"On pense qu'en résolvant la question du climat, on va résoudre tout le reste. C'est totalement faux." © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

La question du changement climatique a-t-elle supplanté toutes les autres problématiques environnementales ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Guillaume Sainteny, qui enseigne le développement durable à AgroParisTech, le pense. Et le déplore, arguments à l’appui, dans son ouvrage Le climat qui cache la forêt.

A vous lire, on pourrait d’emblée vous croire climatosceptique. Doutez-vous du phénomène du changement climatique ?

Non. Mais il y a vingt ans, quand on parlait d’environnement dans les médias, l’opinion publique, les ministères ou les ONG, on évoquait la protection de la nature, la pollution de l’eau, de l’air, ou des sols et on parlait très peu du climat. A partir de la fin des années 1990, juste avant le protocole de Kyoto, le thème du réchauffement climatique est monté en puissance jusqu’à être considéré, aujourd’hui, comme le problème environnemental principal. Cela mériterait à tout le moins examen. Et cela pose question car le thème du réchauffement climatique écrase tous les autres, voire même les vampirise.

Du fait de cet emballement sur la question climatique, d’autres menaces environnementales ne sont-elles donc plus prises en considération ?

Effectivement. C’est le cas pour la biodiversité, par exemple. Or, on en est tout de même à la sixième extinction de masse ! Un autre exemple : la pollution de l’air. Elle cause 7 millions de décès prématurés par an dans le monde. Ce n’est pas le cas du changement climatique, très loin s’en faut.

Pour l’instant, du moins…

Oui, pour l’instant. Mais pendant qu’on s’occupe du climat, la pollution de l’air continue et restera la première cause de décès prématurés jusqu’en 2050. Ce qui veut dire qu’on accepte presque 300 millions de morts prématurées liées à la seule pollution de l’air. J’observe que, par rapport au réchauffement climatique, on a fixé un seuil de 2 degrés de hausse des températures à ne pas dépasser mais que pour le nombre de morts, on n’a rien fixé du tout. L’accès à l’eau, ou plutôt le non-accès à l’eau ou à de l’eau de qualité, constitue la seconde cause de mortalité importante liée à l’environnement. Mais le sujet n’est plus considéré comme prioritaire.

Avez-vous la certitude que ces problématiques étaient prises à bras le corps par le passé ? Autrement dit, ont-elles vraiment été chassées par la question du changement climatique ?

Oui, elles l’étaient auparavant. Mais comment juger de l’importance d’une problématique environnementale ? On peut se fier à l’avis de grandes organisations internationales intergouvernementales. L’OCDE, par exemple, considère qu’il y a quatre préoccupations environnementales d’égale importance : l’accès à l’eau, la pollution de l’air, la biodiversité et le climat. L’OCDE précise que ces thématiques sont reliées entre elles et qu’il faut s’attaquer à toutes en même temps. On peut aussi calculer le nombre de morts pour chacune de ces causes. Le calcul est vite fait. Ou se fier à l’avis des gens. En France en tout cas, pour l’opinion publique, la pollution de l’eau et de l’air vient en tête des préoccupations. Certes, un gouvernement n’a pas forcément à se décider en fonction de son opinion publique, mais c’est un indice intéressant.

Quelles sont pratiquement les conséquences de cette prédominance de la question climatique ?

Le climat qui cache la forêt. Comment la question climatique occulte les problèmes d'environnement, par Guillaume Sainteny, éd. Rue de l'échiquier, 272 p.
Le climat qui cache la forêt. Comment la question climatique occulte les problèmes d’environnement, par Guillaume Sainteny, éd. Rue de l’échiquier, 272 p. © DR

On consacre plus de moyens budgétaires au climat qu’au reste. Regardez l’aide au développement en matière d’environnement en France : 40 % de ce budget va à la lutte contre le changement climatique, pour 4 % seulement à la biodiversité. Cette aide sert prioritairement l’Afrique, qui va être directement touchée par le changement climatique. Les pays d’Afrique présentent une très intéressante biodiversité. On y trouve des tas d’espèces dont on pourrait sans doute extraire à l’avenir des substances pour produire de nouveaux médicaments qui nous font aujourd’hui défaut, comme l’antidote du sida. Et on sait qu’une biodiversité saine est un facteur d’adaptation au changement climatique. Pourquoi, dès lors, ne pas axer les efforts budgétaires sur la biodiversité plutôt que sur le climat ? Lors du tsunami de 2006, on a observé que les endroits où les dégâts étaient les plus limités étaient ceux où les mangroves n’avaient pas été arrachées : elles ont servi d’amortisseurs. C’est aussi ça, l’utilité de la biodiversité…

La question du climat n’a-t-elle tout de même pas provoqué une prise de conscience de l’enjeu environnemental dans la population ?

L’argument est audible. Mais il y a quand même un souci, parce que bien des gens pensent que l’environnement se résume au changement climatique. Dans la presse, on lit qu’en résolvant la question du climat, on va résoudre tout le reste. C’est totalement faux. Il y a plusieurs problématiques environnementales qui ne sont du tout pas liées au changement du climat. L’épuisement des réserves halieutiques, dû à la surexploitation des zones de pêche, n’a aucun lien avec le climat. Idem pour le dossier des perturbateurs endocriniens. Le climat n’est d’ailleurs que la septième cause d’érosion de la biodiversité.

Si l’on ne s’occupe plus que des autres problèmes , sans se soucier du changement climatique, on va aussi dans le mur…

Il faut donc attaquer frontalement toutes les problématiques environnementales.

Ce sera jugé impossible, pour des raisons budgétaires. Alors, par où commencer ?

Je pense qu’il faut privilégier les mesures à bénéfices multiples ou à double ou triple dividendes. On pourrait par exemple supprimer les subventions de 550 milliards de dollars par an qui vont aux énergies fossiles dans le monde. Ces énergies fossiles sont mauvaises pour tout : l’air, le climat, le sol, la santé, à cause des particules fines, la biodiversité… Si on supprimait ces aides demain, on enregistrerait d’un coup 24 % de moins d’émissions de CO2 et 55 % de moins de décès liés à la pollution atmosphérique. Cette décision serait favorable au climat mais aussi à l’air, à la santé publique et aux finances de la sécurité sociale.

Vous pointez la responsabilité des médias coupables, à vos yeux, d’avoir porté dans l’opinion publique le seul thème du changement climatique au détriment des autres.

Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les médias ont une approche beaucoup plus équilibrée des sujets environnementaux. On n’y parle pas que du climat, mais aussi de la biodiversité, par exemple. On manque, dans la presse francophone, de vulgarisateurs scientifiques. Les journalistes  » environnement  » ont rarement une formation scientifique à la base ; ils apprennent sur le tas. En France et, sans doute en Belgique, il n’y a jamais un rédacteur en chef qui ait été auparavant journaliste spécialisé en environnement alors que c’est fréquent parmi les journalistes politiques. Pourquoi ? Angela Merkel a bien été ministre de l’Environnement avant d’être chancelière…

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