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Zakia Khattabi : « Un audit pour améliorer le fonctionnement d’Ecolo »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

La députée fédérale s’exprime sur le malaise qui traverse Ecolo. « C’est notre intelligence qui nous fera sortir de la crise », insiste-t-elle. Emily Hoyos et Olivier Deleuze ? « Je ne leur demande pas de démissionner. » Pourrait-elle, un jour, bientôt, assumer la présidence du parti ? « Je ne suis pas mon premier choix. »

Elle est l’une des rares figures écologistes à avoir tiré son épingle du jeu dans la débâcle du 25 mai. Tête de liste à la Chambre, Zakia Khattabi a recueilli 9 285 voix, ce qui lui a valu d’entrer dans le top 10 des plus gros scores à Bruxelles, tous partis confondus. Sénatrice de 2009 à 2014, désormais députée fédérale, elle s’est tenue silencieuse pendant cinq semaines. Pour la première fois depuis le scrutin, elle confie au Vif/L’Express son point de vue sur la défaite électorale qu’a subie son parti. Elle s’exprime notamment au sujet de la question que se posent en ce moment de nombreux militants Ecolo : faut-il ou non remplacer les coprésidents Olivier Deleuze et Emily Hoyos ?

Le Vif/L’Express : Vous êtes réputée critique vis-à-vis de la direction d’Ecolo. Beaucoup s’attendaient à voir votre nom apparaître parmi les signataires de la motion du 13 juin. Porté par des personnalités comme Philippe Lamberts, Veronica Cremasco ou Philippe Defeyt, ce texte remettait en cause la coprésidence d’Emily Hoyos et d’Olivier Deleuze. Pourquoi ne pas l’avoir signé?

Zakia Khattabi : Je n’avais pas de problème avec le fond de la motion, mais avec le calendrier proposé par les signataires. A peine une semaine avant le dépôt de ce document, le conseil de fédération avait voté un mandat pour une mission d’évaluation, confiée à trois personnalités au-dessus de la mêlée. Dans la temporalité, ça me semblait un peu bizarre de venir proposer un autre schéma, quelques jours après le vote… Je trouvais qu’on allait trop vite. Ceci dit, il faut reconnaître que les signataires sont clairs quant à leur objectif et à leur agenda, là où ça reste nébuleux du côté de la direction. Ma non-signature est une marque de confiance vis-à-vis des instances de mon parti, et non vis-à-vis de la direction.

Est-ce à dire que vous êtes dans une position de méfiance par rapport aux coprésidents ?

Je suis en tout cas dans une position de stand-by. Les dirigeants du parti ont mis en place un dispositif d’évaluation, mais ils n’ont encore rien dit du tout. C’est interpellant, quand même. Je m’interroge autant sur la gestion de la défaite que sur la défaite elle-même.

Emily Hoyos et Olivier Deleuze doivent-ils démissionner ?

Dans la vie d’une organisation, après une défaite pareille, il est normal que la question de la légitimité de la présidence se pose. On l’a vu au SP.A avec Bruno Tobback, à l’UMP avec Jean-François Copé… Je mets ma main à couper que si les coprésidents avaient demandé la confiance juste après les élections, ils l’auraient obtenue. Ils ne l’ont pas fait, et ça donne lieu aux remous auxquels on assiste aujourd’hui.
Que reprochez-vous aux coprésidents ?

Ils auraient dû adopter une posture rassembleuse, annoncer qu’ils veilleraient à l’avenir à ce que chacun se sente bien dans le collectif. Mais je ne leur demande pas de démissionner… Jean-Marc Nollet vient d’être élu chef de groupe Ecolo à la Chambre, à la majorité des votants mais pas à l’unanimité. Sa première réaction a été de dire : « Ma tâche prioritaire sera de vous rassembler. » J’espérais ce genre d’attitude de la part d’Olivier Deleuze et Emily Hoyos. Au lieu de ça, ils font apparaître ceux qui ont un autre discours que le leur comme étant une frange putschiste. Certains proches de la direction, en s’exprimant publiquement ou en multipliant les commentaires en off dans la presse, ne font que délégitimer la parole qui n’est pas la leur et ça n’aide pas à la sérénité. Je regrette qu’on ne donne pas une place digne et respectable aux signataires de la motion. Ces signataires, ce sont des élus écologistes, ce sont des militants, c’est nous, ce ne sont pas des adversaires.

Comment envisagez-vous la suite ? Le flou actuel est-il tenable ?

Je continue de faire confiance à notre intelligence collective pour dégager une solution. C’est la spécificité d’Ecolo, ça. C’est son âme. Ce n’est pas comme dans un autre parti où j’attendrais que tout vienne de la direction. Pour la suite, tout est possible, on verra. Les crises, on connaît. Qui avait imaginé qu’un jour, Isabelle Durant et Olivier Deleuze mettraient Jacky Morael hors-jeu ? Et pourtant, c’est bien ce qui s’est produit en 1999. Et on s’en est remis.

