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Changement climatique et super polluants: « je crains qu’on n’atteigne pas 2100 »

Le Vif

Limiter les émissions de CO2 ne sera pas suffisant pour contrer le changement climatique. C’est le constat sans pitié du professeur Veerabhadran Ramanathan. Il existe cependant une autre solution: éliminer les super polluants.

Limiter les émissions de CO2 ne sera pas suffisant pour contrer le changement climatique. C’est le constat sans pitié du professeur Veerabhadran Ramanathan. Il existe cependant une autre solution: éliminer les super polluants.

Tout le monde sait que le changement climatique est causé par nos émissions de CO2. Des émissions qui proviennent de la production d’énergie, des transports, des maisons et de l’industrie, mais peu savent que la réduction de ces dernières années n’est pas l’unique solution. « Si la date butoir est effectivement 2100, alors on doit se concentrer sur le CO2 », déclare le professeur Veerabhadran Ramanathan. « Sauf que je ne suis pas certain que nous atteindrons cette date. C’est pour cette raison que je me concentre aussi sur les super polluants. »

Jusqu’à 2000 fois plus puissant

Le professeur Ramanathan a acquis une renommée mondiale en découvrant l’impact néfaste des CFC sur le réchauffement de la planète. Les CFC (chlorofluorocarbures) ont été utilisés pendant des années comme agent de refroidissement et comme agent propulseur dans les aérosols, provoquant au passage le trou dans la couche d’ozone. Cette découverte de Ramanathan dans les années 1970 va mettre cette problématique sur l’avant-scène internationale et va mener, entre autres, à la signature du Protocole de Montréal en 1987 qui a éradiqué les CFC du marché mondial.

Les CFC appartiennent au groupe des super polluants, aussi appelés polluants climatiques de courte durée. Comme leur nom l’indique, ils restent pour une durée plus courte dans l’atmosphère que le CO2, mais ils ont un impact plus important sur le réchauffement climatique. « Les super polluants peuvent être 1000 à 2000 fois plus puissants que le CO2 », explique Ramanathan.

Un degré, un monde de différence

L’élimination des super polluants pourrait réduire de moitié le réchauffement climatique à court terme. Dans l’état actuel des choses, un réchauffement de 1,2 degré est prévu au cours des trente prochaines années. En éliminant les super polluants, ce réchauffement pourrait être limité à 0,6 degré. »De cette façon, nous pouvons rester en dessous de la limite cruciale de 1,5 degré tel que le préconise l’accord de Paris « , explique Ramanathan. « Parce que si nous dépassons la limite des 2 degrés, un milliard de personnes seront frappées par des chaleurs extrêmes, des épidémies et des sécheresses ». Or réduire seulement le CO2 ne suffira pas à contrer cela, souligne Ramanathan. « Les effets ne se feront ressentir que dans 30 à 40 ans, » mais que va-t-il se passer entre-temps?  » C’est pourquoi, en plus du CO2, il faut également se concentrer sur les super polluants.

Le super polluant à la croissance la plus rapide

Le Protocole de Montréal a abouti à l’interdiction mondiale des CFC, mais cela a conduit à l’émergence d’un autre super polluant: l’hydrofluorocarbure (HFC). Les HFC sont les super polluants qui connaissent la plus importante progression, car ils sont utilisés pour les systèmes de refroidissement tels que les réfrigérateurs et la climatisation. Des outils que l’on utilise de plus en plus dans une terre qui se réchauffe. C’est pourquoi Ramanathan était aussi derrière l’amendement de Kigali grâce auquel la communauté internationale a fait interdire, en 2016, les HFC.

Mais ce n’est là qu’un des super polluants, il y en a d’autres, tels que le carbone de suie et le méthane. Ce sont deux puissants polluants que l’on retrouve dans notre environnement immédiat et qui peuvent heureusement être traités directement. « Les connaissances et les solutions existent, il suffit de vouloir les utiliser », explique Ramanathan.

Les filtres à carbone de suie et la législation anti-diesel traitent celle qui provient des voitures. Mais ce n’est pas la seule source, il en existe d’autres comme les feux de bois par exemple. Le chaleureux feu ouvert ou encore le feu de bois pour cuisiner utiliser dans de nombreux pays en développement ne sont pas sans risques pour les personnes et l’environnement.

40 pour cent d’aliments mis au rebut

Cela devient encore plus absurde quand il s’agit de méthane. La plus grande cause de pollution par méthane provient de fuite sur des conduites de gaz, comme le gaz européen qui vient de Russie via des pipelines. « C’est affligeant quand on sait qu’un simple entretien digne de ce nom suffirait pour y mettre fin », dit Ramanathan.

Plus près de chez nous, c’est le gaspillage alimentaire qui est la principale cause du méthane. On jette 40% de la nourriture dans les pays occidentaux. Lorsque ces déchets organiques se décomposent, cela libère du méthane. Nous devrions donc non seulement réduire la masse de nos déchets, mais aussi les traiter différemment. « Nous pourrions résoudre une partie du problème en installant de petits biodigesteurs dans les restaurants ou les supermarchés », explique Ramanathan. « Le méthane peut être ainsi transformé en énergie. Une situation gagnant-gagnant. »

De plus, interdire les super polluants va également avoir un impact majeur sur la santé. Le méthane peut en effet se transformer en ozone, un autre super polluant qui est la principale cause d’asthme dans les villes européennes. L’ozone peut être réduit de 30 à 40% en éliminant le méthane.

En interdisant tous super polluants, on pourrait éviter 2,4 millions de décès prématurés chaque année. « Et je peux vous assurer que vous et vos enfants serez déjà affectés par le changement climatique », prévient Ramanathan, « le changement climatique frappera aussi durement les riches que les pauvres ».

Optimiste jusqu’au cercueil

. « Les extrêmes climatiques que l’on perçoit déjà aujourd’hui me dépriment », « mais en tant que climatologue qui a 40 ans d’expérience, je ne peux pas renoncer à l’espoir ». C’est pourquoi Ramanathan continue à se battre pour de nouvelles législations et se lance dans de nouvelles recherches. « En dix ans, la situation sera tellement grave que tout le monde voudra résoudre le problème du changement climatique. Quel qu’en soit le prix » conclut-il. « J’espère juste qu’on ne devra pas en arriver à de telles extrémités. »

Fien Van den Steen

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