Tom Dechaene © Hatim Kaghat

Tom Dechaene, directeur de la Banque Nationale: « D’autres banques vont faire faillite »

Personne n’a une meilleure vue sur la santé de nos institutions financières que Tom Dechaene, directeur de la Banque Nationale. Dix ans après la crise bancaire, Dechaene ne mâche pas ses mots : « Je suis vraiment choqué que si peu d’administrateurs de banque s’intéressent au grand danger que courent leurs banques. »

Dechaene est un illustre inconnu auprès du grand public, mais dans le monde de la finance, son nom est prononcé avec le plus grand respect. Depuis 2014, il est directeur de la Banque Nationale. Il est chargé de la supervision bancaire en Belgique et, en tant que membre du conseil de surveillance de la Banque centrale européenne (BCE), il participe à la supervision de quelque 125 « banques systémiques » européennes. Si une de ces banques systémiques fait faillite, tout le système, et toute l’économie en souffriraient beaucoup. En Belgique, KBC, Belfius, Argenta, Degroof Petercam, Axa Banque Belgique, BNP Paribas Fortis et ING Belgique sont directement ou indirectement soumises à la surveillance européenne des banques systémiques. À cela s’ajoutent quelques dizaines de petites banques. Peu de personnes possèdent une meilleure vision de la santé de toutes ces institutions financières et des risques qu’elles courent que Dechaene.

Comment se fait-il que vous avez été un des premiers à prédire la crise bancaire et ses conséquences destructrices?

Tom Dechaene: J’avais remarqué à Londres que les Américains essayaient de revendre aux institutions financières européennes les prêts hypothécaires dont les banques savaient qu’elles avaient peu de chances d’être toutes remboursées. Certains banquiers se sont alors comportés comme des braconniers. Certains banquiers d’affaires ont gagné des sommes numéro de téléphone, comme je les appelle, des sommes de huit chiffres. En quelques années, ils ont gagné suffisamment pour passer le reste de leur vie sans souci. Ce faisant, ils n’ont pas prêté beaucoup d’attention aux conséquences possibles. Plus le risque est élevé, plus le profit est important et donc aussi le bonus. Cela s’est avéré être une spirale mortelle. Quand j’ai vu ces banques prendre de l’ampleur grâce à des activités qui n’ont rien à voir avec leur business réel, mais avec le remballage et la revente de ces mauvais prêts, je savais que tôt ou tard cela finirait mal et que l’Europe en ferait aussi les frais. Je n’ai pas du tout été surpris lorsque Fortis, par exemple, a dû être sauvée de la faillite.

Nos banques sont-elles saines aujourd’hui?

Bien sûr, beaucoup de choses ont changé. Les banques belges ne prennent plus de risques aussi importants, elles se maintiennent plus en phase avec leur activité réelle, les règles sont plus strictes, la supervision plus nette… Mais la plus grande innovation est peut-être la création du Conseil de résolution unique (CRU), une institution qui peut intervenir quand il y a un problème avec une banque. Mais d’autres banques vont faire faillite.

C’est bien ce que vous dites: d’autres banques vont faire faillite?

Oui, malgré toutes les améliorations et le renforcement du contrôle au niveau national et européen, des banques feront encore faillite. S’il s’agit de petites banques qui ne jouent pas de rôle crucial pour l’économie, le SRB n’interviendra pas. S’il s’agit de banques systémiques, il le fera. En 2008, quand les gouvernements ont dû sauver les grandes banques, c’était très chaotique. Personne n’était préparé et il n’y avait pas de bon cadre pour le faire. Des leçons en ont été tirées. Si les choses tournent mal et qu’une banque fait faillite ou semble faire faillite, l’audit est confié au SRB, qui peut faire ce qu’il juge nécessaire.

A-t-elle déjà dû intervenir?

Depuis sa création en 2015, le SRB a déjà assuré la tutelle de quelques banques. L’année dernière, la Banco Popular espagnole, par exemple, a connu des difficultés. Le vendredi, elle valait encore 2 milliards d’euros sur le marché boursier, mais nous avons constaté qu’on retirait plein d’argent et que la banque ne passerait probablement pas la semaine suivante. Le week-end, le SRB a pris le contrôle et vendu la banque pour 1 euro à la Banco Santander. Le lundi, elle a pu ouvrir ses portes. Les actionnaires de Banco Popular ont bien sûr perdu leur argent, mais la banque et l’argent des épargnants étaient sauvés. Évidemment, nous voulons éviter d’en arriver là.

Comment?

Nous voulons qu’une banque dispose de suffisamment de capital pour se sauver. C’est pourquoi une banque devrait avoir une réserve de 8% de son bilan total, la somme de tous ses actifs. Pourquoi 8% ? Parce que le passé nous a appris que cela suffit généralement à absorber une crise. Et s’il faut tout de même plus d’argent, l’état peut toujours leur venir en aide. Mais nous n’en sommes pas encore là en Europe, car au sein de la zone euro il n’y a pas d’accord que la réserve devrait s’élever à 8%.

Les banques belges possèdent-elles toutes cette réserve de 8%?

La plupart oui, mais pas toutes. Mais quand j’étudie les statistiques de toutes les banques de la zone euro, les banques belges figurent généralement parmi les meilleurs de la classe. Nous avons un secteur bancaire relativement sain.

Pourtant, la Banque Nationale tape régulièrement sur les doigts des banques parce qu’elles accordent trop facilement des emprunts hypothécaires.

Certainement, car les bulles sur le marché immobilier, des prix excessivement élevés pour l’immobilier, ont souvent mis le système financier en difficulté. Et la Belgique, avec l’Allemagne, est le seul pays de la zone euro où les prix de l’immobilier n’ont pas connu de forte baisse après 2008. Chez nous, ils ont même continué à augmenter. On voit dans d’autres pays que, pendant une génération, une baisse de 20% des prix de l’immobilier ne fait pas exception. Nous devons également prendre en compte un scénario dans lequel les prix de l’immobilier peuvent chuter soudainement de 20%. Un tel choc et plus de défauts de paiement sur les prêts hypothécaires pourraient poser de sérieux problèmes aux banques. Et généralement, une telle crise s’accompagne d’autres problèmes économiques, tels que le chômage, qui peut encore aggraver la situation. C’est pourquoi nous insistons pour que les banques ne soient pas trop laxistes dans l’octroi de prêts immobiliers et qu’elles créer des réserves supplémentaires. Cela reste une préoccupation majeure.

Tom Dechaene, directeur de la Banque Nationale:
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Quels sont les autres risques importants pour les banques belges?

Une cyberattaque figure dans mon top trois de risques. Imaginez qu’une grande banque soit soudain frappée par une cyberattaque qui paralyse tous les paiements pendant un mois. Les clients envisageront de faire verser leur salaire ailleurs. C’est ainsi qu’on peut détruire une banque très saine. Et je ne parle même pas d’une cyberattaque qui détruirait une grande partie du système bancaire, avec toutes ses conséquences. Cela pourrait-il arriver? La Banque Nationale permet aux pirates informatiques éthiques de tester le système, mais il est presque impossible de s’y préparer tout à fait. On ne sait jamais de quel angle vient une telle attaque et ce que cela impliquera exactement. J’estime que le risque d’une cyberattaque est réel et qu’elle pourrait avoir des conséquences majeures. Jusqu’à présent, les cyberattaques étaient encore comparables à une guerre conventionnelle. Un jour, une bombe atomique éclatera quelque part.

Qu’y a-t-il d’autre dans votre top trois?

La numérisation. Celle-ci va tellement vite que je ne peux m’imaginer que de grandes entreprises tech telles que Google, Amazon, Facebook et Apple – lesdits GAFA – ne soient pas actives dans dix ans dans les prestations de service offertes aujourd’hui par les banques traditionnelles. Il est probable qu’elles proposent d’abord des services payants. Les GAFA disposent d’armes très fortes. Grâce à leurs data, elles savent très bien ce qui vous intéresse. Vous aimez les chaussures ? Si vous passez devant un magasin de chaussures, Facebook pourrait vous le signaler par message. « Et à propos, vous pouvez payer en appuyant simplement sur un bouton de notre réseau. » Vous n’avez plus besoin de passer à la banque. Naturellement, cette évolution représente un défi gigantesque pour les banques. En dix ans, elles peuvent perdre une grande partie de leurs affaires. Selon des études, un tiers des bénéfices actuels des banques disparaîtraient. Les conséquences seront donc énormes, même parmi les banques qui survivront à l’arrivée des GAFA.

Nos banques sont-elles conscientes de cet énorme défi ?

La Banque Nationale a comparé toutes les banques belges sur le plan numérique et a vérifié dans quelle mesure elles sont prêtes à relever le défi des GAFA. L’intention était de partager les résultats de cette étude avec toutes les banques. Nous avons invité tous les administrateurs non exécutifs des banques. Savez-vous combien ont accepté l’invitation? Dix! Notez: Je suis vraiment choqué que si peu de dirigeants de banques belges s’intéressent au grand danger que courent leurs banques. Donc, pour répondre à votre question: un grand nombre de nos banques ne sont manifestement pas conscientes de l’énorme défi auquel elles sont confrontées avec les changements technologiques dans le secteur financier et, par exemple, avec l’entrée possible des GAFA. J’en suis très inquiet, car cela changera complètement le paysage bancaire.

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