© DR

« Tous les djihadistes revenus de Syrie sont des terroristes en puissance »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’auteur de la tuerie de Bruxelles a croisé Sharia4Belgium lors de son « parcours initiatique » de djihadiste, affirme Samuel Laurent. L’auteur de Al-Qaïda en France l’assure : le groupe islamiste envoie des « agents dormants » prêts à frapper le moment venu.

Samuel Laurent dérange. Dans son interview sur l’auteur présumé de l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles, ce consultant international transformé en écrivain-reporter fustige l’impuissance des services de renseignement français, incapables de localiser Mehdi Nemmouche, malgré l’alerte donnée par leurs collègues allemands. Dans la foulée, il révèle que le tueur de Bruxelles a eu à sa sortie de prison en 2012 et à son retour de Syrie des contacts avec Sharia4Belgium ou ses héritiers.

Dans le livre Al-Qaïda en France (Le Seuil) qu’il vient de publier, Samuel Laurent dévoile un projet d’une autre ampleur encore. Lui qui a l’oreille de dirigeants islamistes en Syrie, en Somalie et en… France pour « avoir facilité certaines de leurs affaires, en Irak notamment » assure que le réseau islamiste sélectionne des djihadistes français engagés en Syrie, leur dispense une formation spécifique au Puntland, Etat autoproclamé du nord de la Somalie, avant de les réintroduire comme agents dormants en France via le Maghreb. Le moment venu, ceux-ci seraient « activés » pour commettre des attaques autrement plus meurtrières encore que celle de Bruxelles. Comme preuve concrète du projet de cette « armée secrète », l’auteur avance une cache d’armes, avec du matériel très sophistiqué, qu’un « émir » lui a fait découvrir au terme d’un jeu de piste dans l’Hexagone. Affabulation, ont réagi officieusement des membres du renseignement français. Au vu de la sophistication des attentats du 11-Septembre, peut-on balayer l’hypothèse d’un revers de la main ?

Le Vif/L’Express : Que vous inspire comme réflexion le profil du principal suspect de l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles ?

Samuel Laurent : C’est le profil classique d’un jeune Français qui se radicalise dans un univers profondément hostile à l’Occident à mesure qu’il se marginalise. Il démontre que la France est le vivier européen du djihadisme.

La thèse du « loup solitaire » avancée par les autorités vous convainc-t-elle ?

C’est tout sauf un « loup solitaire ». Ses séjours au Royaume-Uni et au Liban à sa sortie de prison en 2012 n’ont pas été effectués pour brouiller les pistes, comme il a pu être dit. Il s’agit d’un voyage initiatique. Mes sources m’ont rapporté que Mehdi Nemmouche a rencontré à Londres Anjem Choudary et à Tripoli, au Liban, le cheikh Omar al-Bakri (NDLR : les cofondateurs du mouvement islamiste Al-Muhajiroun en Grande-Bretagne). Il a aussi eu des contacts avec les organisations Sharia4Belgium et Sharia4Holland à sa sortie de prison et à son retour de Syrie. C’est ainsi qu’il a complété son éducation au salafisme amorcée pendant ses années de détention.

Que révèle ce parcours sur l’action des services de renseignement ?
Il prouve la nullité des services de renseignement français. Il est obscène que François Hollande se soit félicité de leur efficacité. Après son séjour en Syrie, Medhi Nemmouche se fait remarquer par les services allemands. Ils alertent leurs collègues français. Nemmouche est déjà fiché en France. Et que se passe-t-il ? Les Français n’arrivent pas à mettre la main dessus sous prétexte qu’il est soi-disant SDF et qu’il ne dispose plus d’adresse fixe en France. C’est une preuve lamentable de l’inefficacité de ces services. Nous avions déjà observé la même chose dans le dossier de Mohamed Merah (NDLR : le tueur de Toulouse en 2012). Les autorités espagnoles avaient averti la France…

Voyez-vous des différences entre Mohamed Merah et le tueur au Musée juif de Bruxelles ?

L’aptitude opérationnelle. Quand vous passez un an au sein de l’Etat islamique en Irak et au Levant, vous devenez un professionnel de la violence. Comparativement, Mohamed Merah, qui n’avait fréquenté « que » des camps d’entraînement entre Afghanistan et Pakistan, était un tocard. Le djihad en Syrie produit des hommes formatés à l’extrême à la vision salafiste binaire qui partage le monde en deux camps : les musulmans et les infidèles.

Le profil de Mehdi Nemmouche ne diffère-t-il pas totalement de celui que vous décrivez dans votre livre, des agents « dormants » envoyés en Europe par Al-Qaeda et capables d’agir à un moment donné ?

Ce sont deux profils très différents. Il y a celui des cellules dormantes et celui de ces milliers de djihadistes aguerris à la violence et endoctrinés au salafisme en Syrie. Il faut simplement se rendre compte que l’Europe est face à une hydre à mille têtes. Tous les djihadistes qui rentrent de Syrie sont des terroristes en puissance. C’est la menace que personne ne voit aujourd’hui. Nous ne sommes pas confrontés à quelques dizaines d’anciens d’Afghanistan mais à des milliers de jeunes Européens qui ont vécu une école de la guerre mille fois plus « efficace » que celle d’Afghanistan. Quand on a vécu cette guerre monstrueuse, il n’y a plus de barrière morale ou psychologique…

Dans votre livre, un de vos interlocuteurs affirme que l’activation des agents dormants est suspendue à la politique de la France. Si Al-Qaeda observe une nouvelle offensive supposée contre les musulmans, ils n’hésiteront pas à frapper. Est-ce crédible ?

La question est : sont-ils prêts ? A l’époque de l’intervention française au Mali, ils ne l’étaient pas. Le processus (NDLR : la réinstallation en France de djihadistes de Syrie en agents dormants) est-il arrivé à maturité ? Que fera Al-Qaeda si la France déclare la guerre à la secte Boko Haram au Nigeria, la pire connerie qui soit ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire