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Vient-on de sonner le glas d’une génération politique en Flandre ?

Muriel Lefevre

Certains de ceux qui étaient encore hier au pouvoir n’ont pu éviter la chute. Au point que, pour quelques ténors flamands, on n’est pas très loin de l’humiliation. Le Standaard se demande même si on n’assiste pas à la fin de toute une génération d’hommes et de femmes politiques.

Hilde Crevits, la ministre (CD&V) sortante de l’Éducation en Flandre, semblait intouchable. Et pourtant: elle vient de se prendre un sacré camouflet. L’effet Crevits, comme on aimait l’appeler en Flandre, n’aura pas soufflé plus qu’une brise sur une mer d’huile. Celle qui se présentait ouvertement au poste de ministre présidente de la Flandre va perdre 5 points en Flandre-Occidentale, qui est pourtant sa terre de prédilection. Elle va en perdre encore davantage dans son fief de Torhout. Seule la liste qu’elle menait pour le parlement flamand limite, un peu, la casse puisqu’elle y obtient un beau score 130.912 voix de préférence (elle est deuxième après Bart De Wever qui lui est à 242.386 voix selon les chiffres complets). Ailleurs, si Crevits a eu un effet, il serait plutôt négatif. Le parti n’en mène effectivement pas large et a humblement reconnu sa défaite.

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Wouter Beke, le président, a lui aussi perdu des plumes. Joke Schauvliege, qui a quitté le gouvernement flamand prématurément et sans grand honneur, fait même pire. Selon toute vraisemblance, les chrétiens-démocrates, autrefois tout-puissants, devront même abandonner leur place de second parti de Flandre.

Le camouflet de Maggie

Seule consolation, ils ne sont pas seuls. D’autres « dirigeants » politiques ont obtenu des résultats décevants. Gwendolyn Rutten (présidente de l’Open VLD) et Maggie De Block ont, par exemple, subi des pertes significatives. La liste fédérale tirée par la ministre de la santé sortante en Brabant flamand a même fait beaucoup moins bien que les autres listes du parti libéral. Maggie De Block doit même digérer un sévère revers personnel puisqu’elle n’obtient que 40.819 voix dans la circonscription de Brabant-flamand. Elle y est devancée par l’ancien ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) qui récolte 45. 962 voix et est talonnée de très près par le jeune candidat d’extrême droite Dries Van Langenhove (Vlaams Belang) qui obtient 39.295 voix.

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L’ambiance positive et courtoise sur laquelle tablait Gwendolyn Rutten, un temps surnommé la présidente des miracles, n’a pas non plus fait mouche. Les libéraux ne sont pas parvenus à se distinguer de la N-VA et le rêve de Gwendolyn Rutten de devenir le deuxième parti en Flandre a échoué : l’Open VLD est annoncé quatrième avec 13 %. Elle-même n’a pas non plus particulièrement brillé. Malgré un relativement bon score de votes de préférence (44.866), elle ne progresse pas dans son propre canton d’Aarschot. On notera aussi que les listes d’Alexander De Croo et de Carina Van Cauter perdent chacun (probablement) un siège dans leur parlement. Bart Tommelein et Vincent Van Quickenborne font eux un statu quo.

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A la N-VA, non plus, le temps n’est pas à la parade. Les pontes en course au Limbourg (Zuhal Demir (61.444 voix ) et Steven Vandeput (41.426 voix)) ou encore  » l’experte climatique  » Anneleen Van Bossuyt (37.510 voix) à Gand n’ont pas particulièrement séduit les électeurs. Malgré les bons score personnels de Jan Jambon (187.826 voix) et Theo Francken (122.738 voix) , la N-VA perd huit sièges à la Chambre. Un certain nombre de figures familières disparaîtront de l’hémicycle. Ainsi, M. Bracke (13.085 voix), qui poussait la liste nationaliste en Flandre orientale, n’a pas été réélu.

Même De Wever n’y échappe pas. Bien sûr, d’un point de vue purement mathématique, De Wever ne va pas mal, bien au contraire. Il reste le champion des voix de préférence et son parti reste indéniablement la plus grande formation politique du pays et reste donc incontournable. Force est cependant de constater que la N-VA a perdu son état de grâce. Bart De Wever l’a dit en personne : ils ont perdu les élections. Pour sa treizième campagne électorale, la N-VA fait, pour la première fois depuis longtemps, marche arrière. Dans et autour d’Anvers, les dégâts restent limités, tout comme dans le Brabant flamand, mais ailleurs cela ressemblerait presque à une hémorragie, puisque nombreux sont les électeurs qui, après l’avoir quitté en 2014 au profit de De Wever, sont retournés dans le giron du Vlaams Belang.

