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Tax-shift : tout reste à faire…

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le gouvernement n’était pas peu fier de présenter son tax-shift. La baisse des charges patronales aura bien lieu. Reste à voir quel impact cela aura sur l’emploi. Pour le reste, difficile de parler de révolution fiscale. Décryptage à chaud, avec nos experts.

Ils ont sué et très peu dormi. Mais il fallait un accord à tout prix. Le CD&V a eu gain de cause sur ce point. Le tax-shift, ou peu importe le nom qu’on lui donne (glissement, virage, réforme fiscale), a donc atterri avant les vacances parlementaires. Reste à observer ce que l’accord, obtenu à l’arraché par les sociaux-chrétiens flamands, va donner. « Parole tenue ! », s’est exclamé le Premier ministre, Charles Michel, au début de sa présentation à la presse, ce jeudi matin. C’est vite dit. Car les grands contours du glissement fiscal ont été tout juste esquissés, sans grandes précisions. Les journalistes ont d’ailleurs reçu très peu de données chiffrées, lors de la présentation.

Une certitude : le tax-shift est chiffré à 7,2 milliards d’euros. Qu’est-ce que cela représente pour les citoyens et les entreprises ? Le gouvernement entend augmenter le salaire poche des petits et moyens revenus de 100 euros par mois. L’objectif est évidemment de gonfler le pouvoir d’achat. Pour les entreprises, il s’agira de poursuivre la baisse des charges sociales patronales de 33 à 25 %. C’est sans doute la mesure la plus spectaculaire, bien qu’elle fût attendue. Cela devrait constituer un ballon d’oxygène pour les entreprises.

Sera-ce suffisant ? « Non, selon Michel Maus, professeur de droit fiscal à la VUB. Cela ne suffira pas à combler le gap de compétitivité entre notre pays et le reste des pays européens. Nous revenons de trop loin. » Même raisonnement de Bart Van Craeynest, chief-economist chez Econopolis, à Anvers. « En dessous de dix milliards, ce n’est pas un tax-shift réellement digne de ce nom. » C’était le seuil également avancé par les anciens patrons de la Banque nationale (BNB), récemment interviewés par le magazine Knack. Où en sommes-nous au niveau compétitivité ? Selon la FEB, le handicap salarial de la Belgique est aujourd’hui de 15 % par rapport à nos voisins. Il était de 16,5 % en 2010. La fédération patronale belge espère qu’il descendra à 12,5 % d’ici à 2016, grâce aux mesures déjà engrangées. Pour la suite, on verra.

Social-shift

Bien entendu, il faudra financer tout cela. C’est là que ça devient intéressant. Tout d’abord, on va compenser une réduction des charges sociales patronales par des hausses d’impôts. Sur le principe, l’idée ne plaît pas à tous les économistes. « C’est dangereux et malsain de mélanger sécu et glissement fiscal, dit François Parisis, chez Petercam. On ne doit plus parler de tax-shift, mais de social-shift. Selon moi, la sécurité sociale doit être auto-suffisante. »

Quels impôts vont augmenter ? Lors d’un glissement fiscal, la TVA représente la manne la plus intéressante, car cet impôt portant sur les biens et services peut avoir un effet de masse conséquent. Or, ici, le gouvernement ne touchera qu’à la TVA sur l’électricité qu’il rétablira à 25 %, revenant ainsi sur la décision du précédent gouvernement. « C’est une mesure assez logique, analyse Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULg. Réduire la TVA sur l’électricité à 6 % était stupide. Cela a un coût énorme dont on se rend compte aujourd’hui. Et une réduction linéaire n’avait rien de redistributif pour les plus précarisés. » Pour le reste, on ne touche pas aux régimes favorables, soit aux taux réduits accordés à certains secteurs économiques. « Dommage, soupire Michel Maus. Quelle occasion manquée ! Si on tient compte des réductions, le taux moyen de la TVA en Belgique se situe entre 10 et 11 %. On est en queue de peloton européen. Il reste donc beaucoup à faire dans ce domaine. » Rien d’audacieux donc sur ce plan-là.

