© Frédéric Pauwels

Zelzate et ses  » Wallons de Flandre « 

Toute la Flandre serait-elle sous la coupe de nationalistes ? Tel le village d’Astérix, Zelzate résiste au rouleau compresseur. Et vote massivement à gauche.

Il est fier, le Liégeois Raoul Hedebouw : « Regardez-les comme ils sont beaux ! » chuchote au troisième rang le jovial porte-parole du Parti du travail de Belgique (PTB, extrême gauche), dernier parti unitaire en Belgique. Eux, ce sont les six membres du PVDA (le PTB flamand), bien campés sur leurs chaises alors que le conseil communal de Zelzate va débuter. Avec plus de 22 % des voix aux dernières communales, ils pèsent sur une assemblée où les grands absents s’appellent N-VA et Vlaams Belang, sans le moindre élu. A deux encablures des Pays-Bas, Zelzate (12 500 habitants) engrange même le meilleur score du PTB à l’échelle du pays. « Je me sens chez moi ici ! » clame Hedebouw, venu rendre visite à ses camarades flamands, chacun parlant la langue de l’autre.

Dirigée par le bourgmestre Freddy De Vilder (SP.A), à la tête d’un collège qui réunit socialistes et libéraux, l’industrielle Zelzate passerait presque pour une métaphore de la Belgique : une commune coupée en deux par l’imposant canal Gand-Terneuzen, des crispations entre les deux parties de la ville, l’une plus dotée, l’autre un peu délaissée, et pour les relier, un pont qui reste parfois levé pendant des heures quand il ne tombe pas en panne. Il n’y a plus de train à Zelzate. Quelques rares bus De Lijn permettent de rejoindre la cité depuis Gand, passant entre vieilles usines et nouvelles PME, avec en toile de fond les tours de Sidmar et de Kuhlmann. Dans les années 1970, elle est devenue un laboratoire pour l’ex-Amada (ancêtre du PVDA). Les problèmes y étaient nombreux : pollution de l’air, expropriations, intégration des immigrés…

Avant, les socialistes y régnaient en maître. Tout passait par eux, des emplois aux habitations sociales. Puis ce fut la dégringolade. « Dans tous les bastions rouges de Flandre, le SP.A a reculé au profit des nationalistes, mais ici, le PVDA a réussi à endiguer le phénomène », explique Dirk Goemaere, membre de la « bande des six ». La recette ? « La proximité et l’écoute. » A Zelzate, comme à Herstal ou à La Louvière, les permanences gratuites de Médecine pour le peuple ont largement contribué au succès (relatif) du parti. Son nombre total d’élus communaux dans tout le pays est passé de 5 à 15 conseillers en 2006. A Zelzate, c’est aujourd’hui hui un quart de la ville qui se relaie dans la salle d’attente des « rode doctors ». Trois des élus, dont le « père spirituel » Frans Van Acoleyen (57 ans), sont d’ailleurs médecins. Et même plus que cela : personnes de confiance, à l’écoute de problèmes qui dépassent la médecine. Ces confidences se sont transformées en combats. A Zelzate, les élus PVDA sont fiers des succès engrangés. Ainsi, les usines ont été contraintes de diminuer drastiquement leurs émissions polluantes de benzène ou de dioxine. Une taxe indiscriminée sur les familles a été abolie. Les parcmètres supprimés. « Il fallait commencer de manière pragmatique. On n’allait tout de même pas attendre le Grand Soir », rigole Hedebouw.

Mais on ne renie pas pour autant les racines idéologiques : « Notre inspiration reste marxiste, pas comme le SP.A avec son jargon de gauche mais avec des pratiques libérales », persifle Dirk Goemaere. Imposer les sociétés et non les petites gens, l’antienne est connue. Mais elle fait mouche à Zelzate, où le PTB « travaille » son électorat autant dans les quartiers que dans les usines, à commencer par le géant Sidmar, aujourd’hui rebaptisé ArcelorMittal Gent. L’ex-sidérurgie maritime occupe encore 5 500 travailleurs, dont 500 habitent Zelzate. Pendant des années, rapporte le journaliste Thomas Blommaert (1), Sidmar aurait opté pour des recrutements en dehors de la commune. La raison ? Les Zelzatois avaient une réputation de syndiqués rétifs au travail et de champions de la grève, en quelque sorte la caricature qu’une certaine Flandre tient à l’endroit des Wallons. « Les Zelzatois sont un peu les Wallons de Flandre », résume Blommaert.

Les liens au-delà de la frontière linguistique sont anciens. Dans les années 1960, les métallos wallons ont apporté leur argent et leur savoir-faire pour construire Sidmar. Dans le sens inverse, des travailleurs zelzatois sont venus gagner leur pain dans les mines du Hainaut. Tout cela a rapproché les travailleurs. En 2008, à l’issue d’une journée de visite d’ouvriers flamands dans la cité des Loups, Frans Van Acoleyen avait conclu par ces mots : « Nous parlons tous la même langue, celle des travailleurs ; nous voulons tous la même sécurité sociale ; nos docteurs sont poursuivis par le même ordre des médecins ; nous sommes menacés par les mêmes crises, mais nous avons la même force, celle de la solidarité. » Tout le monde avait chaleureusement applaudi à l’issue d’une journée où Flamands et Wallons avaient ripaillé et dansé ensemble. « Vous trouverez peu de gens qui plaident ici pour la scission du pays, car on aurait tous à y perdre », confirme Goemaere, lui-même un ancien de Sidmar. Et ne parlez surtout pas aux Zelzatois de réunir la Flandre aux Pays-Bas : « Nous sommes bien plus proches de la chaleur wallonne que de la rigidité batave ! » réa-git le pétulant Willy Van der Sype, conservateur de l’improbable musée local consacré à Mietje Stroel, en français « Marie Pipi », présentée comme la fiancée officielle de Manneken Pis.

Zelzate serait-elle la commune la plus rebelle de Flandre ? Les 22 % d’électeurs qui votent PVDA ne sont pas tous des lecteurs du Petit Livre rouge. Et ce chiffre est à diviser par trois lors des législatives. En 2009, deux tiers de ses électeurs se sont tournés vers d’autres partis, dont le Vlaams Belang. Le PVDA parviendra-t-il à confirmer son succès aux communales de 2012 ? A voir. Les « problèmes des gens », à entendre les habitants, c’est surtout la sécurité. Zelzate a d’ailleurs décidé d’imposer la tolérance zéro depuis qu’une vingtaine de jeunes, connus sous le nom de « bande du Colruyt » (qui jouxte la gare des bus), a agressé un groupe de scouts. Le Belang s’est également emparé de l’affaire, espérant enfoncer un coin dans cette commune trop rouge à son goût. Mais pour Frans Van Acoleyen, « cette bande est composée autant d’allochtones que de jeunes des rues de Zelzate, avec un cocktail complexe de violence, de discrimination, de misère sociale, d’absence d’éducation, de chômage et d’ennui ». Pas facile, face à un tel « cocktail complexe », d’apporter des réponses simples, de celles qui font bingo aux élections. Après le scrutin de 2012, nul ne sait s’il y aura encore un docteur dans la salle communale.

FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE

(1) Auteur de Ik was nog nooit in Zelzate geweest (EPO, 2010).

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