Chaque année, l'Antarctique perd 250 milliards de tonnes de glace. © NASA

Alerte sur l’Antarctique : la nouvelle mise en garde des experts du GIEC sur la hausse du niveau de la mer

Le Vif

Objet de leurs inquiétudes, l’immense calotte de glace du pôle Sud fond plus vite qu’au siècle passé.

Seuls quelques chercheurs se risquent aujourd’hui à vivre sur le désert blanc de l’Antarctique. Autour du pôle Sud, sa couche de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur en a fait l’unique continent que l’homme n’a jamais pu coloniser. Pourtant, malgré ses températures, les plus froides de la planète, il souffre aussi du réchauffement climatique.  » Quand on parle de la fonte de l’Antarctique, cela paraît toujours lointain, mais elle aura des effets sur nos côtes durant des milliers d’années « , prévient le climatologue Didier Swingedouw, du laboratoire Epoc, au CNRS, à Paris, l’un des nombreux auteurs du dernier rapport du Groupe d’experts sur l’évolution du climat (Giec), publié ce 25 septembre, qui ausculte notre impact sur la cryosphère de la planète. Leur conclusion est formelle : si nous ne changeons pas notre rythme d’émissions de gaz à effet de serre, la fonte des glaces alimentera sans cesse l’élévation des eaux du monde, jusqu’à 1,1 mètre de hauteur à la fin du siècle, à une vitesse de près de deux centimètres par an.

Or, il y a cinq ans seulement, ce même groupe d’experts affirmait que la barre symbolique du mètre ne serait probablement pas franchie. Pourquoi une telle révision à la hausse ?  » Nous tenons compte d’une contribution plus forte que prévu de l’Antarctique, que nous pensions à l’équilibre il y a encore une dizaine d’années « , résume Samuel Morin, du Centre national de recherches météorologiques, en France.  » Nous ignorions s’il perdait ou gagnait de la masse « , renchérit Didier Swingedouw. Désormais, les scientifiques prennent mieux la mesure de l’ensemble de la cryosphère.  » Il faut imaginer les calottes et les glaciers fonctionnant comme un compte en banque avec, d’un côté, une colonne « crédits » correspondant à l’accumulation des chutes de neige en hiver et, de l’autre, une colonne « débits », avec la fonte des glaces et la séparation des icebergs en été, détaille Samuel Morin. Si, à la fin de l’année, le débit dépasse le crédit, c’est le signe d’une diminution durable qui s’ajoute aux océans.  » Pour l’Antarctique, les comptes sont très largement dans le rouge, puisque la perte s’élève à 250 milliards de tonnes chaque année ! Et le découvert se creuse : il est déjà six fois plus grave qu’il y a quarante ans.

680 millions d'habitants sont exposés à la montée des océans (ici, au Bangladesh).
680 millions d’habitants sont exposés à la montée des océans (ici, au Bangladesh).© M. PONIR HOSSAIN/REUTERS

A quelle vitesse se déroulera le processus ?

Les chercheurs ont réussi à établir un tel diagnostic parce qu’ils disposent depuis quelques années d’outils ultrasophistiqués placés en orbite.  » Par exemple, deux satellites des agences spatiales américaine (Nasa) et allemande (DLR) mesurent les variations de gravité autour de la Terre, ce qui permet de déduire les changements de masse à sa surface, et donc de peser à distance les deux calottes polaires « , indique Benoit Meyssignac, chercheur au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales à Toulouse. L’Europe s’est impliquée dans quatre autres appareils, dotés de radars, qui cartographient les pôles. Ils évaluent aussi le niveau des mers  » avec une précision de plus ou moins 0,3 millimètre par an « .

