© LUCAS GODIGNON

Un livre contre l’école néo-libérale

Stagiaire Le Vif

Dans son livre L’enfance sous pression : quand l’école rend malade, réédité en novembre, l’animateur sportif Carlos Perez dénonce une école déshumanisée poussant au dopage des élèves. Rencontre.

L’école belge est-elle performante ? A une époque où le pragmatisme et l’économie ont le dernier mot, la question est dans l’air. En décembre 2010, le classement PISA, censé évaluer les compétences des élèves d’un pays, a classé la Belgique à une encourageante huitième place. Au top du top, la Corée du Sud et la Finlande affichent les meilleurs scores en lecture et mathématiques. Doit-on cependant se réjouir de ces résultats ? Pour Carlos Perez, cette étude prouve au contraire que l’école s’est muée en entreprise. Classement, rentabilité, exclusion : l’école stresse, l’école fait peur et laisse de côté le bien-être des enfants. Et pousse les enseignants à médicaliser le décrochage scolaire.

Plus d’élèves, moins de moyens

« Je me suis occupé de milliers d’enfants dans mon centre depuis des années, et en discutant avec eux je me suis rendu compte qu’ils n’aiment pas l’école ». Voilà 30 ans que Carlos Perez dirige le centre Fire Gym, situé dans un quartier populaire de Jette. D’abord formateur d’athlètes de haut niveau, il a ouvert son centre aux jeunes et a recueilli leurs doutes et leurs angoisses. Leurs témoignages font état d’une surcharge de travail et d’une peur de l’exclusion qui génère du stress. Initialement paru en 2007, le livre L’enfance sous pression relaie ces critiques : cartables trop lourds, programmes trop gros, classes surpeuplées, journées fatigantes. Et blâme une logique néo-libérale.

« Les gouvernements de nos jours veulent que l’école fasse plus avec moins de moyens, moins de professeurs. C’est une logique d’entreprise : produire au moindre coût. » Pour Carlos Perez, l’école se focalise trop sur l’employabilité au détriment du bien-être des élèves. « Il y a une novlangue industrielle dans l’école : on prépare l’enfant à ce qu’il soit une ressource pour les entreprises. Tout ce qui ne va pas dans ce sens est externalisé. » Dans son livre, l’athlète défend le mi-temps pédagogique : leçons le matin, activités l’après-midi. Un moyen, selon lui, de développer l’expression personnelle mais aussi de soulager certaines familles, qui ne peuvent pas financer d’activités après l’école.

Des troubles exagérés

Qu’en pensent les professeurs ? Pour Carlos Perez, ils n’ont plus le temps de boucler leurs programmes ni d’aider les élèves. Loin d’être accusateur, le livre leur donne la parole et critique avant tout l’influence d’un système. Un chapitre regrette malgré tout le manque de remise en cause de l’institution. Lancée à toute allure, l’école moderne ferait trop porter la responsabilité du décrochage sur les élèves. On les qualifie d’hyperactifs ou de dyscalculiques, sans interroger l’adéquation du rythme scolaire avec celui de l’enfant. « (selon l’institution) c’est l’enfant qui a un problème (…) pas le système », écrit Carlos Perez, dont le fils a été catalogué hyperactif à six ans. Selon lui, ces diagnostics trop rapides collent des étiquettes sur les enfants et culpabilisent les familles. « On parle de démission, mais la réussite de leurs enfants est une préoccupation permanente pour les parents que j’ai rencontrés », explique Carlos Perez. « Le processus pédagogique n’est jamais coupable, et comme l’école n’a plus le temps, elle laisse sur le côté ceux qui n’accrochent pas le wagon. »

Et pour rester dans le train, certains enfants doivent payer le prix fort. Ainsi, la nouvelle préface du livre critique le classement PISA : « Ce que l’étude ne dit pas, c’est que les dix pays les plus performants en matière éducative, sont également les pays où le taux de suicide, les maladies mentales et la consommation de Rilatine sont les plus élevés chez les ados. » Médicament psychostimulant, la Rilatine est utilisée pour traiter les déficits de l’attention et renforcer la concentration. Pour Carlos Perez, on assiste à un véritable dopage des enfants, ce qui touche le coach sportif : « Si on combat le dopage chez les adultes, pourquoi il se développe pour des mômes de six ans ? » Selon le livre, 16 millions d’enfants prendraient des psychostimulants au sein de l’OCDE. En plus de cette médicalisation excessive, la recherche de la performance pousse aussi les parents à solliciter des cours particuliers, ce qui renforce les inégalités entre familles et le stress des enfants.

Un cross pour la réussite

Au mois de mai, le centre Fire Gym fêtera ses trente ans, l’occasion de mettre en avant le combat de Carlos Perez pour changer l’école. « On invitera les politiques, et un cross est prévu avec les enfants du centre, qui porteront notre message sur des t-shirts. » Une pièce de théâtre, « Entre rêve et poussière », sera même montrée le mois prochain. Le but : faire réfléchir les parents et se faire entendre des politiques et des institutions. « Il y a trop de réformes cosmétiques sur l’éducation », regrette Carlos Perez. « Nous proposons une révolution pédagogique, c’est donc un long combat, mais il est primordial : les enfants sont déterminants pour la société. C’est peut-être une utopie, mais elle sert l’humain pour qu’il ait un meilleur futur. Cela vaut le coup de se battre. »

Lucas Godignon (stagiaire)

L’enfance sous pression : quand l’école rend malade (deuxième édition), de Carlos Perez, 116 pages, éditions Aden

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