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E-mails, la fin de l’âge d’or ?

Né il y a quarante ans, l’e-mail semble faiblir, au profit des réseaux sociaux. Va-t-il pour autant disparaître ? Certains le préconisent, bien qu’il résiste encore fort bien et s’adapte aux nouveaux internautes.

C’est à s’arracher les cheveux (pour ceux à qui il en reste). A chaque retour de vacances, en cliquant sur l’icône de sa boîte mail, on se sent comme Gaston Lagaffe qui, en ouvrant son armoire métallique dans la rédaction de Spirou, tombe sous une avalanche de paperasse. Quinze jours d’absence, sans Internet, et c’est 500, 800, plus d’un millier de mails qui se sont accumulés… Trier les importants, les importuns, les spams, etc. peut facilement prendre une demi-journée de boulot. Les messages électroniques ont envahi notre vie professionnelle et privée. Une vraie plaie ! On se sent limite harcelés. Au point que certains bloggeurs influents, comme le journaliste américain MG Siegler du site TechCrunch, décident de fermer définitivement leurs boîtes mails.

Les chiffres donnent le tournis. Chaque jour, entre 300 et 350 milliards de mails voyagent sur la Toile, soit plus de cent billions (millions de million) en 2010 ! Aujourd’hui, il existe plus de 3 milliards de comptes e-mail ouverts dans le monde. Précision : dans les pays occidentaux, un internaute possède, en moyenne, deux boîtes-aux-lettres électroniques. Le temps consacré aux mails n’a cessé de croître ces dernières années. Selon la société informatique française Atos Origin, un cadre perd de 10 à 20 heures, chaque semaine, à trier et répondre à ses mails. De plus en plus, les patrons réfléchissent à la manière de mieux dompter cette activité chronophage, qui a certes remplacé le courrier postal et, en partie, le téléphone, mais qui ferait néanmoins baisser la productivité.

Universel, le mail semble cependant connaître la fin de son âge d’or. Dans la famille des moyens de communication, il se voit petit à petit détrôner par les réseaux sociaux. La société de veille du Web Comscore l’a constaté, l’an dernier, chez les adolescents américains : la fréquentation des messageries électroniques a chuté de 59 % chez les 12-17 ans, en 2010. Le phénomène est en train de rattraper le Vieux Continent : toujours selon Comscore et sur la même période, le temps consacré aux mails a diminué de 11 % chez les Européens de 15-34 ans, alors que celui passé sur les réseaux sociaux a augmenté de 32 %. L’augure de Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, selon laquelle « les lycéens n’utilisent plus les e-mails », semble se confirmer.

« Effectivement, quand on fait des enquêtes auprès des jeunes, on constate qu’ils sont de plus en plus sensibles à l’interactivité des moyens de communication et à la vitesse de cette interac -tivité, observe Claire Lobet- Maris, sociologue au centre de recherche informatique et droit (Crid) des Facultés de Namur. Ils se sentent exister quand ça bouge tout le temps. L’e-mail est trop lent, pour eux. Tandis que les réseaux sociaux offrent davantage de services intégrés, le chat, les posts sur le mur, l’échange de photos, etc. Pour le jeune, qui construit son identité, Facebook est un outil qui lui rappelle en permanence qu’il est quelqu’un pour les autres. »

Les seniors restent attachés aux mails

L’explosion des réseaux sociaux se vérifie en Belgique comme ailleurs, auprès de l’ensemble des internautes et pas seulement des jeunes. Selon Comscore, en 2010, plus de 8 internautes belges sur 10 ont consulté un réseau social, au moins une fois sur le mois, dont 74 % rien que pour Facebook, leader toujours incontesté sur Internet. Les chiffres ne cessent d’augmenter au fil des ans. Le succès de l’e-mail, lui, diminue : selon les statistiques les plus récentes de Comscore, le nombre total des utilisateurs belges des trois principaux acteurs du webmail (Hotmail, Gmail et Yahoo) a baissé de 2 % entre juillet 2010 et juillet 2011. Cela confirme la tendance européenne.

Toutefois, une série de nouveaux internautes privilégient l’e-mail. Ce sont les plus de 55 ans qui n’ont pas eu l’habitude d’utiliser Internet au cours de leur carrière professionnelle et qui se lancent sur la Toile. Les seniors apprécient le confort du mail, cet outil métaphorique du courrier traditionnel, qui leur offre la simplicité d’usage et leur garantit la confidentialité. Si, dans cette catégorie d’âge-là, le nombre d’utilisateurs augmente, cela ne suffit pas à compenser les pertes d’audience chez les autres internautes.
« Cela dit, on ne peut pas encore parler de baisse vraiment significative de l’e-mail, en tout cas en Europe, tempère Jean- Benoît Van Bunen, de Microsoft Belgique (qui vient de fêter les 15 ans d’Hotmail). Le courrier électronique reste la première activité sur le Net. Et les chiffres de Comscore sur la fréquentation du webmail ne tiennent pas compte de l’utilisation des smartphones de plus en plus populaires. » Vrai. Le nombre d’utilisateurs professionnels d’e-mail mobile était estimé à 80 millions en 2010. En 2014, ils devraient être 1 milliard.

Si le mail résiste, c’est surtout parce qu’on l’utilise encore pour les « choses sérieuses » et formelles : contacts professionnels, échanges avec l’administration publique, vérification de mot de passe pour les sites commerciaux, etc. Mais, ici aussi, le vent pourrait tourner. En février dernier, l’ancien ministre français Thierry Breton, PDG d’Atos, avait fait sensation en annonçant un plan de suppression des e-mails dans son entreprise d’ici à 2014. « L’e-mail est un outil formidable qui a été détourné. Si bien que le volume des e-mails n’est plus soutenable », avait-il alors expliqué en ajoutant que d’autres outils existaient.

En effet, aujourd’hui, les réseaux sociaux pour entreprises, comme BlueKiwi en Europe, prospèrent. Ces sites sont calqués sur Facebook ou Twitter : leurs utilisateurs ont un profil, constituent des cercles de relations, conversent entre eux, partagent des documents de travail avec le degré de confidentialité qu’ils souhaitent… Ils permettent aussi aux patrons de se faire une meilleure idée de l’efficacité de leurs employés ! Mais ces réseaux sociaux ne fonctionnent qu’en interne. L’e-mail reste incontournable pour les échanges avec l’extérieur.

Par ailleurs, les webmail sont en train de s’adapter aux nouvelles exigences des internautes. Exemple : Hotmail, qui constitue 85 % de parts de marché en Belgique, offre, depuis peu, une capacité de stockage illimitée de ses mails et la possibilité d’envoyer des pièces jointes jusqu’à dix giga-octets (soit 200 photos de 50 megas). Hotmail inclut également une messagerie instantanée. D’autres nouveautés sont annoncées, entre autres, pour les entreprises. En offrant davantage de services intégrés, les grands du webmail se rapprochent des réseaux sociaux. La seule manière sans doute, pour eux, de survivre.

A l’ère d’Internet, les moyens de communication évoluent très vite. Quand l’e-mail a été créé, il y a quarante ans et surtout lorsqu’il s’est généralisé dans les années 1990, il a bousculé nombre d’habitudes, coûté le poste à pas mal de secrétaires dactylo, relégué le téléfax aux oubliettes et réduit la distribution postale… Désormais, ce sont les réseaux sociaux qui font la loi dans le monde de la diffusion des messages. Eux aussi évolueront, surtout avec l’émergence du web 3.0 dit « intelligent ». Eux aussi apparaîtront vite chronophages. N’est-ce pas déjà le cas ?

THIERRY DENOËL

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