REMI VERMEIREN "Je suis un des rares nationalistes flamands à dire que la population wallonne est la première victime de cette constellation belge." © JAN VAN DE VEL - REPORTERS

« Toute la dette publique est due aux déficits wallons »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Une bonne raison parmi bien d’autres, aux yeux de Remi Vermeiren, pour enterrer la Belgique. L’ex-banquier flamingant et séparatiste retape sur le clou indépendantiste : « Belges, finissons-en ! » Le plus vite sera le mieux. Pour les Flamands comme pour les Wallons…

Il y a dix ans, il allumait le feu avec un manifeste indépendantiste dont il était l’inspirateur pour le compte d’un think tank nommé « in de Warande ». Aujourd’hui, son nouveau plaidoyer en faveur de l’indépendance de la Flandre ne fait plus que lever ou froncer quelques sourcils. Signe que l’idée fait son chemin… A 75 ans, Remi Vermeiren, quarante-trois années passées au service de la KBC dont il a été le président, ressort son plan B. L’ex-banquier séparatiste rend son diagnostic : la Belgique est un échec économique et démocratique cuisant et le restera. Puisque tout sépare Flamands et Wallons, finissons-en.

Le Vif/L’Express : Bye Bye Belgium, « there is no alternative » ?

Remi Vermeiren : Je ne crois pas qu’il y ait d’alternative. Pour la Flandre mais aussi, en fin de compte, pour la Wallonie et pour Bruxelles. Compte tenu des conditions qui seront liées à une telle séparation.

La situation aurait-elle empiré depuis votre premier appel à l’indépendance ?

La situation économique s’est détériorée, et les différences entre les deux grandes entités du pays n’ont pas ou ont à peine diminué. J’admets que la configuration de l’actuel gouvernement fédéral a changé la donne politique. Mais cette configuration n’est pas saine pour les francophones : ils ne sont représentés que par un seul parti, le MR. Ce n’est pas tenable pour la Wallonie.

Dit brutalement : « België barst ! », « que la Belgique crève ! » ?

Non, il n’est pas question pour moi d’envisager une explosion de la Belgique. Je plaide pour une séparation ordonnée, en vertu d’un accord à trouver entre des partenaires qui ont vécu ensemble depuis cent quatre-vingts ans, dans une logique humanitaire et humaine. Mon propos n’est pas antifrancophone. Je pense être un des rares nationalistes flamands à dire que c’est peut-être la population wallonne qui est la première victime de cette constellation belge.

La faute à la persistance d’un Etat-PS du côté wallon ?

Non, pas seulement. La cause principale réside dans la combinaison d’une pression fiscale très élevée et d’une dette publique trop lourde. Ces vingt ou trente dernières années, la Wallonie n’a guère performé sur le plan économique, à l’inverse de la Flandre. Les déficits publics wallons ont toujours été en grande partie compensés par des surplus budgétaires flamands. Cela signifie que la totalité de la dette publique belge résulte des déficits wallons. La comparaison est délicate, mais le cas grec illustre bien la situation des Wallons : si on n’oblige pas la Grèce à réorganiser son économie, elle restera un maillon faible de la zone euro. Grâce aux surplus flamands, les dirigeants wallons ont pu se permettre de ne pas prendre les mesures difficiles de redressement et cela, finalement, au détriment de la population wallonne.

Cette « libération » pour la Flandre aurait tout de même un coût. Vous le chiffrez à 237 milliards d’euros…

Ce n’est pas tout à fait correct : il ne s’agit pas d’un coût additionnel, il représente ce que la Flandre prend déjà en charge dans le cadre de la structure belge ! La dette publique, de quelque 400 milliards d’euros, est aujourd’hui supportée par tous les Belges, mais surtout par les Flamands puisqu’ils sont plus nombreux et plus riches. Quant aux transferts financiers nord-sud, ils sont évalués entre 6,8 et 8 milliards par an, respectivement par Vives (KUL) et le Cerpe (Université de Namur). Je propose que la Flandre prenne à sa charge 55 % de cette dette publique belge, la Wallonie 35 % et Bruxelles 10 %. Je propose aussi que les transferts financiers relatifs à la sécurité sociale, évalués par Vives à 3,6 milliards d’euros par an, soient maintenus durant cinq ans, avant d’être progressivement réduits de 10 % chaque année durant dix ans. La Flandre verserait ainsi au total 34 milliards d’euros à la Wallonie.

Vous ne vous attardez guère sur la charge des pensions…

Le coût du vieillissement est un grand défi, mais est à peine plus important en Flandre qu’en Wallonie ou dans d’autres pays. Si la Flandre veut maintenir son niveau de vie, elle aura précisément besoin des moyens qu’elle consacre aujourd’hui à aider la Wallonie. Pour faire face au vieillissement, et affronter le défi crucial de la mobilité.

Et si les francophones persistent à refuser le scénario de la séparation ?

La Belgique connaîtra peut-être une septième, une huitième, une neuvième réforme de l’Etat. Mais à terme, elle finira par s’évaporer. Puisque cela doit se produire, mieux vaut s’y préparer. « Puisque c’est inévitable, agissons dès maintenant », recommandait Margaret Thatcher.

Et Bruxelles dans tout ça ?

Bruxelles doit devenir une sorte de Washington DC, au-dessus de la mêlée des Etats.

Tout en restant, logiquement selon vous, la capitale de la Flandre…

Psychologiquement, les Flamands auraient du mal à abandonner Bruxelles. Libre aussi à la Wallonie de faire de Bruxelles sa capitale. Bruxelles deviendrait ainsi une ville-Etat, elle s’enrichirait à devenir une ville trilingue.

Quand la Flandre deviendra-t-elle un Etat indépendant ?

Quand il existera une large majorité en sa faveur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, j’en suis bien conscient. Les partis traditionnels flamands, CD&V, SP.A, Open VLD, ont montré, et ils le montrent encore, qu’ils préfèrent maintenir la constellation belge et qu’ils sont prêts à tous les compromis pour cela. De ce fait, ils contribuent à l’inefficience de la Belgique et à ses mauvais résultats.

Même la N-VA ne parle plus d’indépendance, mais seulement de confédéralisme. La nuance vous dérange ?

Le vrai confédéralisme est le début de l’indépendance. A condition que toutes les compétences essentielles soient confiées aux Régions, comme la sécurité sociale. Ce qui n’exclut pas un régime exceptionnel et transitoire de solidarité.

Le parti de Bart De Wever travaille au niveau fédéral à faire fonctionner correctement le modèle belge. Vous lui tirez votre chapeau ?

La N-VA était confrontée à un dilemme : participer autant que possible à la bonne gestion du modèle belge, non pas forcément pour prouver que ce modèle est gérable, mais pour prouver à ses électeurs que la N-VA est un parti capable de gérer correctement. Je comprends ce choix. Les partis nationalistes flamands – la VU l’a prouvé – , semblent condamnés à soutenir une Belgique régulièrement confrontée à des déboires économiques, et de ce fait à se liquider eux-mêmes en se faisant absorber par l’establishment belge.

La vision francophone d’un nationalisme flamand égoïste vous irrite ?

Oui, même si je comprends que les francophones utilisent cette image négative comme arme politique pour mettre sur la touche leurs adversaires. C’est à mes yeux fondamentalement malhonnête. N’oubliez pas que la Wallonie a toujours bénéficié de la solidarité de la Flandre, parfois contre le gré de certains Flamands.

België, de onmogelijke opdracht. Vlaamse onafhankelijkheid. Recht, behoefte en noodzaak, par Remi Vermeiren, éd. Pelckmans, 2014.

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