Greta Thunberg © Reuters

En Suède, la honte de prendre l’avion gagne du terrain

Anne Grietje Franssen Journaliste Knack

En Suède, prendre l’avion devient lentement tabou. L’expression « honte de voler » résume la nouvelle tendance.

La décision leur a valu des félicitations, mais aussi le qualitatif de « talibans de l’environnement ». La semaine dernière, l’éminent orchestre symphonique suédois d’Helsingborg a annoncé que les musiciens et chefs d’orchestre se déplaçant en avion n’étaient plus les bienvenus. Ils n’ont qu’à venir en bus, en train, à vélo ou à pied. La nouvelle année musicale a été baptisée première saison d’orchestre durable au monde.

Directeur de l’orchestre symphonique, Fredrik Österling a déclaré à la plateforme d’information The Local que, bien que de nombreuses personnes et entreprises en Suède s’engagent à travailler pour un avenir durable, l’industrie de la musique classique est toujours dispensée du débat. L’art s’élèverait au-dessus de ce genre de questions terrestres. Mais, selon le directeur, le temps presse à tel point que chacun doit apporter sa contribution. La décision est tombée après que le violoncelliste Jakob Koranyi, qui avait lui-même pris le train de nuit, pose la question à la direction : que faites-vous pour compenser le comportement des autres membres de l’orchestre ?

Flygskam & klimatångest

Pour ceux qui ont suivi les médias suédois l’année dernière, c’est un cas évident de flygskam, la honte de voler. Le terme est né fin 2017 lorsque l’athlète vedette Björn Ferry a annoncé qu’il ne voyageait plus en avion. Sous le hashtag #vistannarpåmarken, »Nous restons au sol « , des Suédois connus et moins connus ont promis de renoncer à voler temporairement ou définitivement.

Ils cherchent à culpabiliser ceux qui n’éprouvent pas cette honte de voler. Le compte Instagram anonyme « Aningslösa influencers », un groupe d’influenceurs un peu lambda, a commencé à réagir aux photos stylisées de célébrités suédoises des réseaux sociaux qui semblent voyager en permanence. Une semaine, ils sont allongés sur une plage de cocotiers, un cocktail à la main, la semaine d’après, on les voit flâner à Soho à New York. « Aller-retour Dubaï : 1,8 tonne de CO2 », voilà une réaction typique des activistes anonymes.

Psychologisation

« Ceux qui placent leur plaisir au-dessus de notre survie commune », écrit la chroniqueuse culturelle Kristin Lundell à propos du phénomène du flygskam, « ne pourront plus le faire sans être critiqués ».

La honte de voler cadre dans une psychologisation suédoise plus longue de problèmes environnementaux : bien avant l’introduction du mot flygskam, le mot klimatångest est devenu populaire. Anxiété climatique : préoccupations au sujet du réchauffement de la planète, allant de l’anxiété saine à des troubles cliniques.

Les chercheurs et les thérapeutes suédois établissent un lien entre l’augmentation des troubles psychologiques – en particulier chez les jeunes – et le problème environnemental. Selon un sondage d’opinion réalisé par l’Université de Göteborg, 61 % des Suédois sont  » extrêmement préoccupés  » par le changement climatique. Les femmes sont plus inquiètes que les hommes et les jeunes Suédois sont beaucoup plus inquiets que les personnes âgées.

Depuis quelques années, Maria Ojala, professeur de psychologie à l’université d’Örebro, étudie le climatångest, en particulier chez les adolescents. Les inquiétudes, dit-elle, sont une réaction logique : le changement climatique est un véritable problème. « Si quelque chose nous préoccupe, nous pouvons concentrer notre attention là-dessus. Nous essayons de recueillir de l’information à ce sujet et nous sommes capables de faire preuve d’esprit critique. Mais : cette préoccupation peut aussi se transformer en désespoir. »

Ojala distingue deux groupes chez les jeunes qui souffrent d’anxiété climatique : un groupe considère le changement climatique comme un problème grave et va bien. L’autre groupe considère que c’est tout aussi problématique, mais chez eux, l’anxiété s’accompagne de stress, de peur ou d’une humeur dépressive. Cela dépend, dit Ojala, de votre mécanisme d’adaptation : comment gérez-vous cette situation ?

Greta Thunberg

Ojala poursuit : « En Suède, le problème climatique est fortement individualisé. Pensez au phénomène du flygskam, l’individu responsable. Ou regardez Greta Thunberg, la fille qui a incité les étudiants à faire grève pour l’environnement. Cette écolière a d’abord eu le sentiment qu’elle devait porter l’ensemble du problème climatique sur ses propres épaules. C’est un fardeau beaucoup trop lourd. Dans ce groupe de jeunes, le sentiment de désespoir prévaut souvent. »

Mais au sein de l’autre groupe, dit Ojala, c’est l’espoir prévaut : oui, le changement climatique est un problème grave, mais nous pouvons y remédier. Et ça ne dépend pas que de moi. « Ces jeunes ont confiance dans le monde des adultes : dans les organisations environnementales, dans les politiciens, et dans le fait que, dans le passé, des solutions ont également été trouvées aux problèmes mondiaux. Avec cet espoir, ils créent un tampon contre la morosité. On le voit chez Greta : comme elle ne se bat plus toute seule, et qu’elle a déclenché tout un mouvement, elle devrait aller nettement mieux. Ce n’est plus une responsabilité individuelle, mais une responsabilité collective ».

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