Le bourgmestre de la Ville de Bruxelles Yvan Mayeur. © Belga

Yvan Mayeur: « Je ne suis pas l’opérateur du maintien de l’ordre »

Le bourgmestre de Bruxelles, mis en cause par des policiers pour son attitude durant la manifestation de jeudi, se défend de tout attentisme. Voici ce qu’il nous disait vendredi en milieu d’après-midi.

Le Vif/L’Express: Le modèle bruxellois de gestion de l’espace public par la police, souvent cité en exemple, a failli, jeudi dernier… Elle repose sur une confiance réciproque entre la police et le chef de la police administrative, c’est-à-dire, vous.

Yvan Mayeur: Je suis mille fois d’accord avec ce modèle. J’ai besoin d’avoir confiance aussi et qu’on me donne les éléments pour avoir confiance. Là, la police a dû s’adapter à ma personnalité. Je suis quelqu’un qui pousse plutôt les autres à dire. Je n’ai pas toujours eu affaire à des gens qui m’ont correctement exprimé les conséquences des choix qui m’étaient proposés. J’ai donc demandé à ce que l’on modifie l’organigramme (NDLR : en septembre, déplacement du numéro 2 de la police de Bruxelles-Ixelles, Luc Ysebaert). Je veux avoir à faire à des gens avec lesquels je peux parler, confronter, dialoguer, puis, ensemble, prendre une décision qui ferait consensus et pas me mettre dans un rapport d’influences contradictoires entre la police et moi. Il faut arriver à la fin à un consensus. On y est maintenant, j’ai l’impression. En tout cas, j’ai été très satisfait de la manière dont la manifestation a été préparée, gérée et vécue hier, sauf la fin. C’était un phénomène à la fois attendu et qu’on a pensé, à la fois, pouvoir éviter. Toute la journée, les types ont provoqué, toute la journée, on a décidé de ne pas répondre aux provocations, de plutôt apaiser les choses. Parce qu’en fait, ce que les types cherchaient depuis le début, c’était d’entraîner toute la manifestation dans une bagarre, c’était le piège dans lequel il ne fallait surtout pas tomber parce que, sinon, des manifestants paisibles et légitimes auraient été embarqués malgré eux dans un mouvement violent. Nous sommes alliés à ce moment-là, nous autorités publiques et forces de l’ordre, et services d’ordre syndicaux. J’ai été hier tout le temps en contact avec les leaders syndicaux. On a convenu ensembles de la manière de faire. Mais y compris les leaders syndicaux, nous ont bien fait comprendre qu’ils n’avaient pas les moyens de contrôler ces types-là. A un moment donné, on sort du champ de ce qui a été convenu dans l’organisation du maintien de l’ordre. Ce qui signifie que l’organisation du maintien de l’ordre fonctionne mais il y a ce qui n’est pas convenu et qui pose problème. Des gens qui ont été faire un petit tour au-delà du périmètre sans porter atteinte au périmètre interdit, on peut gérer, ça. Par contre, dès lors qu’il y a intention violente. Il faut alors savoir quand on intervient et quelle est la limite de l’intervention répressive. C’est ce qu’on a dû évaluer, et ce n’est pas toujours évident, parce qu’il y a ceux qui sont sur le terrain, confrontés frontalement à la situation. Il y a les chefs policiers qui sont au poste de commandement, qui ont les images, bien sûr, et moi, je ne suis pas censé voir les images, je suis censé prendre la décision avec le recul nécessaire.

Mais vous auriez pu être au « bunker », au poste de commandement situé au Parc des expositions de Bruxelles ?

Mais je ne peux pas voir les images, autant que je reste ici.

En tant que bourgmestre, vous ne pouvez pas voir les images des caméras et de l’hélicoptère ?

Oui, c’est l’idée, pour prendre de la distance et ne pas être choqué par une image et dire on fonce dans le tas. Je ne suis pas l’opérateur du maintien de l’ordre.

C’est « Gold », le chef de la police de Bruxelles-Ixelles…

Oui, mais ils doivent avoir mon accord pour l’utilisation de certaines méthodes.

A quel moment avez-vous donné votre feu vert à l’utilisation des autopompes, des gaz lacrymogènes et à une charge policière ?

Je ne sais plus, mais au moment où on a convenu ensemble que ça suffisait.

A quelle heure ?

Je ne sais pas. C’était au moment où les types étaient à la porte de Hal.

Qu’est-ce qu’on vous dit ? Quelles sont les options qui vous sont présentées ? Et à laquelle vous êtes-vous rallié ?

On me dit les types de débordement, j’évalue les choses, si les gens sortent du parcours et continuent à manifester, peut-être pas sur le chemin convenu, c’est gérable, même s’ils sont très véhéments, on leur explique de manière gentille qu’ils doivent rejoindre le parcours négocié. Souvent, les gens ont décidé de ce qui était le parcours. Ce n’est pas la loi. C’est l’autorité administrative qui décide. Des gens contestent ça, on le sait, c’est fréquent. On gère. Hier (jeudi), c’est ça qui est passé. Hier (jeudi), leur tentative d’entraîner toute la manif a échoué. Donc, de ce point de vue-là, l’attitude de la police était excellente. Et ensuite, de rage, voyant que leur stratégie ne fonctionnait pas, ils sont passés à des actes plus violents, ils ont cassé des véhicules, du mobilier urbain, puis la bagarre, la confrontation directe avec la police. Et là, à ce moment-là, et vu le nombre de blessés qui avaient déjà été constatés, et le nombre de dégâts à des biens appartenant à des particuliers, ensemble, on a convenu que la limite était atteinte et qu’on pouvait sans porter préjudice à l’ensemble de la manifestation, c’est l’équilibre qu’il fallait trouver, on pouvait alors passer à l’action plus ferme. Il faut que la réaction de la police n’entraîne pas que toute la manif soit derrière eux : c’était le point d’équilibre à trouver. Ce n’était pas évident.

Vous connaissiez la nature des moyens qui allaient être mis en oeuvre, jets d’eau et gaz lacrymogènes dit familiaux ?

Y compris ceux qu’on n’a pas utilisés. On est très loin de la situation française. Elle est mieux maîtrisée ici.

J’ignore si le feu vert vous a été proposé avant, mais n’avez-vous pas l’impression que celui-ci est venu trop tard ?

Dès qu’on me l’a proposé, j’ai dit oui, mais j’ai voulu les paramètres dont j’ai parlé (pas de contagion sur la manif, blessés et dégâts importants, menaces pour la sécurité des personnes).

A quelle heure approximative ?

Il y a deux coups de fil qui se suivent autour de 16h30. Cela se situe entre 15h30 et 16h30. On a eu plein d’échanges entre ces deux moments-là. Je ne sais plus quand on a dit go, c’est entre 15h30 et 16h30.

Vous avez des nouvelles du policier qui, le soir des faits, avait perdu la vue suite à une commotion cérébrale ?

Je ne sais pas, non.

C’est un bilan élevé…

Cent policiers blessés, dont deux grièvement.

Vous allez attaquer le syndicat ?

Non, ce sont des plaintes contre des individus. Les trois organisations syndicales, flamandes et francophones, ont géré avec nous l’encadrement du maintien de l’ordre de manière impeccable. C’est ça le bon modèle, celui du dialogue et de la construction de la manière dont les choses doivent être gérées. Il ne faut surtout pas changer cela parce que deux cent énergumènes veulent remettre en cause notre système d’expression sociale.

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