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Un brûlot scientifique accable la stratégie éolienne wallonne

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Dans un document que Le Vif/L’Express s’est procuré en exclusivité, onze scientifiques de renom issus de quatre universités critiquent avec virulence la cartographie du cadre de référence éolien. « Elle est inexploitable et truffée d’erreurs méthodologiques ! »

C’est un véritable brûlot tourné vers la stratégie énergétique wallonne. D’ici quelques jours, onze personnalités scientifiques remettront aux autorités communales une analyse de 19 pages contestant en tout point la méthodologie utilisée pour réaliser la cartographie du cadre de référence éolien, principale feuille de route censée dessiner l’avenir énergétique d’ici 2020. Le Vif/L’Express a parcouru ce rapport en intégralité.

Effarés par l’impact d’un travail « bâclé », ces experts ont choisi d’exprimer leur point de vue quelques jours avant la fin de l’enquête publique sur l’éolien, le 30 octobre prochain. Les cosignataires, issus de quatre universités, sont des pointures dans leur domaine. Sept d’entre eux proviennent de l’ULg. Il s’agit de Jean-Paul Donnay, Michel Erpicum, Yves Cornet, Xavier Fettweis, Geoffrey Houbrechts, Edouard Poty et Jean-Marc Marion. L’UCL compte pour sa part deux représentantes avec Marie-Laurence De Keersmaecker et Isabelle Thomas. Frank Canters (VUB) et Philippe De Maeyer (Université de Gand) complètent cette liste impressionnante de géologues, géographes, cartographes et autres experts en climatologie.

Copieusement documenté et argumenté, le document remet tout simplement en question le bien-fondé de la stratégie visant à implanter plusieurs centaines de mâts éoliens en Wallonie d’ici 2020. « Toute l’estimation du productible à installer dépend de cette cartographie, analyse Jean-Paul Donnay, professeur de l’unité de géomatique de l’ULg. Mais elle est truffée d’erreurs méthodologiques, ce qui la rend quasiment inexploitable. Et par conséquent, l’estimation politique du dossier est à la fois biaisée et surestimée. Face à ce constat indéniable, il nous semblait crucial de dénoncer la dérive politique émanant d’une carte pseudo-scientifique. »

« Des données imprécises, inappropriées et incomplètes »

L’un des problèmes majeurs concerne la délimitation des fameuses « zones favorables » à l’implantation de parcs éoliens, basée sur un plan de secteur imprécis. « Les auteurs du dossier méthodologique étaient sans doute les mieux placés pour en juger puisqu’en 2006, ces mêmes auteurs écrivaient, déjà à destination du SPW, que la version numérique des plans de secteur « ne peut toujours pas être considérée comme juridiquement valable et de qualité suffisante » », mentionne l’analyse. L’équipe de scientifiques conteste aussi les autres méthodes utilisées en vue d’isoler les espaces adéquats. « Les zones d’exclusion dont la délimitation fait intervenir le potentiel de vent présentent une incertitude de l’ordre de 500 m pour ce seul critère, sans même tenir compte de l’erreur de 15 à 20% sur l’estimation du potentiel lui-même. »

D’après ces mêmes experts, il est par ailleurs « incompréhensible » que d’autres bases de données, plus récentes et précises, aient été omises lors de la confection de la carte éolienne. « Il s’ensuit une erreur de position très importante (plusieurs décamètres dans la majorité des cas) dans la délimitation des zones d’exclusion autour de l’habitat isolé », précise le document, images à l’appui.

Afin d’empêcher l’encerclement de villages ou d’habitations par des éoliennes, le cadre de référence compte garantir un angle de vue minimal (un « azimut ») de 130 degrés dénué de mâts sur un horizon de quatre kilomètres. Cette notion fait, là encore, l’objet de vives critiques dans le rapport des onze scientifiques. « Passons sur la définition originale du terme d’azimut, et même sur l’incohérence de la distance d’analyse […], pour rappeler simplement qu’un village n’est pas un point au milieu d’une plaine aride et observé à haute altitude par un aviateur. […] On ne peut faire l’économie d’études combinant inter-visibilité et encerclement, et le principe de ne retenir qu’un angle de vue préservé d’éoliennes par village est un non-sens. »

« Une exploitation politique dangereuse »

Les centaines de contradictions soulignées dans le document débouchent sur un constat implacable : la stratégie éolienne wallonne risque d’emprunter une voie aussi confuse que dangereuse. « Si on m’avait forcé à faire ce type de travail en 15 jours, je n’aurais sans doute pas fait mieux, commente Jean-Paul Donnay. Ce qui pose problème, c’est l’exploitation dangereuse de cette cartographie à l’échelle politique. Un tel document ne devrait même pas être soumis à enquête publique. »

En évacuant d’innombrables contraintes de terrain, les imprécisions du cadre éolien contribueraient à surestimer le potentiel énergétique de l’éolien – l’objectif est fixé à une production de 3.800 GWh en 2020 – et le nombre de zones favorables. « Il n’y a qu’une seule formule dans le rapport méthodologique, et elle est fausse, poursuit Jean-Paul Donnay. Même un enfant d’école primaire pourrait le voir. »

Les signataires du document tiennent à couper court aux accusations potentielles. « Que ce soit clair : nous sommes tous des écologiques dans l’âme. Nous ne remettons pas en question l’opportunité de développer l’éolien en Wallonie. Mais les contre-vérités sur ce sujet se multipliaient depuis bien trop longtemps. » Dans la foulée, Jean-Paul Donnay exclut l’hypothèse d’une guerre des tranchées académique. « Si aucun nom de l’ULB ne figure dans le document, c’est simplement parce que la géomatique est avant tout une discipline de l’ULg. Quant aux personnes qui ont réalisé la cartographie éolienne, nous ignorons dans quel contexte d’urgence elles ont dû travailler. Visiblement, la demande émanait directement d’un cabinet politique puisque l’administration n’en avait même pas connaissance à l’époque. »

L’étude contestée de la cartographie éolienne, entamée en octobre dernier, émane de la Faculté agronomique de Gembloux… membre de l’ULg. Elle a été réalisée par trois scientifiques de renom : les professeurs Philippe Lejeune, Claude Feltz et François Fourneau.

Sans une réplique scientifique capable de contester ce nouvel éclairage, la stratégie éolienne soumise aujourd’hui à enquête publique risque de s’enliser pour de bon. « Les autorités publiques commanditaires de cette étude cartographique ne semblent absolument pas conscientes des obstacles à une telle entreprise », assènent les onze scientifiques dans leur conclusion. Au vu des arguments exposés, la mission de sauvetage semble vouée à l’échec.

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