Ces suivis ont notamment souligné, au cours des derniers mois, l’importante fonte du Groenland. Jusqu’à 60 % de la superficie de sa calotte ont été exposés à des températures positives.  » Un été assez dramatique, proche des records de 2012, s’inquiète le chercheur Chris Derksen, du ministère canadien de l’Environnement et des Changements climatiques. Cette région constitue aujourd’hui l’une des premières raisons de la montée des eaux, mais ce n’est rien comparé au potentiel de l’Antarctique.  » Car c’est bien au pôle Sud que la planète a constitué son plus grand stock de glaces, dix fois plus que ce que renferme le Groenland, et cent fois plus que tous les autres glaciers de montagne réunis – de la Mer de glace à l’Himalaya. Les scientifiques ont pris leur calculette : sa fonte totale provoquerait une hausse de près de 60 mètres des océans ! Une catastrophe qui, rassurent-ils, ne pourrait se produire que dans le cas de températures extrêmement élevées, et ce durant des milliers d’années.  » Des conditions qui semblent impossibles, même avec le dérèglement climatique actuel, précise Benoit Meyssignac. En revanche, celui-ci peut déstabiliser certaines régions de l’Antarctique de l’Ouest, qui risquent bien d’engendrer, à terme, une élévation colossale. La grande question reste la vitesse très incertaine de ce processus. Plusieurs études tablent sur une hausse allant jusqu’à 35 centimètres en 2100.  »

« Des mécanismes difficiles à modéliser »

La menace, identifiée depuis les années 1970, mais dont l’influence s’avère plus importante que prévu, ne vient pas de la surface, mais des profondeurs !  » Côté ouest, la calotte de l’Antarctique repose sur un socle rocheux situé plus bas que le niveau marin, détaille Didier Swingedouw. Au fur et à mesure qu’elle s’amincit, de l’eau s’engouffre et la fait fondre par le dessous, ce qui l’amincit encore, et ainsi de suite.  » Dans ces zones instables, l’infiltration, irréversible, détruit plus de glace que la fonte en extérieur.  » Parce que l’eau conduit mieux la chaleur que l’air « , poursuit le scientifique. Avant d’illustrer :  » Si vous posez un premier glaçon sur une table et un second dans un verre d’eau à température ambiante, ce dernier va fondre beaucoup plus vite.  » Enfin, le réchauffement amplifie cette érosion marine souterraine.  » L’océan absorbe 93 % de l’augmentation des températures globales, bien plus que l’atmosphère « , résume Jean-Pierre Gattuso, du Laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer.

Dans cette immense machine Antarctique, il n’y a pas que le continent qui joue un rôle majeur. Autour, à la surface de l’océan Austral, se forme une glace de mer morcelée. Une banquise saisonnière, qui voit sa superficie diminuer depuis 2014. Récemment, des robots flottants bardés d’instruments ont sondé – en surface et en profondeur – les températures de ces eaux qui rongent l’Antarctique. Conclusion : leur chaleur provient surtout de la disparition de… la banquise. Son étendue très brillante réfléchissait les rayons du Soleil, à l’inverse de l’océan ainsi mis à nu, qui se réchauffe en les absorbant.

 » La science commence à mieux comprendre ce qu’il se passe sous la calotte de l’Antarctique, mais l’ensemble des mécanismes que l’on découvre reste difficile à modéliser « , reconnaît Didier Swingedouw. Il y a quelques mois, une équipe de chercheurs a constaté avec effroi que le glacier Thwaites, l’un des plus massifs de l’Antarctique occidental, menaçait de s’effondrer, grignoté de l’intérieur par l’eau de mer. Sous les pieds de ce géant, ils ont décelé avec des radars la formation d’une cavité aussi grande que la moitié de l’île de Ré, dont la hauteur atteignait 350 mètres par endroits !  » Il reste beaucoup d’incertitudes au sujet de l’évolution de la calotte, conclut Didier Swingedouw. Notre seule conviction, alors que les simulations s’affinent, est que les calottes peuvent fondre bien plus vite que l’on ne le pensait.  » Sans le savoir, l’humanité a peut-être amorcé, sur ce sixième continent, une bombe climatique à retardement.

Par Christophe Josset.

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