Selon certains spécialistes, le gsm n'est pas adapté à un tracing conjuguant efficacité et respect de la vie privée. © belgaimage

Tracing: l’appli KO-Vid, la solution belge

Un consortium d’entreprises belges, soutenu par des poids lourds scientifiques, a mis au point un écosystème contenant une appli qui mémorise les « contacts rapprochés », éventuelle source de contamination. Prête en mars, la solution fait antichambre chez les ministres. Du côté politique, on promet un marché attribué avant fin juillet.

Résurgences sur les plages espagnoles, mais aussi en Allemagne et au Royaume-Uni, clusters à Rouen et dans des dizaines de lieux en France. L’urgence d’une application qui trace automatiquement la contagion se fait sentir. Retrouver quelles autres personnes auraient pu infecter ou être infectées par chaque patient touché est essentiel. Dépend de ces réponses la prise de mesures de confinement, de prophylaxie (comme l’isolement dans le logement) et d’hygiène afin de limiter la contagion.

Mais quelle appli de tracking mettre en place ? En mars dernier se réunit un groupe spécialisé mené par le ministre De Backer, auquel sont évidemment associées toutes les Régions, compétentes en la matière. Il y a trois mois, un consortium se forme sous le nom Flattening the curve (traduction: aplatir la courbe) entre Keyrus Life Science, Adunio, MyData-Trust, Bingli et quelques autres… Habilement, ces firmes, actives à des échelons divers de l’automatisation des soins et des données de santé, associent les patients via la coupole Eupati et le monde académique sous forme d’un conseil des sages : les professeurs Stéphane De Wit (ULB), Mylène Botbol-Baum (UCLouvain), Jacques Brotchi (ULB), les docteurs Pierrette Melin (ULG) et Pascal Semaille (ULB) conseillent non seulement sur le fond mais apportent leur caution morale au projet. C’est qu’il en faut : on parle de stockage de données personnelles de santé, soit les données les plus précieuses selon les lois de protection de la vie privée.

69 % des Belges favorables sous conditions

Le domaine est sensible : un sondage de Test Achats montre que les Belges sont inquiets du respect de leur vie privée. Mais que deux tiers sont d’accord de prendre un risque pour sauver des vies.  » L’application devrait respecter les grands principes du règlement européen et reposer sur l’anonymisation des données. Elle devrait également être transparente sur les informations qu’elle collecte, ainsi que sur la finalité et la durée de cette collecte. Notre sondage montre que 69 % des Belges pensent qu’il est possible de trouver des solutions technologiques pour l’utilisation des données dans la lutte contre le Covid-19 qui préservent le droit à la protection des données et la vie privée « , commente la porte- parole Julie Frère.

Un tracing électronique apporterait une cartographie précise des clusters, très vite après leur apparition.

Et là, le consortium, qui baptise son appli KO-Vid, avance des arguments : les données seront anonymisées dès la collecte. Le citoyen saura qu’il pénètre dans une zone  » infectée « , mais sans connaître l’identité des personnes en question.  » C’est exactement comme dans l’appli mobile de navigation gps Waze. Vous voyez une bulle pour chaque voiture, mais jamais le nom du conducteur. Un système gère les données, un autre les bulles anonymisées, sans moyen de recoupement. Les ponts sont volontairement brisés « , explique-t-on du côté du consortium Flattening the curve.

La conformité aux lois belges et européennes de protection des données, qui assure notamment la proportionnalité et la destination des données, ainsi que leur destruction, une fois la crise passée ? Le consortium la garantit via MyData-Trust, une firme dont c’est précisément le métier. L’avantage ? Le citoyen pourra se tester lui-même à chaque instant grâce à un questionnaire médicalement validé. L’efficacité ? Le système décentralisé DP3T sera utilisé, assurant la décentralisation des données. D’autre part, le consortium le promet dès 10 % de participation, grâce à un moteur d’intelligence artificielle particulièrement puissant, alors que les autres applis doivent collecter les données de 60 % des malades avant d’aider à la gestion de l’épidémie. L’intelligence artificielle, c’est notamment le métier de Keyrus. Les moyens ? Les firmes ne peuvent travailler bénévolement, mais assurent fixer leur tarif à un prix raison- nable et veulent bien le prouver.

