Carlo Di Antonio veille-t-il à ce que son parti soit aux commandes de la politique de l'aménagement du territoire wallon ? © Benoit Doppagne/photo news

Wallonie : comment le CDH s’est emparé de l’aménagement du territoire

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La moitié des postes clés pour l’aménagement du territoire wallon sont occcupés par des fonctionnaires proches du CDH. Pour ne pas dire très proches. En un an, le ministre Carlo Di Antonio a placé deux membres de son cabinet parmi les huit fonctionnaires délégués.

Carlo Di Antonio veille-t-il à ce que son parti soit aux commandes de la politique de l’aménagement du territoire, en Région wallonne ? Et ce, quoi qu’il advienne du CDH aux élections régionales de mai prochain ? Sur les dix postes hiérarchiques les plus élevés pour cette compétence, cinq au moins sont en tout cas occupés par des fonctionnaires étiquetés CDH. Soit nettement plus que le poids électoral du parti centriste au sud du pays : 13 députés le représentent au parlement de Wallonie, sur un total de 75 sièges. Deux de ces postes de fonctionnaires délégués ont récemment été attribués à d’anciens membres du cabinet Di Antonio : Vincent Desquesnes, depuis le 10 mai 2017, et Cédric Dresse, depuis le 1er juin 2017.  » Il s’agit très clairement de nominations politiques, déplore Christian Radelet, fonctionnaire délégué du Brabant wallon, proche du Gerfa (Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative). Ces parachutages de fonctionnaires – certes de qualité – extraits du cabinet du ministre ont provoqué d’énormes dégâts parmi les agents les plus anciens, qui pouvaient légitimement prétendre au poste.  »

Sur les dix postes hiérarchiques les plus élevés, cinq au moins sont occupés par des fonctionnaires étiquetés CDH.

Interrogé par nos soins, le cabinet Di Antonio rappelle que les deux hommes sont arrivés premiers de l’épreuve de sélection.  » Il serait candide de penser qu’en nommant deux anciens du cabinet à des postes de fonctionnaires délégués, il n’y a pas un choix politique qui est posé, analyse Pierre-Yves Dermagne, chef de groupe socialiste au parlement de Wallonie et membre de la commission de l’aménagement du territoire, désormais sur les bancs de l’opposition. Il est clair aussi qu’en travaillant au cabinet du ministre de tutelle, un candidat a une longueur d’avance sur ses rivaux.  »

Selon notre enquête , sur les huit fonctionnaires délégués de la DGO4 (direction générale opérationnelle de l’aménagement du territoire, du logement, du patrimoine et de l’énergie), quatre sont étiquetés CDH, voire directement issus d’un cabinet ministériel orange.  » Vous attribuez une étiquette à certains fonctionnaires, ce jugement vous appartient, commente Carlo Di Antonio, qui n’a répondu à aucune des sept questions précises adressées par Le Vif/L’Express. Un fonctionnaire a-t-il une étiquette ? A partir de quand entre-t-il dans cette catégorie que vous proposez ?  » Son parcours politique constitue, à tout le moins, un indice intéressant… L’unanimité des avis sur leur positionnement en est un autre, comme leurs propres déclarations.

Il est, en revanche, difficile d’attribuer une couleur politique précise aux quatre derniers fonctionnaires délégués. Selon les sources, on les dit libéraux, socialistes, centristes, ou impossibles à classer.

La DGO4 est aujourd’hui dirigée par Annick Fourmeaux, étiquetée PS. En poste depuis mai 2015, elle a fait l’objet d’une évaluation à mi-mandat, comme le prévoit le Code de la fonction publique, et a reçu une évaluation réservée du gouvernement.  » Annick Fourmeaux a introduit un recours contre cette décision « , a précisé la porte-parole du cabinet Di Antonio. Contactée à plusieurs reprises, l’intéressée n’a pas donné suite à nos demandes.

L’inspecteur général Jean-Pol Van Reybroeck, ancien des cabinets CDH de Michel Lebrun et André Antoine, est, quant à lui, bientôt pensionné. Il se murmure qu’il devrait être remplacé par Fabienne Thonet, cheffe de cabinet adjointe du ministre. Les postes sont ouverts et publiés au Moniteur belge depuis le 8 novembre dernier.  » La liste des candidats n’est pas encore connue à ce jour « , dit-on au cabinet Di Antonio. L’intéressée n’a pas non plus souhaité nous répondre.

Sur les dix hauts fonctionnaires concernés, tous contactés par Le Vif/L’Express, certains n’ont pas donné suite et d’autres l’ont fait, le plus souvent anonymement.  » On met souvent une étiquette sur les fonctionnaires sans qu’il y ait forcément un rapport avec leurs affinités politiques, insiste l’un d’eux. Il suffit parfois qu’on ait travaillé pour un cabinet ministériel pour être perçu comme en étant proche.  »  » Dans tous les cas, embraie un autre, tant que l’administration n’est pas dépolitisée, il faut au moins veiller à l’équilibre des couleurs.  » Preuve par l’absurde que les hauts fonctionnaires de la DGO4 ne sont pas choisis au hasard.

Pierre-Yves Dermagne :
Pierre-Yves Dermagne :  » L’aménagement du territoire a toujours été la chasse gardée du CDH. « © BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

34 000 demandes de permis

Lorsqu’un poste de fonctionnaire délégué se libère, ce qui sera prochainement le cas à Liège et à Wavre, aucun appel aux candidats extérieurs n’est lancé : on n’accède à ce poste de direction que par mutation, promotion ou mobilité interne et seuls les agents statutaires du service public de Wallonie peuvent postuler.  » La sélection s’opère sur la base de critères objectifs, assure le cabinet Di Antonio. Le comité de direction transmet ensuite un classement des candidatures au gouvernement, qui tranche.  »

Les huit fonctionnaires délégués qui se répartissent le territoire de toute la Région wallonne cumulent les rôles de délégué du ministre, de directeur d’équipe et de fonctionnaire de l’administration. Même s’il s’est réduit au fil des réformes, leur pouvoir reste important : ils remettent des avis au gouvernement et accordent, ou non, des permis en fonction de l’intérêt général, du respect de la législation et de la vision politique de l’exécutif en place. Plus de 34 000 demandes de permis sont introduites chaque année auprès d’eux.  » Sur les enjeux de fond, j’ai l’impression que notre poste est plus stratégique que celui de la directrice ou de l’inspecteur général « , avance Christian Radelet.

Le risque de pressions sur les fonctionnaires délégués, de la part de citoyens, de communes, de fédérations, d’entreprises, voire du cabinet de tutelle lui-même est dès lors réel, même s’il se dit dans le milieu que l’interventionnisme politique était plus fréquent il y a vingt ans.  » Je n’ai jamais souffert de la moindre ingérence du politique dans mes dossiers depuis 1990, affirme Christian Radelet. J’ai parfois reçu des lettres qui me demandaient d’examiner un dossier avec bienveillance, mais c’est de l’ordre d’une par an, pas plus « .  » Des pressions ? J’en ai tout le temps, s’exclame un autre. Il nous revient d’y résister.  »

Des tentatives d’intervention ont bien existé comme le révèle, par exemple, le magazine Medor en septembre dernier : lorsqu’il était ministre, André Antoine avait demandé au fonctionnaire délégué du Luxembourg de lui transmettre le dossier relatif à la construction, totalement illégale, d’un chalet de chasse en zone forestière. En vain.  » Cette fonction demande de l’indépendance et ne devrait en aucun cas être politisée, martèle un député wallon : son titulaire ne devrait jamais se trouver en situation de proximité avec un cabinet ou un parti.  »

Or, plusieurs sources soulignent la politisation accrue de ces fonctions, en particulier de la part du CDH, ces dernières années.  » Les désignations sont toujours politiques, c’est très clair « , pointe un fonctionnaire délégué.  » Si ce phénomène existe toujours à l’administration, il n’est pas plus prononcé à la DGO4 que dans les autres DG « , nuance un de ses collègues, ce qui n’est pas forcément rassurant. Personnellement, je n’ai pas le sentiment de porter une étiquette politique, mais j’y ai beaucoup veillé.  »

L’histoire laisse des traces : depuis 1982, date de naissance du premier exécutif régional wallon, l’aménagement du territoire a été aux mains de ministres PSC/CDH pendant vingt-deux ans ; et aux mains d’un libéral, d’un socialiste ou d’un écologiste pendant cinq ans seulement. Pas étonnant donc que ceux qui ont accumulé de l’expérience dans un cabinet ministériel, CDH en l’occurence, occupent ensuite les postes les plus en vue de l’administration.  » L’aménagement du territoire a toujours été la chasse gardée du CDH, confirme Pierre-Yves Dermagne. Ce département n’est pourtant pas très sexy pour un ministre : c’est une compétence normative et compliquée.  » Le poste doit avoir d’autres charmes…  » J’ai l’impression que le CDH veut plus occuper les postes qu’avant, enchaîne un autre fonctionnaire délégué. En tenant les clés de la baraque, le parti conserve un levier de poids au niveau local et vis-à-vis de son électorat rural. Quand le ministre était Ecolo, il cherchait davantage la compétence.  » Un troisième fonctionnaire délégué analyse les choses autrement :  » En aménagement du territoire, une matière qui se trouve au centre de bien d’autres compétences, il faut tout concilier, ce qui correspond à la philosophie centriste du CDH. Pourquoi le PS ne réclame-t-il pas cette compétence, de manière à lutter contre l’omniprésence du CDH à ce poste ?  »

Christian Radelet, fonctionnaire délégué du Brabant wallon :
Christian Radelet, fonctionnaire délégué du Brabant wallon :  » Je n’ai jamais souffert de la moindre ingérence du politique dans mes dossiers. « © DR

Les nominations tomberont… après les élections

Une modification importante vient de toucher la hiérarchie de la DGO4. Les fonctionnaires délégués étaient sous la tutelle de leur directrice générale, le reste de l’organigramme étant sous celle de l’inspecteur général. Or, depuis septembre 2018, le cabinet Di Antonio les a placés sous la tutelle hiérarchique de l’inspecteur général, en l’occurence CDH.  » Ce changement est induit par la réforme du cadre organique du SPW, explique-t-on au cabinet. Les huit directions extérieures du département de la nature et des forêts ne dépendent pas non plus du directeur général de la DGO3 mais bien de l’inspecteur général.  »

Certains n’en pensent pas moins que le CDH s’assure ainsi la mainmise sur l’aménagement du territoire futur puisque celui ou celle qui succèdera à l’actuel inspecteur général sera vraisemblablement issu du même parti.  » L’affiliation politique ne peut pas être un critère de recrutement, assène Edmund Stoffels, député socialiste germanophone. Elle ne doit pas être un obstacle au recrutement non plus. Seule la compétence doit jouer. S’il était avéré que des engagements sont le fruit de décisions politiques, cela commencerait à me déranger. Il se peut qu’il y ait une prédominance du CDH à la DGO4 mais elle n’est pas handicapante, en tous cas du côté de Liège. « 

Les candidatures pour les postes de Wavre et Liège 1 sont déjà ouvertes. La décision d’attribution ne tombera toutefois qu’en juin prochain. Après les élections.

Les fonctionnaires délégués

A Mons (Hainaut 1), Cédric Dresse, fonctionnaire délégué faisant fonction, vient du cabinet Di Antonio, où il a travaillé jusqu’en juin 2017.  » Lorsqu’on a ouvert le poste définitif, Cédric Dresse a oublié de postuler dans les délais impartis, rapportent plusieurs sources. Le cabinet a alors refermé le poste pour ne pas devoir l’attribuer à quelqu’un d’autre. Une nouvelle procédure a été relancée pour que Cédric Dresse puisse être nommé.  »

A Charleroi (Hainaut 2), le fonctionnaire délégué Raphaël Stokis est un ancien du cabinet Lebrun (CDH).  » Son étiquette CDH est confirmée « , déclare Michel Legrand, le président du Gerfa (Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative).

A Namur, Marc Tournay a été étiqueté PS dans le dernier baromètre du Gerfa.  » Il n’a pas contesté « , indique Michel Legrand. Côté socialiste, on le croit plutôt centriste.

A Wavre, Christian Radelet  » a été socialiste « , assure le Gerfa. Tout proche de la fin de carrière, il pourrait être remplacé par une candidate libérale.

A Eupen, Susanne Heinen a été nommée par l’ex-ministre CDH André Antoine. Le cabinet lui aurait alors mis l’étiquette CDH, sans autre fondement.  » Elle n’est l’obligée de personne « , affirme un de ses collègues.

A Liège 1, André Delecour est étiqueté CDH. Sa nomination a jadis été soutenue par le ministre social-chrétien Albert Liénard puis par Michel Lebrun. Parmi les candidats à sa succesion, on cite le nom de Stéphanie Pirard, actuellement attachée au cabinet Di Antonio. Celle-ci n’a pas donné suite aux démarches du Vif/L’Express.

A Liège 2, Anne-Valérie Barlet, étiquetée socialiste, est une ancienne des cabinets Van Cauwenberghe et Marcourt.

A Arlon, c’est Vincent Desquesnes, ex-conseiller aux cabinets Lutgen, Antoine et Di Antonio, qui a été nommé fonctionnaire délégué.

D’autres nominations d’ex cabinettards

Ex-chef du cabinet Di Antonio, Vincent Peremans est désormais administrateur délégué de la SRWT.
Ex-chef du cabinet Di Antonio, Vincent Peremans est désormais administrateur délégué de la SRWT.© JOHN THYS/belgaimage

D’autres anciens membres du cabinet Di Antonio ont été nommés dans les secteurs dont le ministre a la tutelle :

– Vincent Peremans, ex-chef de cabinet, est devenu administrateur délégué de la SRWT (Société régionale wallonne du Transport). Il a travaillé par le passé pour le cabinet Lutgen.

– Brieuc Quévy, qui était chef de cabinet adjoint, est désormais directeur de la DGO3 (agriculture, ressources naturelles et environnement). Il avait précédemment collaboré avec Benoît Lutgen lorsque celui-ci était ministre wallon.

– Isabelle Jeurissen, ancienne conseillère juridique au cabinet, fait à présent partie du comité de direction de la Société wallonne des eaux.

– Thibaut Mouzelard, ex-conseiller des cabinets Di Antonio et Lutgen, a été nommé inspecteur général f. f. du département des voies hydrauliques de Liège, au sein du SPW.

– Nicolas Grégoire, ancien responsable de la cellule patrimoine et ruralité au cabinet est aujourd’hui directeur développement et expertise de la Fondation rurale de Wallonie.

– Ghislain Stievenart, ex-collaborateur au conseiller cabinet Di Antonio, est vice-président et membre du comité de gestion du TEC Hainaut.

– François Gabriël, ancien chef de cabinet adjoint de Carlo Di Antonio, occupe la vice-présidence du comité de direction de la SPGE (Société publique de gestion de l’eau).

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