Tinne Van der Straeten © Belga

Tinne Van der Straeten, ministre de l’Énergie et étoile montante de la politique belge (Portrait)

Catherine Vuylsteke Journaliste Knack

Son plan pour la sortie du nucléaire l’a propulsée dans l’oeil d’une tempête politique. La toute nouvelle ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), y résistera-t-elle ? Portrait.

Le 24 octobre, Tinne Van der Straeten tweetait : « Je suis la CEO du secteur de l’énergie et l’accord de gouvernement est mon business plan. » Cet accord stipule que notre pays fermera ses deux dernières centrales nucléaires d’ici 2025, une résolution qui date de 2003 mais qui n’a jamais été réalisée. Aujourd’hui aussi, ce plan se heurte à une résistance politique importante. Certains disent que la lumière va s’éteindre, d’autres prophétisent que la facture d’énergie sera trop élevée, d’autres encore trouvent les émissions temporaires supplémentaires de CO2 des centrales de gaz additionnelles inacceptables. Van der Straeten possède-t-elle les compétences politiques pour affronter les remous ?

Il y a certaines choses sur lesquelles tout le monde est d’accord: Van der Straeten est intelligente et rapide. C’est une battante qui connaît ses dossiers à fond, et qui possède un QI élevé. Elle a l’esprit d’équipe aussi, centrée sur les résultats, et elle conclut des compromis. Elle connaît les astuces du métier, nous confie l’homme qui neuf ans durant a été son associé dans un cabinet d’avocats. C’est une dure à cuire, mais elle n’est pas sournoise.

« Tinne est une étoile montante en politique belge », déclare Luc Barbé, ancien idéologue Agalev, et auteur de Kernenergie in de Wetstraat (2011). « Cela éveille toujours la jalousie, et dans le cas d’une femme l’envie est deux fois plus grande. On voit que les snipers préparent leurs armes. En outre, dans ce pays, il y a quatre ministres de l’énergie. En Wallonie et à Bruxelles, il y a une dynamique positive, et Tinne connaît les gens personnellement. La question c’est si la Flandre, à savoir la ministre de l’Énergie Zuhal Demir (N-VA), fera tout pour retarder la sortie. »

Selon l’ancien ténor d’Agalev Jos Geysels, « pour les experts comme Tinne, qui connaissent bien leur matière, et sont pénétrés par leur objectif, il est important de traduire cette expertise en communication politique qui parle aussi à un public plus large. L’ancienne sénatrice Freya Piryns pense que Van der Straeten a le plus à craindre de son parti. « Avec de tels amis, plus besoin d’ennemis. Si elle doit reporter la sortie du nucléaire, on l’abattra. »

Présidente des jeunes

Tinne Van der Straeten est la petite-fille d’un agriculteur campinois. Deuxième de trois enfants, elle grandit à Malle dans la province d’Anvers. Après l’école secondaire, Van der Straeten déménage à Gand, elle est l’un des premiers enfants de sa famille à étudier à l’université. Si en 2020 elle est louée pour ses connaissances en droit de l’énergie, en 1996 la jeune Campinoise choisit des études de langues et culture africaines. Pourquoi ? Aucun de ses amis politiques ou alliés ne peut vraiment l’expliquer.

En 2000, Van der Straeten part vivre à Bruxelles. Elle travaille à l’université et devient membre d’Agalev, qui remportera les élections un an plus tard, et gouverne pour la première fois au niveau fédéral et flamand. Alors que le gouvernement arc-en-ciel Verhofstadt I (1999-2003) entre dans l’histoire avec la loi sur l’euthanasie, la politique de tolérance autour des drogues douces, le mariage homosexuel, le refus d’entrer dans la guerre en Irak et la sortie du nucléaire qui fait tant débat aujourd’hui, Van der Straeten devient, à 25 ans, présidente des jeunes de son parti.

« Tinne a le truc »

En 2003, elle est candidate aux élections. La défaite est écrasante : pour la première fois depuis 1981 les verts disparaissent du parlement fédéral, et les ministres Agalev démissionnent du gouvernement flamand. « Il en va des verts comme les champignons », expliquait le président libéral de la Chambre Herman De Croo. « Le matin, le pré est rempli, mais quand vous allez voir le lendemain, il n’y en a plus aucun. »

Agalev traverse une crise profonde. Fin 2003, certains chroniqueurs, tels que Peter Vandermeersch, ancien rédacteur en chef du quotidien De Standaard, évoquent même « la longue agonie du parti ». Vera Dua reprend les rênes, et sous son impulsion, Agalev devient Groen. Pour renouveler l’image du parti, elle met Tinne en avant. « Tinne a le truc », déclarent des membres de Groen à la presse. Dua : « Beaucoup quittaient le navire, mais la jeune femme s’est investie dans le projet de rénovation. Elle a réussi, notamment grâce à sa fraîcheur et ses compétences communicatives. Quand elle entrait dans une pièce, le soleil brillait. »

Présidente de Jong Groen, Van der Straeten, adopte une série de positions progressistes. Lorsque Patrick Dewael (Open VLD), alors ministre de l’Intérieur, plaide en faveur d’une interdiction du voile à l’école, elle évoque « un non-débat, carrément insultant pour les allochtones. » Pour elle, le ministre devait plutôt s’occuper de la discrimination des allochtones sur le marché du travail, dans l’enseignement, et sur le marché locatif.

