© BELGA

Zakia Khattabi, l’olive verte

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Coprésidente d’Ecolo depuis un an, Zakia Khattabi découvre encore le métier et ses exigences. Elle n’est pas prête à sacrifier ses valeurs à l’efficacité politique. Mais elle n’a rien à perdre. Elle a déjà tout gagné.

Elle a choisi la banquette, pour garder un oeil sur les portes de sortie. Rien de ce qui enferme ne lui est supportable. Zakia Khattabi, coprésidente d’Ecolo, n’a pourtant rien à craindre : elle n’est pas « enfermable ». On ne cadenasse pas les OVNI. Et, dans le monde politique, elle en est un. Elue pour la première fois en 2009, elle dirige le parti six ans plus tard… Dans le monde si convenu de la politique, elle marche à côté des rails, désormais avec jubilation. « Echapper aux codes est devenu un jeu », sourit-elle. Autant elle s’est, pendant des années, considérée comme une usurpatrice pour qui il n’était pas naturel de siéger à l’assemblée, autant elle assume aujourd’hui sans complexe.

Ce n’était pas (encore) le cas en mars 2015, quand elle a décroché la coprésidence des verts, avec le Wallon Patrick Dupriez. « Même si elle est consciente de ses qualités, elle doute plus qu’un autre », glisse Mohssin El Ghabri, conseiller chez Etopia, le service d’études d’Ecolo. Certains écologistes la trouvent d’ailleurs hésitante. « Les gens qui montent d’un coup de plusieurs classes sociales sont souvent pris d’un sentiment de vertige », expose son chef de cabinet Christophe Derenne. En un an, elle a pourtant déjà changé : Zakia Khattabi apprend vite.

Car c’est d’abord une intellectuelle, vive et curieuse. Titulaire d’une licence en travail social de l’ULB et d’un diplôme d’assistante sociale, elle a financé ses études elle-même. Bien qu’elle refuse de brandir l’étendard de l’immigration réussie, elle ne peut nier l’évidence. Fille d’un père enfant des rues puis ouvrier et d’une mère au foyer venus du Maroc, élevée dans les meilleures écoles catholiques de Bruxelles, elle a « réussi ». « Mais combien d’autres échouent ? » interroge-t-elle.

De cette enfance qui sentait bon l’huile d’olive, elle a gardé le sens des institutions, vénérées dans la maison familiale de Schaerbeek, et du clan. Et, plus que tout, l’indispensable chaleur de sa soeur jumelle, si proche qu’elle a longtemps cru qu’elle portait un double prénom, le sien et celui de sa complice de naissance mêlés. Zakia grandit avec ses quatre frères et soeurs et jamais ses copines d’alors ne devineront dans quel milieu elle vit. Enfant, elle consacre son temps à étudier et à lire. Il lui arrive de dévorer le dictionnaire. Elle est de ceux qui disent « tout-à-fait » à la place de « oui »…

Tout cela a sans doute pesé lorsqu’elle s’est présentée, en septembre 2008, à l’Académie verte, qui forme les futurs cadres d’Ecolo. « On a été scotchés par son potentiel politique hors du commun, raconte Christophe Derenne. Très à l’aise, elle alliait la sensibilité, la curiosité, l’intelligence et le charisme. »

A l’époque, Zakia Khattabi a 32 ans. Elle a déjà travaillé au Centre pour l’égalité des chances et à la Politique scientifique fédérale. Proche du mouvement féministe, laïque jusqu’au bout de ses ongles vernis, elle n’a pas étudié à l’UCL, ni n’est passée par la FEF (Fédération des étudiants francophones), comme bien des écologistes. « Elle est un peu hors piliers », enchaîne le député Ecolo Benoit Hellings. Certains le lui reprochent ? Elle, s’en réjouit. Et peu à peu, s’autorise à critiquer durement, en bureau politique, la ligne du parti.

