L'arrestation de Melouk, en 1998, à Ixelles. © BELGAIMAGE

Terrorisme : l’ombre des anciens

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les générations de terroristes islamistes se succèdent depuis les années 1990. Y a-t-il un lien entre elles ? Entre les djihadistes d’il y a vingt ans, anciens d’Afghanistan, et ceux de 2015 ? De plus en plus d’éléments incitent à le penser. Troublant.

Les attentats de Paris et de Bruxelles-Zaventem ont marqué le début d’une nouvelle ère du terrorisme djihadiste, celui de la quatrième génération. Une génération qu’on découvre depuis la tuerie du Musée juif de Belgique, perpétrée en mai 2014 par Mehdi Nemmouche, le geôlier cruel de l’Etat islamique, qui avait torturé des otages français avant de revenir en Europe. C’est la génération des frères Abdeslam, El Bakraoui, Kouachi, d’Amedy Coulibaly, de Mohamed Belkaïd, de Najim Laachraoui, de Bilal Hafdi, dont les noms résonnent désormais de manière familière à nos oreilles et qui font partie d’un vaste réseau franco-belge, impliquant aussi les Pays-Bas.

Avant eux, d’autres générations de combattants du djihad ont semé la terreur en Europe. La première date de la fin de la guerre froide, lorsque le terrorisme était considéré comme un moyen de faire connaître une cause. C’est l’époque du Groupe islamique armé (GIA), né en Algérie après que les militaires aient empêché l’arrivée au pouvoir par les urnes du Front islamique du salut (FIS), en 1992. Le GIA était formé par des vétérans de la guerre en Afghanistan qui jouèrent un rôle de premier plan. En Belgique, la police a vite découvert que ce groupe islamo-nationaliste avait essaimé et créé des cellules de propagande et de récolte de fonds sur notre territoire.

En 1995, après une vague d’attentats à Paris (dont celui du RER à la gare Saint-Michel – Notre-Dame qui fit huit morts), un réseau du GIA fut démantelé à Bruxelles. Le réseau d’Ahmed Zaoui. Trois ans plus tard, un autre réseau fut mis au jour, celui de Farid Melouk. Ce Lyonnais, qui avait épousé la cause islamiste en 1992, séjournait en Belgique depuis trois mois. Son arrestation, rue Wéry à Ixelles, donna lieu à un mémorable Fort Chabrol. « Retranché, Melouk a tiré pendant des heures vers les forces de l’ordre sans jamais toucher personne », se souvient son avocat d’alors, Vincent Lurquin.

Arrêté avec sept autres djihadistes, celui qu’on surnomme Le Chinois sera condamné, quasi en même temps, en France (par contumace) et en Belgique, à de lourdes peines. Il sortira de prison en 2009. Détail significatif : lors de son arrestation, les enquêteurs découvriront, dans son antre, un pamphlet de 60 pages, qui est le « certificat de naissance » du Groupe islamique combattant marocain (GICM), basé sur le modèle du GIA algérien, comme le rappelle l’institut Egmont-Institut royal des relations internationales, dans une revue de 2007. Melouk présente donc un lourd pedigree, d’autant qu’il est passé par les camps d’entraînement en Afghanistan, comme le rapporte l' »infiltré » Omar Nasiri dans le livre Au coeur du djihad (Flammarion). Selon Nasiri, il se faisait alors appeler Abdul Kerim et apprenait très consciencieusement à confectionner des télécommandes pour déclencher des bombes.

Le 11 septembre 2001 marquera le passage au terrorisme islamiste de deuxième génération, dit terrorisme de masse. Les GIA ont été défaits. Désormais, Al-Qaeda, depuis l’Afghanistan, domine le djihadisme international qui livre une guerre plus globale dans le monde entier. En Belgique, deux jours après l’attaque du World Trade Center, Nizar Trabelsi est arrêté. Cet ancien joueur de foot professionnel, cocaïnomane, qui a sombré dans la délinquance, fut chargé par Oussama ben Laden, rencontré en Afghanistan, de former un réseau djihadiste. Il a été extradé vers les Etats-Unis, en 2013. Les enquêteurs le relient notamment à Djamel Beghal, un franco-algérien, arrêté en juillet 2001, qui planifiait une attaque kamikaze contre l’ambassade américaine à Paris.