Quelques mois plus tard, elle dénonce aussi la politique d’asile de Dewael. « Il se targue d’avoir peu de demandes d’asile, mais il ne prend pas de mesures structurelles pour aider le groupe grandissant d’illégaux dans notre pays. Le gouvernement fédéral crée ainsi une sous-classe de main-d’oeuvre bon marché illégale. » Sa solution ? Une reprise des régularisations, qui aura lieu en 2009 sous la ministre à l’Asile et à la Migration Annemie Turtelboom (Open VLD).

Les premières années après la défaite électorale verte, Van der Straeten montre qu’elle jette des ponts. Elle cherche un terrain d’entente par-delà les partis. À un moment où la droite recule et la gauche se chamaille, elle fonde la plateforme commune Joengk avec les présidents des sections jeunes de sp.a et de Spirit, un clin d’oeil au surnom peu flatteur inventé par le président de l’ACV Jef Houthuys pour le jeune Guy Verhofstadt. « Je pense que le sp.a, Groen, et Spirit peuvent moins que jamais se permettre de se jouer des tours », déclare-t-elle au Morgen. « Depuis l’opposition, nous devons développer une stratégie où nous renforçons l’aile gauche, au lieu de l’attaquer ».

Depuis, Van der Straeten a exercé ce talent à la coopération plusieurs fois. L’été dernier, elle conclut un accord qui empêche que les subsides pour construction de centrales à gaz fassent grimper la facture énergétique de familles et d’entreprises avec Bert Wollants (N-VA) au sein de la Commission Énergie à la Chambre. « Dans la tête de nombreux partis, il y a une muraille de Chine entre Groen et la N-VA. Elle ne s’en occupe pas, pour elle, il s’agit de l’objectif commun. », déclare Wollants.

Tinne Van der Straeten
Tinne Van der Straeten© Belga

La Belgique en petit

En 2004, Van der Straeten se présente aux élections européennes. Elle ne remporte pas de siège, mais ne se laisse pas abattre. Promue vice-présidente de son parti elle décide d’étudier le droit en cours du soir. Cela ne lui semble pas seulement intelligent pour une politicienne, cela lui permettra peut-être aussi de travailler un jour pour la Cour européenne de Justice.

En 2006, Van der Straeten est élue pour la première fois conseillère communale à Koekelberg. « C’est un grand avantage pour une politicienne fédérale d’avoir de l’expérience en politique bruxelloise. » Un an plus tard, elle conquiert un siège au parlement fédéral. Elle doit combiner ses deux fonctions avec ses études, et pourtant ses collègues et les journalistes politiques louent sa prestation de parlementaire. « Elle a réellement fait ses preuves », estime Piryns. « En moins de temps qu’il faut pour le dire, elle a maîtrisé un dossier très technique, et elle a réussi à convaincre les parlementaires de la majorité alors qu’elle était dans l’opposition. Elle avançait des chiffres, et des arguments rationnels, tout en étant très chaleureuse et humaine. Pour elle, convaincre, ce n’était pas coincer quelqu’un. » Gorik Van Holen, directeur politique du sp.a, et ancien journaliste politique au Morgen, approuve Piryns. « Elle était l’une des meilleures, et pas seulement chez Groen. »

La nouvelle carrière de Van der Straeten est de courte durée. Suite à l’apparentement – le rattachement de listes entre différentes circonscriptions électorales – elle perd son siège au profit d’Eva Brems. La même année, elle termine ses études de droit.

À la Chambre, Van der Straeten rencontre Tim Vermeir, un avocat spécialisé en droit de l’énergie qui envisage d’ouvrir son cabinet. « Je me souviens bien comment les cadres d’un géant de la chimie s’étaient d’abord opposés à une avocate verte. Il ne lui a pas fallu longtemps pour les mettre dans sa poche ». (rires)

Van der Straeten acquiert une expérience utile chez Blixt, car plusieurs entreprises d’énergie l’engagent aussi comme juriste. Vermeir : « C’était son truc. Elle y apprend comment fonctionne une entreprise – des PME, mais aussi des multinationales. Cette expérience a formé sa vision. Tinne n’est pas une fondamentaliste écologiste qui ignore que nous avons besoin de personnes qui investissent et prennent des risques. Au contraire. Lorsqu’elle était encore au parlement, le ministre de l’Énergie de l’époque Magnette (PS) lui reproche un jour sa ‘pensée verte néo-libérale’. Plus tard, nous avons bien ri, mais c’est ce qui la caractérise un peu aussi. It’s the economy, stupid: elle comprend cela. »

Sur les traces de Los Angeles

Après les élections communales de 2018, Van der Straeten est nommée échevine de la Mobilité à Koekelberg. Alors que des milliers d’écoliers sèchent les cours pour le climat et manifestent à Bruxelles, Koekelberg est la première commune belge à décréter l’urgence climatique, à l’instar de villes comme San Francisco et Los Angeles. « Nous allons devoir élaborer le plus rapidement possible un plan climatique qui respecte l’accord climatique de Paris », écrit Van der Straeten dans un communiqué.

Le 26 mai 2019, Van der Straeten remporte l’un des neuf sièges de Groen à la Chambre, ce qui l’oblige à démissionner de sa fonction d’échevine à Koekelberg. « Dès le début, nous étions favorables à une entrée des écologistes au gouvernement. Dans l’opposition, c’est plus facile d’être inflexible, mais nous trouvions qu’il était temps d’agir, même si c’est risqué. L’été dernier, nous avions encore maudit nos faibles chances d’appartenir à la nouvelle coalition. Et regardez, ce qu’il s’est passé. », déclare Kristof Calvo, chef de groupe Groen de la Chambre. Et Van der Straeten aurait tellement bien expliqué le dossier énergétique lors des négociations gouvernementales que tous les présidents de parti l’ont applaudie. Ce n’est pas vraiment banal.

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