La biologiste Anne Laudisoit a retrouvé la trace des primates dans une région parmi les plus inhospitalières du monde. © CAROLINE THIRION

Anne Laudisoit, cette biologiste belge qui a découvert la trace de chimpanzés sauvages au Congo

C’est l’histoire d’une quête passionnante. Un documentaire retrace comment la biologiste Anne Laudisoit, déjà surnommée la Dian Fossey belge, a découvert la trace de chimpanzés sauvages dans un coin perdu de l’Ituri, au Congo. Leur survie est toutefois menacée.

Si des villageois de l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo, n’avaient pas fait le lien entre une source et la présence de chimpanzés Pan troglodytes, une espèce hautement menacée, jamais la biologiste belge Anne Laudisoit n’aurait retrouvé ces primates. Aucun scientifique ne les avait encore répertoriés. En 2017, elle montait une expédition éprouvante de quarante jours vers un massif forestier dense et accidenté, dans une région que Stanley a rangé  » parmi les plus inhospitalières du monde  » fin du xixe siècle. La rencontre tant espérée n’est survenue qu’au trente-huitième jour. Des larmes de joie ont alors coulé sur les joues d’Anne Laudisoit.

La rencontre tant espérée n’est survenue qu’au trente-huitième jour

Cette émotion fut partagée avec la trentaine de participants : scientifiques congolais, cuisiniers, porteurs (recrutés au fur et à mesure dans chaque village). Et les trois membres de l’équipe de tournage, car de cette belle aventure humaine et scientifique est né un film, Mbudha, la source des chimpanzés, qui a été présenté en avant-première à Namur ce samedi 20 octobre. Réalisé par Caroline Thirion, une baroudeuse du Congo d’où elle a déjà ramené plusieurs photoreportages, il nous fait ressentir, grâce à des images intimistes et à un montage efficace la moiteur de la forêt, la fatigue des protagonistes, le ruissellement de la pluie et, in fine, l’émerveillement de la découverte.

La carcasse à moitié momifiée d'un chimpanzé amenée par un villageois. Cette découverte, très rare, pourrait attester de l'existence de rites funéraires chez les primates.
La carcasse à moitié momifiée d’un chimpanzé amenée par un villageois. Cette découverte, très rare, pourrait attester de l’existence de rites funéraires chez les primates.© CAROLINE THIRION

Tous les soirs, l’équipe se délectait des images prises par un appareil fixe caché dans la végétation : pangolins, babouins, calaos… qui ne se doutaient de rien. La mission s’est intéressée à l’ensemble de la biodiversité (reptiles, oiseaux, amphibiens…), et même la microbiodiversité. La Belge est avant tout une spécialiste des infections comme la peste et l’onchocercose (une maladie transmise par une mouche et qui rend aveugle) dans les zones reculées de la planète. La méthode utilisée fut celle du transect : sur la base d’une image satellite, on trace une ligne imaginaire d’un kilomètre, balisée tous les cinquante mètres. Tout au long, les chercheurs scrutent la densité de population d’une espèce donnée (arbres, animaux…), qu’ils consignent ensuite dans des relevés complexes.

Mais toujours pas de chimpanzé. Les traces se font toutefois plus précises : Anne, qui a été championne d’escalade, grimpe dans les arbres pour ausculter les nids des primates, et recenser leurs traces pour connaître la taille du groupe. La caméra la suit au plus près, et révèle une femme irradiante avec ses cheveux blonds, son collier bleu et son petit chapeau de paille. Dans un village, des habitants sortent d’un sac de jute la momie d’un chimpanzé, quasiment intact :  » Cela signifie qu’il a été protégé des charognards, des fourmis… Par ses congénères ? Si on découvre qu’ils s’adonnent à des rites funéraires, ce serait une découverte magistrale « , s’exclame Anne. La voilà devenir, malgré elle, primatologue, alors qu’elle s’était toujours défendue de vouloir emprunter cette voie si courue de la science.

Caroline Thirion, réalisatrice et camerawoman.
Caroline Thirion, réalisatrice et camerawoman.© CAROLINE THIRION

Soudainement, la récompense. A l’ombre des monts Bleus, voilà les chimpanzés qui s’égaient dans les arbres. Poussent des cris. Observent. Mais ne fuient pas, comme s’ils voulaient s’offrir à celle qui les cherchait depuis si longtemps. C’est l’excitation, on oublie fatigue, genoux endoloris, bobos, malaria…  » Mon assistant était tellement stupéfait qu’il en a oublié de filmer, je lui ai alors crié « Filme, mais filme donc ! » « , raconte Caroline Thirion. Pour les Congolais aussi, c’est la fierté. Anne Laudisoit avait insisté pour que des scientifiques de l’université de Kisangani et de son Centre de surveillance de la biodiversité prennent part à l’expédition,  » car c’est leur pays « . Elle les a coachés pour qu’ils obtiennent des bourses, prélude à la reconnaissance internationale.

L’aventure est d’autant plus remarquable qu’elle se déroule en zone rouge, fortement déconseillée par les diplomaties occidentales. C’est dans ce territoire que des massacres fratricides entre Hema et Lendu ont causé la mort de près de 60 000 civils entre 1999 et 2003. Le conflit a récemment repris à Djugu.  » Nous-mêmes étions sur le plateau Lendu, mais qui a été épargné par les combats. En revanche, les réfugiés affluent des autres secteurs « , signale Caroline. Aucun officiel, aucune force de l’ordre n’ont jamais été rencontrés par l’équipe : les populations sont livrées à elles-mêmes, sans aucune aide, ni de l’Etat, ni des ONG. Une réelle terra incognita.

« Filme, mais filme donc ! »© CAROLINE THIRION

Si les chimpanzés ont pu survivre, c’est grâce à leur biotope difficile d’accès. Mais la forêt est provisoirement grignotée par les habitants en recherche de nouvelles terres cultivables.  » A raison de la disparition de 1 à 2 % chaque année, cette forêt pourrait avoir disparu dans soixante ans, explique Anne Laudisoit. Ce ne sont pas les villageois en cause, mais des gens sans scrupules qui commercialisent le bois, sans aucun souci de sa préservation « . Son appel : il faut sauver ce qui peut l’être encore, en harmonie avec les autochtones, en améliorant leurs conditions de vie. Mais qui s’en soucie vraiment ? En attendant, la Belgique s’est peut-être découvert une Dian Fossey, même si elle s’en défend.

Mbudha, la source des chimpanzés, par Anne Laudisoit et Caroline Thirion, Gedeon Programmes, Clair-obscur Productions, Ushuaïa TV, 52 min.

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