Au White, dans des salles design, on ne projette que des films en version originale sous-titrée. © WHITE CINEMA

White Cinema aux Docks : quand Bruxelles refait son cinéma

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le White Cinema s’est ouvert dans un parc de salles bruxellois où la cinéphilie ne veut pas broyer du noir. Etat des lieux et des écrans.

Doit-on encore parler de salles obscures quand un cinéma choisit le blanc comme thème dominant, au point d’en faire son nom et son principal véhicule de com ? Le White Cinema s’est ouvert à Bruxelles, en octobre dernier, en même temps que le centre commercial qui l’abrite : Docks Bruxsel. Dès la grande terrasse intérieure, offrant tables et chaises à profusion autour d’une caisse en forme de kiosque, l’impression est marquante. Le blanc habille espace et mobilier, long bar et couloirs, dans une lumière kubrickienne façon 2001 : A Space Odyssey. Design et confort sont au rendez-vous d’un complexe de huit salles souhaitant offrir un accueil et une expérience plus originale et personnalisée que celle des grandes chaînes Kinepolis et UGC.

Responsable de la programmation, Olivier Meyvaert met en exergue  » l’envie de faire revenir au cinéma des spectateurs qu’on avait perdus en chemin.  » Il regrette certaines pratiques en vigueur ailleurs comme  » le fait de couper le film en deux pour faire un entracte et vendre de la nourriture, des boissons, de laisser les gens discuter à voix haute, laisser leur gsm allumé : tout ça finit par faire une expérience plus désagréable qu’autre chose…  » Et d’épingler aussi le manque d’accueil, les suppléments de prix (pour les films longs, pour la 3D, etc.), les films non sous-titrés.  » Au White Cinema, nous pratiquons le prix fixe, nous ne projetons que des versions originales sous-titrées, sauf pour certains dessins animés attirant les enfants, et le personnel conseille ceux et celles qui choisissent leur film une fois sur place.  »

Des cinémas à service augmenté

 » C’est important d’apporter quelque chose de spécial, de faire en sorte qu’aller au cinéma soit une expérience plus intense que simplement s’asseoir et voir un film !  » déclare Jérôme Branders, qui préside aux destinées de l’Aventure au centre-ville. L’ambitieuse rénovation de ce cinéma délaissé, puis ressuscité de spectaculaire façon au début 2010, est une des dernières success-stories en date de l’exploitation  » pointue « , pariant sur la qualité plus que la quantité. Accueil, confort, exigence technique (la meilleure 3D à Bruxelles) et programmation soignée : tels sont les atouts d’un lieu qui a trouvé sa place dans le parc réduit des écrans cinéphiles,  » art et essai « , existant encore dans une ville dominée sinon par les grands groupes et leurs complexes (UGC à de Brouckère et Toison d’Or, Kinepolis à Brupark). L’Aventure propose du cinéma d’auteur, avec l’accent sur le documentaire et même, par moments, des séries télévisées comme La Trêve (un succès).

Le White Cinema, au Docks Bruxsel, porte bien son nom.
Le White Cinema, au Docks Bruxsel, porte bien son nom.© WHITE CINEMA

Non loin de là, au Galeries, Edouard Meier exprime lui aussi son credo pour  » un cinéma à service augmenté « .  » Les petits mais aussi les grands partagent cette conviction, explique-t-il, le passage au digital permettant de projeter autre chose que des films (comme UGC qui programme de l’opéra). Au congrès européen des cinémas (Europa Cinemas), toutes les tables rondes tournent autour de ça : le développement des publics par d’autres événements que permet le numérique, y compris le « live » (musique, theâtre). Nous, au Galeries, on se concentre sur le cinéma mais avec une offre multipliée : rétrospective d’un auteur (David Lynch, Tsai Ming-liang, Apichatpong Weerasethakul) avec exposition associée, projections de vidéos, séances exceptionnelles dans des sites extérieurs, spectacle vivant…  »

Une économie de l’offre

La créativité est donc au menu obligé de ce qui reste, y compris sur la scène cinéphile (toujours estampillée  » art et essai  » et pouvant bénéficier d’un soutien public plafonné à 300 000 euros par an), une économie de l’offre. On se multiplie, on se singularise comme le Nova qui fête en ce mois de janvier son 20e anniversaire et ne cesse de développer une politique radicale, expérimentale, avec une infatigable audace et en montrant des films rares ou inédits, souvent dans le cadre de programmes thématiques tranchants.

 » S’il y a parfois compétition autour de certains films d’auteur attendus, que plusieurs écrans tentent d’attirer, il n’y a pas de guerre entre nous et même l’arrivée du Pathé Palace serait une bonne nouvelle pour le pôle « art et essai » « , nous dit un responsable de salles du bas de la ville. Une zone active comprenant aussi l’Actor’s Studio, tandis que le Vendôme domine toujours le haut de Bruxelles, le méritant Flagey étant quelque peu excentré.

Mais parlons-en, du Pathé Palace ! Dix ans déjà que se fait attendre l’ouverture de ce complexe situé dans le bâtiment historique de Paul Hamesse, édifié pour la société Pathé avant la Première Guerre mondiale et racheté par la Communauté française (désormais Fédération Wallonie-Bruxelles). Une quinzaine de millions d’euros d’argent public ont été dépensés, déjà, notamment pour d’indispensables travaux. Mais la (belle) coquille est toujours vide… Olivier Rey, directeur général, assure qu’un budget de fonctionnement est enfin réuni, et que le Palace nouveau  » accueillera ses premiers spectateurs en novembre 2017, dans quatre salles avec 650 places au total « .

 » Sans nouvelles embûches, précise- t-il toutefois rapidement, car il y en a déjà eu beaucoup, et c’est un euphémisme… « . L’argent nécessaire au solde des travaux est disponible à la Fédération (à charge pour l’asbl porteuse du projet de le mettre en oeuvre). Cela incluant l’installation des fauteuils et des projecteurs. Reste à trouver le budget de fonctionnement,  » un fond de roulement qui se négocie en ce moment « , et sur lequel Olivier Rey, prudent mais optimiste, ne veut pas s’épancher…

 » Pour Bruxelles, voir s’ouvrir un nouveau lieu « art et essai », soutenu qui plus est par nos plus grands cinéastes (NDLR : les Dardenne), est une chance ! Plus il y a d’écrans, plus il y de spectateurs ! Il y a encore tellement de films qui ne sortent pas…  » Le responsable de salles ajoute cependant, relayant un sentiment ressenti aussi chez d’autres :  » Malheureusement, la manière et les moyens inquiètent. Dans un parc « art et essai » très parcellisé, de salles indépendantes conçues sur le modèle public-privé avec de l’investissement privé assez conséquent, on se bat tous pour obtenir les films de l’année (le Woody Allen, le Almodovar, le Michael Haneke) qui permettent de survivre. Que se passera-t-il sur ce plan avec le Palace, un opérateur bénéficiant d’un soutien public disproportionné, malgré une mauvaise gestion de l’ensemble du projet ?  »

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