Carte blanche

Un chef de train: « La SNCB n’est pas un pays de cocagne »

« Ceux qui s’adonnent sans réfléchir au bashing de la SNCB, perdent pas mal de choses de vue » écrit le conducteur de train Jan G. « Apparemment, tous les prétextes sont bons pour nous humilier. »

Notre employeur nous interdit de communiquer sans son autorisation sur les questions qui concernent la SNCB. C’est pourquoi on ne nous entend pas trop. Nous, c’est le personnel roulant (et autre), qui, convaincu ou non de l’utilité de la grève, se dévoue tous les jours pour son travail. Et quand ce sont les slogans qui l’emportent, les nuances disparaissent. C’est pourquoi je voudrais tenter de rectifier un certain nombre d’erreurs qui circulent.

Tout d’abord, nous sommes le personnel de la SNCB. Nous ne sommes pas le syndicat, le syndicat n’est pas le personnel. Les syndicats sont peut-être représentés dans nos rangs, et inversement, mais ils ont leur propre agenda et un objectif dont je ne sais pas grand-chose. J’essaie de ne pas noircir le syndicat, mais je trouve que la grève n’est pas une solution, c’est là mon point de vue.

Je suis conducteur de train, mais je ne prends pas ma pension à 55 ans.

J’ai rejoint la SNCB à 29 ans, ce qui fait que je peux prendre ma pension à 59 ans. Pour l’instant, car il se peut que les règles changent. Mais si je veux profiter de droits de pensions complets, je dois travailler jusqu’à 65 ans. Je réalise que je n’ai pas à me plaindre, je l’admets sans difficulté, mais vous aussi vous pouvez nuancer : beaucoup de gens ne réalisent pas l’impact de notre boulot sur la condition physique et mentale. Mais apparemment, on ne peut être considéré comme un « métier lourd », juste parce que nous ne travaillons pas sur un chantier ou dans un port. Vous pouvez venir faire mon job, je vous laisserai volontiers travailler un mois avec moi. Après, je vous demanderai votre opinion.

Je suis conducteur de train, mais je ne travaille pas 36 heures par semaine.

Je fais des shifts de 8h17 en moyenne, cinq par semaine, ce qui revient à 41h25 de travail. Dont on ne me paie que 36 heures, car suite à des mesures économiques prises dans le passé, on ne nous paie plus 40 heures par semaine depuis longtemps, même si on les preste toujours. Non, c’est devenu 38 heures par semaine (avec quelques jours en échange, car il faut compenser les heures supplémentaires) et puis 36 heures. Et chaque fois on a baissé notre salaire, donc on ne peut pas dire que nous soyons surprotégés.

Je suis conducteur de train, mais je n’ai pas 65 jours de congé par an.

Au contraire, j’en ai 24. Ce qui n’est pas mal, je ne dis pas, car certaines personnes n’en ont que 20, mais ne sont pas du tout les 65 dont vous parlez. Et dans chaque lettre de lecteur en colère contre les cheminots paresseux, l’auteur ajoute quelques jours et avant qu’on ne sache, on voit en une du journal qu’un conducteur de train est chez lui 80 jours par an. Non, j’ai droit à 24 jours de congé (à choisir moi-même), 26 jours de compensation ou de crédit 4 heures par jour x 52 semaines par an, des heures supplémentaires que nous aussi nous avons méritées) et une série de jours fériés. Je n’ai pas la fête du roi dont tout le monde parle. Je n’y ai pas droit, parce que je n’ai pas de fonction administrative. Et quand nous travaillons un jour férié, nous pouvons le récupérer un autre jour, comme dans beaucoup d’entreprises privées.

Je suis conducteur de train et je perçois des primes

Pour le travail de nuit, pour le travail de week-end. Pour mes connaissances, mes compétences et mon dévouement. Mais pas pour les retards. Mais quand le train a du retard, et que j’ai fait un shift de 9h30 au lieu de 8h30 (et je ne suis pas responsable de ce retard causé par un suicide, une collision ou une ligne défectueuse par exemple), il est tout de même normal qu’on paie mon heure supplémentaire ? Ou cette règle ne s’applique-t-elle qu’aux non-cheminots ?

Je suis conducteur de train et je ne voyage pas gratuitement en première classe

Je reçois des billets de deuxième classe, pour me rendre au travail, par exemple, et j’ai 24 bons que je peux utiliser toute l’année pour m’installer en première classe. Mais je ne prends le train que très rarement pour mes navettes quotidiennes vu qu’il n’y a pas encore de trains aux heures où nous commençons ou auxquelles nous terminons nos shifts. Et je ne voyage pas « presque gratuitement » en Europe, j’ai des réductions sur certains réseaux ferroviaires, oui, mais celles-ci sont liées à des conditions (par exemple 4 jours maximum sur un réseau particulier) et très limitées. Quelqu’un qui travaille chez Krëfel par exemple bénéficie aussi de réductions, non ? Nous on ne pourrait pas parce que c’est l’État-providence qui nous finance ? Qu’en est-il alors de tous ces gens qui roulent en voiture de société ? Ce n’est pas votre argent?

Je suis conducteur de train, mais pour autant que je sache je n’ai pas de réduction pour mon électricité privée.

C’est possible via les avantages pour le personnel négociés à Bruxelles, mais j’ai davantage intérêt à étudier moi-même – comme tout le monde – quel fournisseur est le plus avantageux. Notre entreprise a conclu ces accords, ces avantages avec d’autres entreprises. Cela ne coûte rien aux deux parties, c’est gagnant-gagnant, puisque nous avons des réductions dans les magasins et ces magasins gagnent de nouveaux clients. Combien de personnes bénéficient d’écochèques au travail ? Ou de réductions auprès de certains fournisseurs ? Vous voyez, tous les prétextes sont bons pour nous traîner dans la boue.

Je suis conducteur de train, mais il n’y a pas de menu cigare dans notre restaurant d’entreprise.

Il y a un restaurant à Bruxelles dans lequel la SNCB (par une filiale ou un sous-traitant, je ne sais pas exactement) participe, mais cela n’a absolument rien à voir avec le personnel régulier. Ce n’est pas une cantine, mais un cas tout à fait isolé. Si demain vous ouvrez un cabinet d’avocats et votre mari ouvre son restaurant, ce restaurant devient-il tout à coup votre restaurant d’entreprise ? Bon appétit !

Vous avez parfaitement le droit d’être jaloux, mais rien ne vous empêche de venir travailler à la SNCB

Ceux qui s’adonnent avec ferveur au bashing de la SNCB, oublient que ne sommes que des humains qui font d’ailleurs leur job avec passion et conviction. Qui ne travaillent pas pour « rien », comme vous aussi vous l’avez probablement négocié lors de votre entretien d’embauche, où que vous travailliez. Vous avez eu des conditions, nous avons les nôtres. Vous avez parfaitement le droit d’être jaloux, mais rien ne vous empêche de venir travailler ici, ce n’est pas un pays de Cocagne. Et vous pouvez trouver que c’est une proposition ridicule, c’est votre droit le plus strict, mais cela ne vous donne pas le droit de nous ridiculiser.

Je propose que vous preniez votre flambeau et votre fourche et que vous alliez nettoyer la porcherie. Mais faites-le au bon endroit : là où on décide du financement de notre société de chemins de fer, là où on préfère se focaliser sur les voitures de société et les avantages fiscaux que sur les transports en commun et la mobilité.

Jan G. est conducteur de train à la SNCB. Il a publié une version adaptée de cette opinion (en néerlandais) sur son blog www.jantograaf.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire