Christos Doulkeridis

Théo Francken nourrit « une haine ciblée envers les réfugiés ou les immigrés musulmans »

Christos Doulkeridis Député bruxellois Ecolo

Lettre ouverte à Theo Francken, de Christos Doulkeridis, député bruxellois Ecolo et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Depuis que je suis enfant, je suis fan de football. A 15-16 ans, je m’inscris à la Croix-Rouge dans l’espoir de pouvoir assister aux matchs d’Anderlecht sans devoir payer les tickets, au coût prohibitif pour le jeune que je suis alors. Ce sont mes premiers contacts avec le hooliganisme.

Les supporters du bloc O avaient cette réputation de terreur et nous savions que les problèmes pouvaient venir à tout moment depuis cette partie du stade. On est en 1984 et j’ai vraiment mal choisi le moment d’aller dans les stades. Chaque « grand » match est susceptible de dégénérer. On l’entend, parmi les chants, des supporters des deux camps qui se donnent rendez-vous dans le parc Astrid après le match pour en découdre. D’importants dispositifs policiers sont déployés et nous, avec nos brancards, on suit pour soigner le plus rapidement possible ces imbéciles qui se tapent dessus. C’est la « grande » époque du club. On accueille Nottigham-Forrest et Tottenham.

Moi, les souvenirs que j’en garde ne sont pas sportifs. Par exemple, j’ai encore en tête ce moment, parmi beaucoup d’autres, où on nous appelle pendant le match pour secourir… une femme enceinte de 8 mois écrasée contre les grillages, poussée par la foule en délire. Pendant des années, je serai hanté par cette image et par cette question : est-ce que l’enfant a pu être sauvé ?

Hélas, ce ne sera pas le pire de ce que j’aurai connu.

Quelques mois après, je m’installe avec le reste de ma famille devant l’écran de télévision pour regarder une finale qui oppose Liverpool à la Juventus. Mais le téléphone sonne. Ce sont les services de la Croix-Rouge qui m’appellent, comme tous les autres volontaires de la région, pour rejoindre en urgence le stade Roi-Baudouin. Nous sommes le 29 mai 1985 et je ne suis pas encore conscient de l’horreur à laquelle nous allons faire face.

Nous allons porter des blessés, mais aussi des cadavres de femmes et d’hommes venus normalement simplement assister à un match de foot. Je n’oublierai jamais le visage de ces jeunes femmes inanimées. Je n’oublierai jamais les familles qui se pressaient pour avoir des nouvelles de leurs proches. Ils n’avaient pas à vivre ça en allant simplement passer un bon moment sportif. Ni eux ni les centaines de milliers d’autres personnes qui, ici ou partout dans le monde, se sont retrouvés dans des incidents aussi scandaleux qu’inexcusables et qui, à chaque fois, sont liés à une compétition de football. Parce qu’il faut le dire : ni le tennis, ni le basket, ni le volley, ni le rugby, ni aucune autre compétition sportive ne suscite à ma connaissance autant de violence de la part de ses supporters.

Je ne parviens pas à comprendre comment un individu parvient à s’enflammer de façon aussi violente à propos de performances ou de non performances dont il ne peut de surcroît absolument pas s’attribuer le moindre mérite. La principale question que nous devrions tous nous poser est de savoir pourquoi le football nourrit-il aussi souvent l’instinct casseur de certains d’entre nous ? Comment devons-nous nous organiser au niveau des clubs, de la police, des autorités publiques pour faire face à ce type de débordements inacceptables vécus à chaque grande compétition ?

Alors, geachte Théo Francken, en tant qu’homme politique qui parle à un autre homme politique qui a reçu des responsabilités gouvernementales, j’ai le devoir de vous dire que vous êtes un scandaleux arnaqueur public lorsque vous profitez d’un énième incident de la sorte en faisant un raccourci minable pour nourrir une fois de plus une haine ciblée envers les réfugiés ou les immigrés musulmans.

Oui, c’est une arnaque. Je suis convaincu que vous savez pertinemment bien que vous trompez les Belges en parlant de la sorte, que vous surfez sur leur colère légitime après ce qui s’est passé dans le centre de Bruxelles, que vous attisez leurs peurs et essayez de stimuler leur haine.

Quand on se trompe dans l’analyse d’un problème, on ne le règle jamais. C’est d’ailleurs peut-être ce que vous souhaitez. Mais j’aimerais vous rappeler que vous n’êtes pas payé par les citoyens pour ça. Vous n’aidez pas notre société à mieux se gérer avec de pareilles postures. Je comprends bien que votre popularité actuelle vous encourage à continuer à déraper sur toutes ces thématiques. Mais à un moment, chacun rend compte de ce qu’il a semé. Et quand on sème la haine, l’histoire nous apprend ce que l’on récolte. Le problème est que ce sont surtout les autres qui risquent de payer très cher cette addition.

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