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Cyber harcèlement : les filles, victimes numéro un

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Sur le Net, pas de bousculade ni de racket, mais des rumeurs, des insultes, des photos et vidéos intimes mises en ligne sans l’accord des intéressés. Catherine Blaya, spécialiste du cyberharcèlement, explore cette forme de violence.

Professeure de sciences de l’éducation et à la tête de l’Observatoire européen de la violence scolaire, Catherine Blaya vient de publier un livre original : une somme inédite sur l’état de la recherche sur la cyberviolence et le cyberharcèlement entre jeunes. Elle y analyse aussi les politiques publiques et les modes d’intervention pour lutter contre ces phénomènes. Entretien.

Le Vif/L’Express : Depuis quand la cyberviolence est-elle devenue un objet de recherche scientifique ?

Catherine Blaya : Depuis la fin des années 1990, elle est un objet scientifique dans les pays scandinaves et anglo-saxons. Chez nous, en revanche, la recherche est plus récente : en France, par exemple, elle date d’il y a trois ans…

Les scientifiques s’accordent-ils sur une définition de la cyberviolence ?

Non ! Pour d’aucuns, il s’agit d’une violence à répétition, car il est difficile de l’arrêter : l’agression rebondit de portable en portable, par exemple. Pour d’autres, elle peut être ponctuelle. En réalité, la difficulté est de mesurer l’impact sur les victimes selon qu’elles sont confrontées à une violence ponctuelle ou répétée. Aucune étude ne l’a établi. Or l’impact n’est pas forcément le même.

Quelles sont les spécificités de ces violences ?

Le jeune qui n’ose pas agresser dans la réalité, va le faire sur la Toile, sur le portable : ces technologies agissent comme un désinhibiteur. Pour l’agresseur, le pouvoir de dissémination est aussi plus grand : il peut toucher sa victime où qu’elle soit. Il y a aussi ce sentiment d’impunité : il s’imagine que personne ne le retrouvera, ce qui l’amène à intensifier l’agression. Enfin, il y a ce que j’appelle l' »effet cockpit » : le harceleur est comme l’aviateur qui lance des bombes mais ne voit pas sur qui elles tombent.

Les violences numériques sont-elles aussi importantes qu’on le prétend ?

Oui, mais il faut pointer ici une nuance : il ne faut pas confondre cyberviolence et cyberharcèlement, qui reste moins fréquent. Ainsi, dans mon enquête, 40 % des jeunes disent avoir été victimes de violence sur le Net à une reprise, tandis que 6 % se déclarent l’être de façon répétée, au moins une fois par semaine : pour eux, il s’agit de harcèlement, et les effets psychologiques ne sont pas identiques.

Les victimes ont-elles un profil commun ?

Les « cybervictimes » le sont aussi dans la vie. Les filles se disent plus souvent visées que les garçons, notamment en ce qui concerne les insultes et les agressions sexuelles. Leur nombre serait même en augmentation. Cette hausse est en lien avec l’importance des réseaux sociaux chez les ados, et l’expression de l’agressivité chez les filles qui s’inscrit plus dans la communication relationnelle. Mais, attention, cela ne veut pas dire que les jeunes hommes ne sont pas ciblés…

Il existe une nouvelle forme d’escroquerie « à la nigériane » qui piège depuis peu les ados…

Des ados se font piéger sur Internet au cours d’un « plan Webcam » : ils croient dialoguer avec une fille, ils acceptent de se déshabiller devant caméra. Et aussitôt, le chantage commence : s’ils n’envoient pas de SMS surtaxés, la jeune fille menace d’envoyer leurs vidéos intimes sur les réseaux sociaux.

Le clip College Boy du groupe français Indochine met en scène un élève harcelé par ses camarades. Il a été très critiqué…

On est sans doute là dans un choc des cultures. Mais j’estime que ce clip est trop violent et qu’il peut être traumatisant pour des jeunes. Je ne suis pas d’avis qu’il faille dénoncer la violence en montrant de la violence…

Les Ados dans le cyber- espace. Prises de risque et cyberviolence, par Catherine Blaya, De Boeck, 248 p.

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