Des figures de proue superflues

S’il n’est pas nouveau que les politiciens perdent rapidement l’attrait de la nouveauté, les résultats de l’élection d’hier ont mis autre chose en avant: davantage que des figures politiques ou un programme, ce qui compte, c’est le signal qu’envoie un parti. Nul besoin de connaître les candidats ou d’avoir confiance en leur capacité: les promesses et l’image dégagée par le parti, et principalement façonnée sur les réseaux sociaux, on suffit pour convaincre les électeurs. Une tactique à l’opposé des discours traditionnels, slogans, fiches de débat ou chiffres prémâchés et répétés à l’envi par les pontes de la politique. Malgré le fait que les têtes de liste et autres cadors de la politique étaient omniprésents lors des débats et interviews dans les médias, ils n’en ont pas tiré profit. Les partis qui ont fait la plus belle percée ne sont pas ceux qui avaient des visages familiers. Par exemple, le PVDA/ PTB n’avait mis personne en avant si ce n’est son président, Peter Mertens. L’autre parti qui n’a pas eu besoin de poids lourds de la politique pour scorer est le Vlaams Belang. Le parti va pouvoir envoyer des dizaines d’élus aux différentes assemblées, mais leurs noms sont pratiquement inconnus du grand public.

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Le camouflet d’hier va néanmoins au-delà de la forme et du style. Il pourrait bien sonner le glas de toute une génération d’hommes et femmes politiques. Ainsi il se murmure que Beke et Rutten seraient sur la sellette. Pour John Crombez, l’élection à la présidence de la SP.A est prévu, depuis un certain temps déjà, pour le mois prochain. Ce parti fait partie des plus gros perdants puisque les socialistes flamands ont un atteint un creux historique et se battent désormais pour leur survie. Si le président du parti, John Crombez, a obtenu un relativement bon score pour la Chambre en Flandre occidentale (55678 votes de préférence), il n’a pas pu empêcher la défaite de son parti qui passe en dessus des 10% et devient le deuxième plus petit parti de Flandre.

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Bart De Wever pourrait aussi jouer gros. C’est à contrecoeur que De Wever a dû se lancer dans la campagne pour s’assurer que la N-VA reste la force politique dominante dans le pays. Sa stratégie était (et est toujours) de se placer à la tête du gouvernement flamand et de s’en servir comme levier pour le fédéral. D’abord la Flandre, puis la Belgique. Ce qui semblait être plan sans accros, n’est plus aujourd’hui une absolue évidence bien qu’une coalition contre lui (CD&V, Open VLD, Groen, SP.A) est impossible. Si De Wever n’a pas établi d’exclusions, il a tout de même montré une préférence idéologique : reconduire un gouvernement de droite avec les chrétiens-démocrates et les libéraux. Sauf que ces deux partis ont été durement touchés. La coalition flamande actuelle perd beaucoup de sièges. La N-VA diminuera de huit, le CD&V de huit et l’Open VLD de trois. De quoi tempérer l’enthousiasme. Et comme le précise De Morgen : « Une défaite électorale fait des choses étranges à un politicien. » Il y a aussi la difficile question du cordon sanitaire ou, en interne, tout le monde ne semble pas sur la même ligne. Briser ce dernier semble pourtant peu probable pour une raison bêtement pragmatique : il faudrait un troisième partenaire pour former une telle formation et il n’y a personne qui se porte candidat.

Enfin, si les résultats d’hier risquent d’accélérer la fin imminente de cette génération dans la quarantaine et la cinquantaine, ils mettent aussi cruellement en lumière le fait que les partis n’ont pas suffisamment préparé la relève. Les futurs candidats présidents comme le jeune Conner Rousseau au SP.A, ou Benjamin Dalle au CD&V, ont encore tout à prouver et n’ont pas particulièrement brillé aux élections. De quoi renforcer, encore un peu plus, l’idée peut porteuse pour un renouveau démocratique que la politique tourne en rond.

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