Bart Maddens

Une victoire à la Pyrrhus ?

Bart Maddens Politologue à la KULeuven et proche du mouvement flamand

LES DÉFENSEURS DE LA BELGIQUE ONT toujours montré notre pays en modèle pour son régime démocratique fondé sur la pacification.

Bart Maddens, professeur à la KU Leuven

Les conflits majeurs y ont toujours été réglés par des accords de pacification conclus entre tous les groupes importants de la société. Mais cette pacification ne peut fonctionner que si les arrangements reposent sur une base suffisamment large dans chaque groupe. Voilà pourquoi il faut que les partis plus radicaux participent aussi aux négociations. Il va de soi que l’accord du Vendredi saint en Irlande du Nord n’aurait jamais abouti à la pacification sans l’appui du Sinn Féin et, plus tard, du DUP de Ian Paisley. Tout comme le conflit au Pays basque espagnol durera aussi longtemps que Madrid ne daigne négocier avec les nationalistes radicaux de gauche, les « abertzales ». C’est précisément pour cette raison que, depuis les années 1970, les partis traditionnels ont appelé la Volksunie à négocier ensemble une réforme de l’Etat. Et que les partis traditionnels flamands frémissaient, jusqu’il y a peu, à l’idée de s’embarquer dans un gouvernement sans la N-VA. Mais, en politique, ce qui hier était encore tenu pour inimaginable peut très vite devenir réalité. En Flandre, le mot d’ordre quasi général a toujours été : « Pas de gouvernement sans la N-VA. » Aujourd’hui, il semble qu’un vrai cordon sanitaire se mette en place autour de la N-VA. Les francophones jubilent, ils obtiennent ce dont ils rêvaient depuis longtemps. Dès l’automne de 2010, la diabolisation et la criminalisation de Bart De Wever n’ont cessé de s’intensifier. Enfin, le 14 juillet dernier, Denis Ducarme (MR) a franchi le Rubicon en prônant ouvertement l’installation d’un cordon sanitaire autour de Bart De Wever. A en croire Le Vif/L’Express du 29 juillet (en page 19), même au CD&V, d’aucuns ne pensent pas autrement. Ce qui ne manque pas de logique : le CD&V ne peut justifier sa dernière volte-face auprès des électeurs flamands qu’en dépeignant la N-VA comme un club de dangereux extrémistes.

Il n’empêche que, derrière ce cordon, la foule ne fait que grossir. Déjà 44 % des électeurs flamands (N-VA, Vlaams Belang et Lijst Dedecker) se trouvent hors jeu. Alors que le FDF, parti des francophones radicaux, est bel et bien présent à la table des négociations. Quant aux électeurs flamingants radicaux, ils restent sur le carreau. Du côté francophone, pratiquement tous les électeurs sont représentés. Seulement un peu plus de la moitié de l’électorat flamand jouit de ce privilège. Ils se trompent assurément, ceux qui croient que, dans ces circonstances, une pacification communautaire durable peut s’instaurer. Un accord signé par le CD&V, en l’absence de la N-VA, entraînera une extrême polarisation entre le bloc des partis flamands radicaux (dits V), d’une part, et les partis belges « systémiques », d’autre part. La majorité en Flandre est susceptible, plus que jamais, de basculer du côté des trois partis V. Plus les partis systémiques devront faire des concessions, plus aisément cette nouvelle majorité se concrétisera.

Par-dessus le marché, la mise en oeuvre d’une réforme de l’Etat sans la N-VA sera conduite par une coalition hétéroclite et contre nature, formée par un nombre incroyable de partis. Un gouvernement composé de huit partis ne sera jamais stable et vigoureux. Si, du côté flamand, il en manquait un seul, le gouvernement fédéral perdrait sa majorité en Flandre, en même temps que sa légitimité. Dans un cas comme dans l’autre, l’opposition radicale flamande boira du petit-lait.

Le 21 juillet, les francophones ont de nouveau gagné une bataille importante. Personne n’en doute. Reste à savoir si, à terme, ce triomphe ne se révélera pas une victoire à la Pyrrhus.

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