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La mystérieuse disparition de milliers d’hirondelles

Muriel Lefevre

Les hirondelles ne font plus le printemps. Les ornithologues à travers l’Europe s’inquiètent de les voir si peu nombreuses lors de leur migration qui les fait quitter l’Afrique pour rejoindre l’Europe.

Leur danse dans le ciel était, il n’y a pas si longtemps encore, le signe que les beaux jours n’étaient plus très loin. Annonçant souvent la fin de l’hiver et faisant leurs nids auprès des hommes, les hirondelles sont depuis toujours des oiseaux particulièrement choyés et surveillés. Cette attention soutenue fait qu’on s’est rapidement rendu compte que des milliers, voire des dizaines de milliers d’individus n’ont pas trouvé leur chemin vers le nord cette année.

Normalement, aux premiers frimas du printemps, les hirondelles reviennent d’Afrique où elles ont passé l’hiver au chaud au nord de l’équateur. Ne se nourrissant que d’insectes volants, elles sont en effet obligées pour survivre d’effectuer ce grand voyage chaque année à l’automne. Un incroyable périple de plusieurs milliers de kilomètres qui prend près de deux mois. Une aventure tellement épique qu’il faudra attendre 1770 et L’Histoire naturelle de Buffon pour que l’on croie à cette histoire.

Le saviez-vous ?

A la fin du 18ème siècle, le moine Lazzaro Spallanzani en Italie ou encore J. L. Frisch en Allemagne ont l’idée d’attacher des fils colorés aux pattes des hirondelles inventant du même coup la technique du baguage. Mais c’est Christian Mortensen au Danemark qui le premier va instaurer un baguage national en 1899. Avec les baguages, on va pouvoir établir les premières cartes migratoires.

Une tempête de sable ou un cercle vicieux

Si à cause du réchauffement climatique, elles sont présentes chaque année un peu plus tôt, voire elle ne quitte plus le midi de la France, les hirondelles se font pourtant de plus en plus rares dans nos campagnes. Cette année, cet oiseau d’une vingtaine de grammes se fait même particulièrement discret. Au point que Gerald Driessens, ornithologue pour Natuurpunt, s’en inquiète dans De Morgen : « Par rapport à l’année dernière, on constate une baisse de 26 % des oiseaux migrateurs. Ce recul se remarque surtout pour l’hirondelle avec une baisse de 58% pour l’hirondelle rustique et 88 % pour l’hirondelle de fenêtre. Si ces chiffres ne sont pas encore définitifs, ils n’en sont pas moins inquiétants, car ils indiquent une baisse notable du nombre d’individus. Celle-ci peut s’expliquer par le fait que les oiseaux se sont arrêtés plus tôt, en France par exemple. » « Il est aussi possible », selon l’ornithologue de Greenpeace, Filip Verbelen, que « beaucoup d’hirondelles aient été prises dans une tempête de sable ou un ouragan. » Une théorie qui pourrait être rapidement infirmée ou confirmée par une étude attentive des prévisions météorologiques. Mais pour Verbelen, et pour beaucoup d’autres chercheurs, l’explication est à chercher ailleurs et serait beaucoup plus complexe puisqu’elle s’étale sur plusieurs continents. Il est en effet tout à fait possible que l’hirondelle se soit retrouvée coincée dans un cercle vicieux. Avec, en Europe, une aire de reproduction sous pression suite à l’élargissement des zones agricoles et la réduction des zones humides, mais aussi des fermes et un habitat de plus en plus stériles qui empêchent la construction de nids. Et en Afrique, une aire d’hivernage en pleine mutation avec des sécheresses extrêmes et la montée de l’agro-industrie. Et si tout cela ne suffisait pas à lui compliquer la vie, son voyage entre les deux est lui aussi rendu de plus en plus périlleux par les phénomènes climatiques.

Où sont les oiseaux ?

Le phénomène ne se cantonne pas seulement aux hirondelles. Il est malheureusement beaucoup plus vaste. De grandes ou de petites tailles, migratrices ou pas, toutes les espèces d’oiseaux sont concernées, probablement du fait de l’effondrement de la population d’insectes. Début mars, en France, des chercheurs ont tiré la sonnette d’alarme évoquant « un déclin des oiseaux de campagnes vertigineux, d’un niveau proche de la catastrophe écologique » et qui s’est encore intensifié ces deux dernières années, selon de nouveaux recensements. Dans les zones agricoles, les populations d’oiseaux ont perdu, en moyenne, un tiers de leurs effectifs en 15 ans, montrent les relevés effectués depuis 1989. Cette disparition massive est concomitante à l’intensification des pratiques agricoles ces 25 dernières années. Loin de se cantonner à la France, on constate cette même tendance pour le reste de l’Europe. Selon deux études récentes, l’Allemagne et l’Europe ont perdu 80% des insectes volants et 421 millions d’oiseaux en 30 ans. La faute à la généralisation des néo­nicotinoïdes. Ces insecticides neurotoxiques sont très persistants et font des ravages parmi les insectes. « Ce qui est alarmant, c’est que tous les oiseaux du milieu agricole régressent à la même vitesse. Cela signifie que c’est la qualité globale de l’écosystème agricole qui se détériore », analyse le chercheur Bretagnolle, écologue au Centre d’études biologiques de Chizé. « Il n’y a quasiment plus d’insectes, c’est ça le problème numéro un », souligne-t-il. « Car même les volatiles granivores ont besoin d’insectes à un moment dans l’année, pour leurs poussins. »

De quoi redouter un « printemps silencieux », comme le « silent spring » prédit par la célèbre écologue américaine Rachel Carson il y a 55 ans ? Ce livre, paru en 1962, signa les débuts du mouvement écologique en dénonçant les méfaits d’une utilisation excessive de pesticides organochlorés sur la faune des pays industrialisés. Un ouvrage culte qui contribua largement à faire interdire dans de nombreux pays le DDT dans les années 1970. Si le silence des campagnes n’est pas encore une fatalité, il est néanmoins plus que temps d’agir au niveau européen.

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