« On dirait une reine »

Parlementaire engagée et pugnace, notamment dans les dossiers de justice et d’enseignement, elle est plus centrée sur les enjeux politiques que technicienne. « Je l’ai trouvée très professionnelle », détaille une élue centriste. On se remémore la ministre Maggy De Block s’emportant contre elle – un beau coup politico-médiatique. « J’ai été frappée par la capacité de Zakia à comprendre le raisonnement juridique et à lui apporter un autre éclairage, embraie l’avocate libérale Christine Defraigne. Je me souviens de débats fructueux, intelligents et argumentés, avec beaucoup d’humanité. Il n’y avait pas de petits jeux politiciens entre nous, même si nous n’étions pas d’accord sur tout. » Certains juristes, prompts à épingler leurs non-pairs en commission Justice, ont un avis moins tendre sur ses compétences. Elle se revoit, elle, « mettant ses tripes sur la table » dans les débats. Lorsque le socialiste Philippe Mahoux lui proposait ensuite de discuter autour d’un café, la chose lui semblait inconcevable…

Ce travail de parlementaire et la liberté de ton qu’il offrait, Zakia Khattabi les adorait. Désormais, elle assiste, altière, aux séances plénières à la Chambre depuis la tribune, puisqu’elle n’est plus députée. Le lieu lui donne toujours des frissons. « On dirait une reine », a soufflé un jour un député Groen.

Savait-elle ce à quoi elle s’engageait en se portant candidate à la direction du parti ? Sans doute pas. Elle y est allée davantage par devoir que par envie. « Je ne suis pas mon premier choix », déclarait celle qui ne manque pourtant pas de fierté. « Disons qu’elle a foncé en reculant vers la présidence », ironise un élu vert. Le pouvoir ne la motive pas ; elle le convoite pour ce qu’il permet. Aucun autre duo de candidats n’émergeait par ailleurs de manière évidente. Le parti est à l’époque en lambeaux après une coprésidence Deleuze-Hoyos qui s’est achevée sur un fiasco électoral et de violentes tensions internes.

La campagne électorale confirme le schisme. D’un côté les figures historiques, dont Isabelle Durant, Marcel Cheron, ou Jean-Marc Nollet, qui ont soutenu la participation au pouvoir. De l’autre, des figures montantes, comme le député européen Philippe Lamberts ou la députée Zoé Genot. Les premiers redoutent la candidature Khattabi-Dupriez, jugée hostile, un coup de barre à gauche toute, voire une implosion du mouvement. Les seconds réclament un retour aux fondamentaux de l’écologie politique. Parmi les mêmes premiers, convaincus que Zakia Khattabi n’a pas la carrure, certains lui déconseillent d’y aller. D’autres, qui la surnomment « Madame la Baronne », vont jusqu’à lui reprocher ses boucles d’oreille en perles, ses vêtements chics, voire ses bottes. Elle n’en a cure. « Si je me présente chez ma mère sans être bien habillée, c’est ma fête ! », rétorque l’intéressée. Elle sait d’où elle vient. Et la durée, et le prix du voyage.

Le duo Khattabi-Dupriez remporte 60 % des voix. Son petit cercle de campagne ne compte qu’un seul historique, Jacky Morael. Les autres sont les élus Alain Maron, Zoé Genot, Benoit Hellings, Cécile Thibaut, Sarah Turine. Hors Ecolo, Mathias El Berhoumi, professeur de droit à l’université de Saint-Louis, et le philosophe John Pitzeys (Crisp) ont aussi son oreille. « Elle écoute tout le monde, mais pas avec le même volume », regrette un député Ecolo. Cette « solitaire collectiviste », attachée à son indépendance, dément. Depuis l’élection, les historiques ne mouftent pas, du moins en apparence.

Plus mordants

Voilà Zakia Khattabi dans l’arène, chargée de la verte parole. Pour cette intuitive, impulsive au point de frôler parfois la maladresse politique, l’apprentissage est exigeant. Car un président de parti ne peut pas tout se permettre. Or, elle n’est pas prête à brader ses valeurs au nom de l’efficacité politique. On ne lui fera pas dire non plus ce qu’elle ne pense pas. « Elle connaît les codes mais elle ne les utilise pas parce que ce serait se faire violence », témoigne Mohssin El Ghabri. Du coup, d’aucuns jugent son caractère intransigeant, donc indissoluble dans le compromis. « Elle a une approche morale et pas fonctionnelle de la politique », maugrée un écologiste.