L’ex-ministre bruxelloise Evelyne Huyttebroeck a déclaré dans La Libre Belgique qu’Ecolo pourrait à l’avenir confier sa présidence à une seule personne, et non à un duo. C’est une piste à suivre pour améliorer l’efficacité de votre parti ?

Je tiens au principe de la coprésidence comme à la prunelle de mes yeux. Notamment parce que cela garantit la présence d’une femme à la tête du parti. Ce n’est pas parce qu’on a maintenant une expérience malheureuse qu’il faut abandonner le principe.

Une expérience malheureuse ?

Ben, oui… Le déséquilibre flagrant entre Emily Hoyos et Olivier Deleuze sert tous ceux qui disent : vous voyez, ce système de direction en duo ne fonctionne pas, il y en a toujours un qui prend le pas sur l’autre. Pour l’instant, c’est vrai. Depuis le choix des gobelets jusqu’aux négociations avec les autres partis, tout est géré par une seule personne. Cela prête évidemment le flanc aux critiques de ceux qui remettent le principe en cause. Plutôt que de réfléchir au moyen de faire mieux fonctionner le principe, certains semblent prêts à abandonner purement et simplement le principe. Je ne suis pas d’accord.

Parmi les signataires de la motion, et même au-delà, un reproche revient de façon récurrente : un petit groupe de sept ou huit personnes (Emily Hoyos, Jean-Marc Nollet, Marcel Cheron…) aurait la mainmise sur Ecolo et tirerait toutes les ficelles du parti. Vous partagez cette analyse ou vous la jugez erronée ?

Ce n’est pas une analyse, c’est un constat, un fait objectif. Je peux d’ailleurs m’imaginer que si j’accédais à des responsabilités importantes, je chercherais moi aussi à m’entourer des personnes de confiance. Ce n’est pas ça qui pose problème. Là où ça devient problématique, c’est quand on étouffe les voix dissonantes et ça devient la pensée unique.

La pensée unique a gagné Ecolo ?

Je ne sais pas si c’était le cas sur le fond, mais sur la forme, sans aucun doute. On a tellement voulu partager nos participations gouvernementales, surtout en Wallonie, qu’il fallait lisser tous les messages et les débarrasser de la moindre aspérité.

Après la défaite de 2003, Ecolo s’est beaucoup remis en question, et a notamment professionnalisé son mode d’organisation. La structure tourne-t-elle aujourd’hui de façon optimale ou souffre-t-elle encore de graves dysfonctionnements ?

Je pense qu’il serait intéressant de procéder à un audit de notre fonctionnement, qui a été manifestement défaillant. C’est quelque chose qu’il faudra faire, je crois, indépendamment du processus d’évaluation de la défaite électorale. Comment être une organisation performante ? Comment faire en sorte que chacun tienne son rôle et ne se mêle pas de tout en permanence ? Pour répondre à ces questions, des outils d’analyse objectifs existent. Il nous faut une analyse organisationnelle, tout en sachant qu’Ecolo n’est pas une organisation comme les autres et qu’il y a un équilibre à trouver en permanence entre efficacité et respect de nos valeurs. Si on veut peser sur le champ politique, nous ne pouvons pas faire abstraction des règles du jeu politique, qui ont été décidées par d’autres que nous. On ne peut pas juste les rejeter en bloc.

Certains écologistes envisagent, voire souhaitent, une coprésidence de Jean-Marc Nollet et de Zoé Genot. Que pensez-vous de cette hypothèse ? Jean-Marc Nollet a démenti avec vigueur, arguant que ce scénario, c’était « n’importe quoi ». Est-il pour autant exclu ?

J’étais une des premières à soutenir le fait que Jean-Marc Nollet prenne la présidence du groupe à la Chambre. Mais de la présidence du groupe à la présidence du parti, il y a un pas que je ne suis pas prête à faire. In tempore non suspecto, si en face de la candidature d’Emily Hoyos et Olivier Deleuze, un duo Genot-Nollet s’était présenté, j’aurais été heureuse de soutenir cette équipe-là. Mais entre-temps, il y a eu une participation gouvernementale, et Nollet n’en sort pas renforcé. S’agissant de la présidence du parti, il faut attendre la fin de l’évaluation en cours. Toute autre considération est prématurée.

Votre nom figure aussi dans la liste des outsiders possibles, au cas où la présidence du parti serait remise en jeu. Vous seriez prête à « faire le job » si un consensus se dégageait autour de vous ?

Franchement, je ne sais pas… Disons que je ne suis pas mon premier choix.

Comment voyez-vous l’avenir d’Ecolo ?

Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’avenir du parti en tant que tel. La structure Ecolo survivra, je n’ai aucun doute là-dessus. Non, ce qui se joue maintenant, c’est la persistance d’un parti qui reste fondamentalement différent des autres. Ces dernières années, on n’a plus fait confiance à notre intelligence collective. C’est pour cette raison que ma confiance, elle va avant tout au « nous » écologiste, aux militants, aux députés, aux instances démocratiques du parti, plutôt qu’à la direction. C’est cette intelligence collective qui nous fera sortir de la crise.

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