mélanges avec des produits qu’elle trouve en magasin ou en pharmacie qu’elle tente de produire une matière qui s’apparenterait le plus possible au cuir qu’elle aime tant.

Parallèlement, elle doit aussi réfléchir à comment construire sa chaussure à partir des matières qu’elle parvient à fabriquer. Pour la semelle, elle utilise un mélange de fibres (du chanvre ou de la toile de jute) qui sont maintenues entre elles grâce au mycélium. Pour le dessus, qu’elle appelle jaquette, ses recherches l’ont jusqu’ici mené à des matières soit trop épaisses et rigides, soit trop fines et molles, et de toute façon trop fragiles que pour être malmenées par la marche.

Afin de tuer les bactéries, la fibre est stérilisée par Kristel Peeters dans un autoclave à une température de 121 degrés, Open Biolab à Gand
Afin de tuer les bactéries, la fibre est stérilisée par Kristel Peeters dans un autoclave à une température de 121 degrés, Open Biolab à Gand© Matias Ranwez Van Elst

Si ses recherches lui demandent beaucoup de temps et d’énergie, Kristel ne désespère pourtant pas. L’une des raisons de son acharnement lui vient des États-Unis où l’équipe du projet Mycoworks a réussi à produire un matériau semblable en beaucoup de points au cuir. Il est résistant, flexible et plus impressionnant encore, il résiste à l’eau alors que jusqu’ici tous les matériaux produits reprenaient vie au contact de l’eau. Ces diverses caractéristiques montrent qu’il faut continuer les recherches dans cette direction.

Alternatives d’avenir ?

Les matériaux biosourcés ont certainement un bel avenir devant eux et pourraient un jour remplacer certains matériaux comme le plastique ou le cuir, mais ils ne seront sans doute jamais destinés à une production industrielle. En tout cas, pas dans l’état actuel des choses. Les recherches doivent encore être peaufinées et les matériaux améliorés avant d’espérer pouvoir produire à plus grande échelle. Pour le moment, l’énergie utile aux recherches n’intéresse pas les grandes usines qui préfèrent se limiter à ce qui est déjà en place. Il y a encore beaucoup trop de travail intermédiaire entre la matière de base et le résultat final. De plus, si les matériaux ne sont pas maniés correctement, les risques d’autodestruction sont beaucoup trop grands que pour envisager de multiplier les productions.

Laurane BINDELLE et Matias RANWEZ VAN ELST

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