Complémentaire au tracing manuel déjà en place

La lenteur des autorités est d’autant plus exaspérante que le tracing manuel ne peut malheureusement pas remplir les conditions indispensables. Pour Stéphane De Wit, chef du Service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre (ULB),  » un tracing électronique est indispensable et urgent. Le tracing manuel, avec une moyenne de cinq contacts élucidés, est insuffisant pour mettre en garde vite si, justement, des braises de l’épidémie se rallument de manière plus conséquente ». C’est pour cela que le tracing numérique, ou plutôt l’avertissement numérique, qui détecte simplement si votre smartphone a passé plus de 15 minutes à moins d’un mètre cinquante d’un individu infecté ou suspecté de l’être, offre une capacité d’alerte nettement supérieure.

En France, en Allemagne, en Suisse, des applications sont déjà en service. Des touristes venus de ces pays parcourent le nôtre et des Belges sont en vacances là-bas. Nous devrions disposer d’un tel outil pour interconnecter nos données avec celles des étrangers qui nous rendent visite ou à qui nous rendons visite . Un tracing électronique apporterait une cartographie précise des clusters, très vite après leur apparition. Ce n’est pas la mémoire humaine qui doit estimer si les 15 minutes ont été un peu ou beaucoup dépassée, si la distance a été ou non atteinte. C’est un simple module de géolocalisation qui est intégré dans tous les smartphones et qui enregistre les smartphones qui sont autour de lui. Si ce sont, par exemple, les galeries commerçantes, les cinémas ou les gradins de foot qui sont les plus susceptibles d’engendrer une situation de contamination, on le saura rapidement. L’appli ne sert pas seulement à prévenir ceux que vous avez croisés pour qu’ils aillent se faire dépister s’il s’avère que vous avez développé les symptômes, mais surtout à cartographier les situations dangereuses afin de piloter la gestion de l’épidémie.

CoBra, une alternative ?

Le tracing numérique à partir d’une application était-il le meilleur choix ? Ce n’est pas l’avis de Frédéric Franssen, fondateur de CoBra, un collectif de spécialistes d’horizons divers qui propose une solution plutôt basée sur un petit équipement portatif (sur un bracelet, une veste, une ceinture…) émettant des identifiants anonymes via Bluetooth. La Belgique ferait selon lui fausse route.  » Quand on regarde les appels à projets dans le monde à l’heure actuelle, plus personne ne parle d’applicatif, constate cet ancien expert à la Sûreté de l’Etat, qui a travaillé par la suite dans le contre-espionnage technique au niveau européen. Je sais que si on veut concevoir un système de tracing où le respect de la vie privée et l’efficacité technique sont les points de départ, on ne peut pas parler de smartphone. Même si le contenu est chiffré, beaucoup de solutions peuvent casser ces chiffrements. Or, de mon expérience, il n’existe pas de base de données intéressantes dont on n’essaie pas de violer les règles de protection.  »

L’équipement CoBra résout en outre les questions soulevées en matière d’égalité des chances, à l’égard des personnes qui ne disposent pas d’un smartphone, ou dont l’ancienneté du modèle pénalise la précision du tracing. A quel coût ?  » Nous pouvions équiper la Belgique au prix de deux F35 (NDLR : soit environ 160 millions d’euros) « , indique Frédéric Franssen. Si le montant est élevé, il estime que le tracing via les call centers est un fiasco, tant au niveau des résultats que de leurs coûts.

Vu les balises fixées dans le marché public lancé dans les prochains jours, il est déjà trop tard pour envisager un projet comme CoBra en Belgique. Le collectif se tourne désormais vers tout Etat qui souhaiterait opter pour une alternative aux applications, jusqu’ici peu prisées par les citoyens.  » Notre projet sera là pour tirer les leçons de ce qui n’a pas fonctionné, conclut Frédéric Franssen. CoBra est le début d’un équipement maturé, là où les applications s’apparentent à l’adolescence et aux faibles ambitions.  »

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