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Waterloo a failli se rejouer en 1914

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La bataille mythique trotte dans les têtes des soldats de la Grande Guerre. Dans les tranchées, on espère en vain un nouveau « 18 juin » sur l’ancien champ de bataille. L’historien Philippe Raxhon révèle comment  » le centenaire sanglant  » de Waterloo fut mobilisé en 14-18.

Début août 1914. Otto von Emmich, commandant de l’armée de la Meuse, pénètre sans crier gare en Belgique avec, en poche, une proclamation « au peuple belge » que ses troupes ont pour consigne de distribuer sur leur passage. Le général allemand croit convaincre les Belges de lui laisser le chemin libre en les prenant par les sentiments : « Souvenez-vous des glorieux jours de Waterloo où les armes allemandes ont contribué à fonder et à établir l’indépendance et la prospérité de votre patrie. »

« En 1914, la balise Waterloo a joué son rôle, comme un phare dans la nuit des guerres », écrit l’historien Philippe Raxhon dans un livre (1) à paraître consacré au centenaire de Waterloo happé par le tourbillon de la Grande Guerre. Les deux camps songent même à se donner rendez-vous sur l’ancien champ de bataille pour une grande explication décisive.

Le Vif/ L’Express :Vous écrivez : « Napoléon le vaincu est invité dès l’ouverture du bal. » L’ombre de Waterloo plane d’emblée sur la Première Guerre. Surprenant ?

Philippe Raxhon : Nous sommes à proximité de 1915, cent ans après Waterloo. L’effet commémoratif est mis en perspective par les différents belligérants, de manière remarquablement nourrie, notamment par la propagande, alors que les alliances ont basculé. Une caricature américaine montre Napoléon et Wellington côte-à-côte avec la mention : « Maintenant nous sommes du même côté ». Et en dépit de l’actualité terrifiante du nouveau conflit, Napoléon est convoqué par la République française, le Napoléon du Mémorial de Sainte-Hélène, l’immortel génie militaire français diffuseur des principes de la Révolution en Europe.

Le souvenir de Waterloo est ainsi mobilisé, instrumentalisé par les belligérants ?

Oui, et tout au long de la guerre, de diverses manières dans les deux camps. Le but est notamment de valoriser le courage des soldats en référence à leurs aïeuls à Waterloo, ou la valeur des chefs de guerre de 1815 qui incarnaient leur nation respective. L’Allemand Hindenburg est le nouveau Blücher, et le général anglais French, commandant en chef du corps expéditionnaire britannique, ne peut qu’avoir la stature de Wellington. Napoléon conseille le maréchal Foch, généralissime des armées alliées. Tous les supports sont sollicités pour valoriser cette mémoire : presse, publicité, récits de guerre, affiches… Nous en donnons beaucoup d’exemples dans l’ouvrage illustré.

Plus fort encore : un « Waterloo bis » a même failli se dérouler au début de la guerre…

Absolument. C’est lié à deux choses : le rêve illusoire de la grande bataille traditionnelle, où les comptes sont réglés en une journée, qui est encore dans la tête des combattants de 14. Et la géographie des combats, aux alentours du 20 août 1914, avec, d’une part, la poussée des Français vers Charleroi et des Anglais vers Mons, alors que les Allemands prennent Bruxelles et font mouvement vers le sud. A près d’un siècle de distance, le champ de bataille de Waterloo devient une sorte d’aimant où s’achèverait déjà cette guerre. C’est la force de la mémoire couplée à celle d’un espoir. L’espoir d’une grande bataille décisive qui n’aura finalement pas lieu. Mais qui ose se l’avouer à la fin de l’été 1914 ?

La Première Guerre mondiale réhabilite-t-elle les soldats belges qui s’étaient battus à Waterloo et qui avaient été jugés sévèrement pour leur prétendu manque de combativité ?

Effectivement, en particulier par rapport à l’historiographie anglaise du XIXe siècle, où les Belges avaient la réputation de couards. Tout change en août 1914. L’attitude du soldat belge à Waterloo est complètement revisitée à la lumière de celle du combattant de l’été 1914 qui défend son pays. C’est un phénomène mémoriel remarquable. Le New York Times du 16 août 1914 titre : « Belgians’ heroic stand a repetition of 1815 ». La vision du passé est toujours éclairée par l’actualité.

(1) Centenaire sanglant. La bataille de Waterloo dans la première guerre mondiale, par Philippe Raxhon, éd. Marot, 220 p., 130 illustrations. A paraître au printemps 2015.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec:

– Pourquoi la Belgique n’est pas née à Waterloo

– Aigle impérial ou bannière hollandaise ? Les Belges pris entre deux feux- Waterloo, fascinant champ d’horreurs

– La Flandre tourne le dos au Bicentenaire

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