Les accises vont, par contre, augmenter : tabac, alcools, diesel, sodas… Une mesure, somme toute, classique, souvent utilisée par le passé par de précédents gouvernements. Cela frappe bien sûr la consommation, mais, s’agissant de produits ayant un effet néfaste sur la santé et donc la sécu, c’est moralement défendable. La nouveauté est l’intégration des sodas dans la corbeille. Mais là, aucun chiffre n’a été communiqué, car cela doit encore se négocier avec le secteur économique concerné…

Pas touche aux grandes fortunes

Au niveau de la fiscalité du capital, le gouvernement a annoncé quelques hausses, malgré les portes fermées par l’Open-VLD et la N-VA ces derniers mois. Mais c’est encore flou. Michel 1er table d’abord sur un meilleur rendement de la taxe Caïman, visant à imposer les revenus dissimulés dans des trusts ou des fondations à l’étranger. Un espoir plutôt aléatoire. Par ailleurs, le précompte mobilier passera de 25 à 27 % sur presque tous les produits d’épargne, sauf les carnets de dépôts. Les PME seront aussi préservées. Rendement escompté : 350 millions d’euros pour le budget. « La mesure touchera indifféremment tous les boursicoteurs, remarque le Pr Maus. On ne frappe pas spécifiquement les grandes fortunes, comme le souhaitait le CD&V. »

L’équipe fédérale veut aussi taxer les plus-values boursières issues de l’activité spéculative : dans un délai de revente de 6 mois et tenant compte des moins-values. Ici, aucun chiffre n’a été avancé, concernant le taux ou le rendement. « Ce genre de mesure est louable sur le plan des principes mais ne rapportera, de toute façon, quasi rien, tranche François Parisis. Car les boursicoteurs, petits ou grands, adapteront leur comportement. » Le ministre des Finances prévoit également des rentrées supplémentaires grâce à une meilleure perception des impôts et un nouveau plan contre la fraude fiscale. Ce n’est pas chiffré non plus. Et pour cause : les gouvernements précédents se sont davantage contentés d’effets d’annonce que de résultats tangibles, en la matière.

Reste le financement de la hausse du pouvoir d’achat des bas et moyens revenus, soit les 100 euros nets supplémentaires de salaire mensuel. Ici, le gouvernement a prévu de jouer sur l’impôt des personnes physiques (IPP), via le relèvement de la quotité exemptée d’impôt et/ou la suppression de la tranche d’imposition de 30 %, ce qui bénéficierait aux petits salaires. Mais là, il faudra discuter avec les Régions, car la mesure risque de toucher directement leurs recettes fiscales. En effet, réforme de l’Etat oblige, plus d’un quart des recettes IPP sont reversées aux entités fédérées. Or la concertation avec les régions wallonnes et bruxelloises s’annonce houleuse, vu l’asymétrie des majorités avec le fédéral. Cette réduction de l’IPP risque aussi de toucher les additionnels versés aux communes, qui doivent déjà se serrer la ceinture. Bref, pour cette mesure favorable au pouvoir d’achat, il y a du pain sur la planche.

En conclusion, si le tax-shift annoncé aura bien lieu, il n’en est qu’au stade de l’esquisse. Beaucoup de décisions restent encore à prendre et de concertations à mener. Par ailleurs, ce virage fiscal n’a rien de vraiment révolutionnaire, même si les cotisations sociales des entrepreneurs diminueront substantiellement. Le système fiscal, lui, est en gros préservé. La plupart des privilèges sont maintenus et les grosses fortunes épargnées. Quant au chiffre annoncé de 7,2 milliards de glissement fiscal, il reprend, pour moitié, le montant de mesures déjà engrangées. Comme le dit Bruno Colmant, professeur à Solvay (ULB) : « La Belgique est un pays qui a substitué l’usure du temps aux révolutions. On ne peut pas s’attendre à de grandes réformes, fiscales ou autres. » Bref, d’une manière ou d’une autre, tout reste à faire.

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