Après les frappes américaines en Afghanistan, Al-Qaeda opte pour une stratégie de décentralisation et investit de manière massive le Web, suscitant de nombreuses vocations dans les pays occidentaux. C’est la troisième génération, celle du wikiterrorisme des années 2000. Les djihadistes utilisent la technologie Internet pour recruter des « locaux », que les spécialistes appellent homegrown terrorists. La propagande se fait par YouTube.

Aujourd’hui, la quatrième génération constitue une nouvelle menace importante pour l’Europe, la France et la Belgique en particulier. La proclamation du califat par Abou Bakr al-Baghdadi a créé un appel d’air inquiétant. Selon les derniers chiffres, cités par l’agence Associated Press, quelque 5 000 Européens sont partis se former et combattre en Syrie, aux côtés de l’Etat islamique. Entre 400 et 600 auraient été entraînés à perpétrer des attaques ciblées en Europe. Mais ce qui frappe de plus en plus, ce sont les indices démontrant un lien entre l’ancienne génération, celle du GIA, et la nouvelle.

Farid Melouk est en Syrie

Déjà en février 2015, devant une commission d’enquête parlementaire française, l’ex-juge antiterrorisme Marc Trévidic déclarait : « Un élément nouveau est apparu depuis quelques mois : des « anciens » ont repris du service. Ainsi Farid Melouk, dont j’ai appris la présence en Syrie avec deux autres individus. Ces anciens ont un carnet d’adresses phénoménal, en France et en Belgique, et peuvent inciter bien des gens à les rejoindre. » Le 25 mars dernier, sur BFM TV, Trévidic a insisté, en reparlant de Melouk : « A mon avis, il faut aller voir du côté des anciens pour comprendre qui dirige ce qui nous arrive aujourd’hui. Les gens qui sont à la tête de ces réseaux, on les connaît. Comme Melouk, ils ont une aura d’anciens de l’Afghanistan, ce qui en fait des chefs naturels. »

Le 13 mars, le site d’information Mediapart publiait une photo, trouvée sur le gsm d’Hasna Aït Boulahcen, tuée lors du raid de Saint-Denis (Paris) du 18 novembre 2015 : on y voit son cousin Abdelhamid Abaaoud accompagné de ce qui semble être Farid Melouk, qui a rejoint la Syrie en 2012. Au Vif/L’Express, Me Lurquin déclare ne pas le reconnaître. « Mais cela fait près de vingt ans que je ne l’ai plus vu, c’est difficile à dire », nuance-t-il. Abaaoud, on le sait, est considéré comme étant le cerveau des attentats de Paris et de Bruxelles, ami d’enfance des Abdeslam, à Molenbeek.

Par ailleurs, Melouk était également apparu, en avril 2010, aux côtés de Djamel Beghal, alors en résidence surveillée dans le Cantal, d’Ahmed Laidouni, un recruteur condamné en France avec Melouk et de nouveau arrêté en 2014 à Tanger, et de… Chérif Kouachi, un des jeunes tueurs de Charlie Hebdo en janvier 2015, qui a connu Beghal et Melouk en prison. Les quatre Franco-Algériens jouaient au foot. Beghal, Laidouni et Melouk sont de la même génération, nés dans les années 1960 et anciens d’Afghanistan.

Y a-t-il un lien entre la jeune et l’ancienne génération ? Les anciens – Melouk en particulier – seraient-ils les têtes pensantes, en Syrie, des attaques de Paris et Bruxelles ? « Il ne serait pas étonnant que les deux générations se soient retrouvées en Syrie, réagit Rik Coolsaet, de l’institut Egmont, grand spécialiste du djihadisme. On s’est tellement focalisé sur l’actuelle génération qu’on a peut-être négligé les anciens. Mais il faut rester prudent. Pour l’instant, rien ne permet de déterminer si la série d’attentats qui ont eu lieu depuis mai 2014 sont une option du QG de Daech en Syrie ou du réseau francophone franco-belge. » Les indices se multiplient tout de même. Abderahmane Ameroud, arrêté le 25 mars à Schaerbeek, est, lui aussi, un ancien d’Afghanistan. Il a été condamné en 2005 pour complicité dans l’assassinat du commandant Massoud, deux jours avant le 11 septembre 2001, dont les deux assassins résidaient en Belgique.

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