Tenue de redresser un parti en capilotade, mais par principe allergique au leadership, l’élue ixelloise doit d’abord réunifier les troupes. Malgré des équipes décimées, Ecolo doit aussi reprendre sa place sur l’échiquier. Ce qu’il fait peu à peu. « La communication des verts s’est affinée, observe le député socialiste Ahmed Laaouej. Ils sont plus mordants et plus efficaces. »

Merci Twitter, auquel Zakia Khattabi consacre un temps certain tout en assurant pouvoir s’en passer. Là encore, elle tranche avec les pratiques du passé. Ses sorties, trempées dans le jus de ciguë sucré au sarcasme, débouchent souvent sur des interviews. Une aubaine, tant l’espace d’expression est réduit pour l’opposition. Mais le moindre dérapage peut faire mal, comme lorsque la cheffe de file des verts a évoqué sa peur de prendre le métro après les attentats de Bruxelles. Une bévue, qu’elle a elle-même reconnue. « Ça peut arriver à tout le monde, commente Michel Genet, directeur d’Etopia. Cela dit, quel autre président de parti prend le métro ? » « Lâcher une telle énormité, pour un parti qui prône la mobilité douce, c’est se tirer une balle dans le pied », s’emporte un député. Il n’est pas le seul à penser que l’hyperréactive Zakia Khattabi devrait plutôt cultiver la rareté de sa parole. Et se comporter en cheffe de meute.

« Il faut laisser les gens faire leur preuves, conseille Olivier Maingain, le président de DéFI. La vie politique est un long apprentissage. » L’ancien coprésident Jean-Michel Javaux, porté aux nues en fin de règne, a mis des années avant de s’imposer. De la même façon, Zakia Khattabi et Patrick Dupriez n’apparaissent pas parmi les 20 premières personnalités politiques francophones. Mais Ecolo (re)vient de loin.

Pour être reconnue politiquement, Zakia Khattabi devra engranger des victoires. Et perdre l’aspect froid et cassant qu’elle porte comme une armure, alors qu’elle est simple, chaleureuse et… très drôle. « Elle gagnerait à sortir d’elle-même », suggère une élue centriste. Peu sans doute ont accès à cette part d’elle-même qui avoue combien les notes du baroque la bouleversent, le fado l’émeut, et la musique arabo-andalouse la touche. Peu savent qu’elle chante. « C’est un morceau de moi qu’ils n’auront pas », murmure-t-elle.

Peut-être pourrait-elle à l’avenir se mouiller davantage, dans tous les milieux. Et apprendre à maîtriser ses émotions, fruits d’une sensibilité à fleur de peau, même si elle est, aussi, solide. Une nécessité dans un milieu politique à hautes tensions. « Elle apprend, jurent ses proches. Et se renforce de mois en mois. » Au fil du temps, elle pourrait même réserver bien des surprises…

Dans un peu moins de trois ans, Zakia Khattabi quittera (peut-être) la coprésidence. Et un autre jour (peut-être), la vie politique. « Je sortirai réconciliée avec le monde parce que j’aurai désacralisé la fonction », confie-t-elle. Nul doute que Benoît Lutgen, président du CDH, lui fera alors envoyer des fleurs, comme il l’avait fait lors de son élection à la tête d’Ecolo. « On avait dit à Zakia que ce serait un test », sourit un conseiller d’Etopia. Elle l’avait réussi. ●

Bio express

1976 Naissance, le 15 janvier, à Saint-Josse-ten-Noode.

2009 Députée bruxelloise, de la Communauté française et sénatrice de Communauté.

2010 Secrétaire politique de la section Ecolo d’Ixelles.

2015 : élue coprésidente d’Ecolo, le 22 mars.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire