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Vitesse sur la route :  » Il reste un reliquat de « ma voiture, c’est ma liberté » « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Zone 30 à Bruxelles, 100 km/h sur les autoroutes aux Pays-Bas : les limitations de vitesse suscitent des résistances. Pour Benoît Godart, le porte-parole de Vias (Institut pour la sécurité routière), la vitesse est encore l’objet d’une perception sociale trop positive.

Limiter la vitesse, est-ce l’élément clé de la sécurité routière ? Pour améliorer la sécurité routière, faut-il d’abord limiter la vitesse ?

La vitesse reste la cause première des accidents. Elle joue un rôle prépondérant dans environ un accident grave sur trois. Sur les autoroutes, cette proportion grimpe à 40 %. Elle détermine aussi la gravité des dommages humains : à 30 km/h, c’est comme si l’on chutait du premier étage d’un immeuble ; à 50 km/h, du troisième. Elle a aussi une incidence sur le bruit : si l’on passe de 50 à 30 km/h, on réduit les nuisances de moitié. Enfin, elle constitue un enjeu majeur en matière d’environnement : la décision de baisser la vitesse maximale sur les autoroutes à 100 km/h aux Pays-Bas n’est pas motivée par la sécurité, mais bien par une décision judiciaire qui oblige l’Etat à réduire ses émissions de dioxyde d’azote.

La Région bruxelloise généralisera le 30 km/h à partir de 2021. Une bonne mesure ?

Sur le papier, oui. Une étude compilant les résultats dans une trentaine de zones 30 a démontré que le nombre d’accidents avait diminué de 25 % et celui des accidents graves de 40 %. Encore doit-on se donner les moyens de ses ambitions : il faut prévoir un aménagement pour que l’automobiliste voie qu’il est en zone 30 et pour l’inciter physiquement à rouler à cette vitesse. Sur les larges avenues sans trottoir, 90 % des conducteurs ne respectent pas cette limitation.

Reste-t-il un travail de sensibilisation à mener pour changer les mentalités ?

C’est évident. Il faut aller à l’encontre du paradoxe actuel entre l’invitation à rouler moins vite et la mode des SUV très insonorisés et plus puissants. Si on parcourt un tronçon de 50 kilomètres à la vitesse de 100 km/h au lieu de 120 km/h, on perd à peine cinq minutes.

Cette culture-là s’acquiert-elle ?

Petit à petit, les choses évoluent positivement. La création de comités de riverains pour dénoncer les excès, notamment, est bénéfique parce qu’on parle davantage des accidents alors qu’il n’y en a pas nécessairement plus qu’avant. Mais il est aussi désespérant de constater qu’il reste un reliquat du vieux slogan  » ma voiture, c’est ma liberté « . Dès qu’on parle de limitation de vitesse, certains ruent dans les brancards en affirmant qu' » il est inacceptable de supprimer cette part de liberté alors qu’en Allemagne, on roule à la vitesse que l’on veut « . Quand des caméras de télévision sont présentes sur le lieu d’un contrôle de la vitesse, tout le monde avance sa petite excuse :  » Je suis pressé « ,  » je travaille « … La vitesse est encore l’objet d’une perception sociale beaucoup trop positive, davantage que l’alcool au volant, par exemple. C’est dire qu’il y a encore bien du travail.

Benoît Godart, porte-parole de Vias, Institut pour la sécurité routière.
Benoît Godart, porte-parole de Vias, Institut pour la sécurité routière.© LAURIE DIEFFEMBACQ/belgaimage

Que répondez-vous à ceux qui vantent le modèle allemand ?

Le réseau autoroutier allemand n’est pas comparable au réseau belge. Le nôtre est un des plus dangereux d’Europe : 58 tués par 1 000 kilomètres d’autoroute contre 25 en moyenne en Europe. Si on limitait demain la vitesse sur toutes les autoroutes allemandes à 130 km/h, leur institut de sécurité a calculé qu’il y aurait plusieurs dizaines de vies sauvées chaque année. En Allemagne aussi, le débat est vif sur une limitation de la vitesse. Elle n’a pas encore été décidée en raison du lobbying des constructeurs automobiles. Mais je suis sûr qu’on va y arriver dans les cinq ou dix prochaines années.

Une diminution de la vitesse à 100 km/h sur les autoroutes, comme aux Pays-Bas, serait-elle judicieuse en Belgique ? Ou, au contraire, une augmentation à 130 km/h comme en France ?

Relever la vitesse maximale à 130 km/h, comme certains l’ont proposé, n’aurait pas de sens. Mais il faut aussi avouer qu’une diminution à 100 km/h de la vitesse sur autoroute n’emporterait pas l’adhésion sociale et ne serait pas respectée. On l’a vu en France où le gouvernement a dû faire marche arrière sur la réduction à 80 km/h de la vitesse sur les départementales à la suite des mouvements sociaux. Faisons déjà respecter la législation actuelle avant d’aller plus loin. La vitesse moyenne actuelle sur les autoroutes belges est plus élevée que celle sur les autoroutes françaises. Nous sommes le pays où le taux de pénétration des avertisseurs de radar est le plus important. Cela dit, nos études montrent que la solution idéale serait une limitation modulée de la vitesse en fonction de la circonstance. On pourrait réduire graduellement la vitesse, via des panneaux intelligents, en fonction de la densité du trafic ou de la météo. C’est cela, l’avenir…

Le contrôle de la vitesse via les radars tronçons également ?

Oui, il y en a déjà une soixantaine en Flandre. Malheureusement, au cours de la législature passée, on n’en a installé aucun. A priori, on devrait désormais aller plus vite. Espérons que la Wallonie suive l’exemple de la France parce qu’un radar tronçon permet de réduire le nombre d’accidents mortels de 50 à 60 %.

Certains prétendent que la vitesse est une cible plus aisée car davantage contrôlable que l’alcool ou le gsm au volant. Est-ce exact ?

L’utilisation de caméras pour détecter l’emploi du gsm au volant, telle qu’elle est pratiquée aux Pays-Bas, fonctionne. En changeant la loi, qui ne le permet pas actuellement, on pourrait utiliser les caméras de surveillance pour détecter les conducteurs qui téléphonent au volant. Il est vrai que contrôler automatiquement la consommation d’alcool est plus difficile. Mais nous suivons un peu plus de deux cents conducteurs condamnés à installer une éthylotest antidémarrage dans leur voiture et leur nombre ne cesse d’augmenter. Généraliser cela n’aurait pas de sens, parce que cela toucherait des conducteurs qui ne boivent jamais. Mais c’est sans doute une des meilleures mesures prises ces dernières années.

Les efforts accomplis en matière de sécurité sont-ils productifs ?

On a réduit le nombre de tués de 45 à 50 % ces dix dernières années. Cela représente 4 000 à 5 000 vies sauvées. C’est réjouissant. Le bémol est que l’on est reparti à la hausse pour les six premiers mois de 2019 à cause de la recrudescence des jeunes conducteurs qui roulent sous l’emprise de la drogue, de l’utilisation du gsm et la hausse des motards tués. La circulation est le reflet de la société.

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