Theo Francken, de secrétaire d'Etat à bourgmestre de Lubbeek. © KRISTOF VAN ACCOM/belgaimage

Theo Francken: « framing » et recadrages

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Theo Francken n’est plus secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration. Retour sur le parcours au gouvernement de son membre le plus « geek » et le plus controversé.

Sur l’immigration, Theo Francken a une théorie: la gauche, qu’il décrit comme bien-pensante et, surtout, comme dominante, impose son framing (cadrage, en anglais) à l’opinion publique. Celui-ci se traduirait par un traitement médiatique favorable à l’immigration et à la diversité, bref, à ce que Theo Francken appelle « le lobby des frontières ouvertes », et entrerait en contradiction avec les aspirations d’une population intrinsèquement hostile.

Depuis son fauteuil de secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, ses projets de réforme de la loi de 1980 sur le séjour des personnes étrangères sous un bras, son smartphone dans l’autre main, Theo Francken a combattu ce framing. Début 2018, après s’être vigoureusement investi dans une lutte cruciale contre les mitres de Saint-Nicolas dessinées sans croix, il nouait avec une dictature, celle de la République du Soudan, une collaboration que son Premier ministre, Charles Michel, expert recadreur contre spécialiste en framing, qualifiait un peu embarrassé de « technique », afin d’identifier les demandeurs d’asile en Belgique.

La mise à l’agenda permanente de cette question migratoire prend le chemin des réseaux sociaux, où Theo Francken éperonne ses 93.000 followers sur Twitter et ses 197.000 fans sur Facebook, dans les médias également, francophones y compris, où le bourgmestre de Lubbeek profite d’une visibilité inédite pour un secrétaire d’Etat, en Europe, aussi, lorsque Theo Francken proclame la mort du processus de Dublin et la nécessité de contourner la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, mais au Parlement et au gouvernement, surtout. Car quand il était député fédéral déjà, dans l’opposition au gouvernement Di Rupo et à la secrétaire d’Etat à l’Asile Maggie De Block, il s’était spécialisé dans ces sujets identitaires. Il a réclamé et obtenu le poste de secrétaire d’Etat.

Sa dernière année au gouvernement, jusqu’à sa sortie sur le pacte migratoire de l’ONU, aura marqué un climax de son framing sur ces thématiques. La douzaine de modifications de la loi de 1980 sur les étrangers portées par Theo Francken, pas toutes abouties, ont été accompagnées d’une communication très soignée, bien sûr, mais aussi, et souvent, de polémiques. Celle sur l’autorisation de visites domiciliaires chez les personnes soupçonnées d’héberger des étrangers en séjour illégal a crispé jusqu’à ses alliés au gouvernement. Présenté deux fois en conseil des ministres, le projet de Theo Francken a été rangé au fond d’un frigo par Charles Michel: au MR, Christine Defraigne et Richard Miller notamment, s’étaient explicitement montrés réticents à cette disposition. La limite de 50 demandes admissibles par jour à l’Office des étrangers, imposée par le secrétaire d’Etat à la fin du mois de novembre, s’entachait d’accusation de cynisme. L’Office étant en capacité de recevoir davantage de sollicitations, on accusa le secrétaire d’Etat d’organiser le désordre, de salir pour pouvoir nettoyer (prononcer #opkuisen).

En mai, un terrible fait divers avait jeté une lumière hideuse sur l’immigration illégale et ses conséquences. Le décès de Mawda Shawri, 2 ans, kurde irakienne, alors qu’elle se trouvait dans une camionnette poursuivie par la police, incita le président du parti de Theo Francken, Bart De Wever, à considérer que les parents de la fillette étaient responsables de son décès. Onze recteurs d’université réclamèrent à Theo Francken la régularisation des parents. Theo Francken leur répondit en les menaçant, sur Twitter bien sûr, d’un « retour de boomerang, publiquement comme sur le fond ». Il y eut le Pacte de l’ONU, enfin, que Theo Francken soutint jusqu’à ce que son parti et lui ne redoutent que ce soutien ne profite au Vlaams Belang.

A la fin de 2018, Francken n’est plus secrétaire d’Etat mais il est l’homme politique le plus populaire de Flandre, soutenant ouvertement la marche houleuse contre le pacte migratoire, qui rassemble 5.500 manifestants, beaucoup d’extrême droite, le 16 décembre à Bruxelles. Sur Twitter et dans les médias qui lui accordent une large place, il ne parle que d’immigration, de fermeture des frontières, de danger pour nos valeurs. Et il dénonce le fait que les médias ne lui accordent pas une large place. Imparable cadrage.

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