Syndicats : vers un vrai dialogue social ?

Depuis la fin du 19e siècle, on peut mettre au crédit des syndicats de nombreuses avancées sociales qui ont amélioré la vie quotidienne de nos compatriotes. Citons notamment : la reconnaissance (de principe) du droit de grève (1866), la réglementation du travail des femmes et des enfants (1889), la loi sur les accidents de travail (1903), le repos dominical (1905) la loi sur les 8 heures quotidiennes (1921), les premiers congés payés (6 jours par an en 1936) et le minimex (1974).

Depuis la 2e Guerre mondiale, post-traumatisme aidant, les organisations syndicales ont été largement soutenues par les partis politiques de leur pilier respectif qui leur ont assuré une présence presque omnipotente dans tous les rouages de l’Etat et de la sécurité sociale. Les syndicats sont présents « partout » : au Bureau du Plan, à l’Office des Pensions, à l’Inasti, à l’Onem, à l’Inami… De nombreux hommes politiques de premier plan ont émané de leurs rangs. Les renvois d’ascenseur sont permanents particulièrement au sein du pilier chrétien.

Via leurs différents relais et leur poids dans les tribunaux du travail, les syndicats participent aux trois Pouvoirs traditionnels (exécutif, législatif et judiciaire), font jurisprudence, co-écrivent le droit du travail, etc.

Leur fortune est supposée colossale, au moins dix fois celle des partis politiques, bien que personne n’en sache rien puisque les syndicats cachent jalousement leur trésor de guerre (leur caisse secrète doit, dit-on, financer trois semaines de grève générale) sous une comptabilité opaque, n’acceptant même pas le statut d’ASBL (alors que la FEB l’a fait il y a dix ans) sous prétexte qu’on connaîtrait alors le nom de leurs affiliés. Ils possèdent de puissants services juridiques, au service bien sûr de leurs membres, mais les plaçant dans une position délicate lorsque l’avocat du travailleur et le juge du travail émanent du même syndicat…

Rappelant sans cesse au patronat le respect des lois et des accords conclus, les « gros bras » n’hésitent pas à se placer dans l’illégalité en commettant des voies de fait (les dockers d’Anvers ou les métallos liégeois), en brûlant des pneus sur la voie publique, plaçant des barrages dans les zonings paralysant des entreprises qui sont parfois étrangères au conflit. Il n’est pas rare qu’ils prennent en otage des CEO ou des managers. Les petits commerçants du quartier sont sommés de descendre leur grille quand on ne pille pas leur stock…

Bien que particulièrement représentatifs des travailleurs en grande partie grâce au paiement du chômage qui pousse les jeunes demandeurs d’emploi à s’y affilier dès leur 18 ans, les syndicats suscitent de plus en plus l’incompréhension du grand public.

Les travailleurs modestes qui prennent les transports en commun sont régulièrement pris en otage ainsi que les étudiants d’ailleurs ; les employés un peu plus « nantis », qui disposent d’un véhicule pas forcément de société, sont souvent obligés de rester chez eux (comme lors des innombrables grèves qui ont « égaillé » l’année 2014).

La population, qui se sépare désormais entre ceux qui veulent travailler et ceux qui font grève, comme le rappelait ici même Thierry Fiorilli, se demande désormais si les organisations syndicales auxquelles elle est souvent affiliée, défendent encore l’intérêt général ou d’obscurs intérêts particuliers liés à leur sphère d’influence autour d’un pouvoir essentiellement de nuisance consistant à dire à peu près non à tout.

Ainsi, s’ils s’opposent aux licenciements et donc entendent préserver l’emploi, ils refuseront le travail le dimanche, même dans les villes touristiques qui en tireraient l’essentiel de leurs revenus et créeraient des milliers d’emplois dans les services. Un refus catégorique au nom des éternels acquis sociaux (l’obtention en 1905 du repos dominical cité plus haut). Même en période d’inflation presque nulle, les syndicats ne sont pas disposés à accepter un saut d’index. Comme ils s’opposèrent au Pacte des générations de Verhofstadt, ils disent non à la pension à 67 ans même si cela permet de sauver le système par répartition, non à l’actionnariat salarié, non à la sous-traitance, non à l’intérim (même si cela crée de l’emploi), etc.

Ils appellent au dialogue social, mais syndicats et patrons n’ont de « partenaires » que le nom. Pour de nombreux syndicalistes, les entrepreneurs, principaux pourvoyeurs d’emplois et de cotisations sociales (environ 36% du salaire brut), « ne sont pas tous des salauds » (sous-entendu : il y a bien quelques exceptions).

Lors des barrages filtrants de l’automne dernier, on a pu redécouvrir le discours teinté de marxisme des gros bras syndicaux. Aux automobilistes nerveux attachés surtout à se rendre à leur travail, on leur rétorquait : « Vous voulez vraiment vivre comme les Américains ? », comme si ces derniers étaient les nouveaux esclaves du 21e siècle.

Contrairement à leurs collègues d’Allemagne et des pays scandinaves, souvent d’ailleurs salués pour leur modèle social, nos syndicalistes locaux n’ont en général aucune culture d’entreprise alors qu’en parallèle, les organisations syndicales pratiquent un management qui n’a parfois rien à envier aux firmes commerciales lorsqu’il s’agit de licencier au sein même des syndicats (par exemple, lorsque le chômage diminue, le personnel en charge du paiement des allocations de chômage).

Arc-boutés dans la fonction publique où l’absence d’élections sociales tient lieu de pseudo-démocratie, les deux principales organisations bloquent la création de tout concurrent sérieux. Trop contents de refiler la patate chaude aux « partenaires » sociaux, les hommes politiques se gardent bien de modifier un tant soit peu les règles du dialogue social. Le feraient-ils qu’ils subiraient une paralysie totale du pays comme on a pu en découvrir l’embryon à la fin 2014. Pendant ce temps, les travailleurs fragiles dans les PME sont soumis au bon vouloir de petits patrons tout-puissants sans que les syndicats s’en préoccupent réellement. L’harmonisation entre ouvriers et employés, longtemps remise aux Calendes grecques, s’est faite finalement au détriment des employés.

Lors de la dernière réunion du Groupe des Dix, le plus radical des syndicats, la FGTB, a refusé de négocier. A défaut de se battre sur le salaire poche (net d’impôts) où un véritable pouvoir d’achat supplémentaire pourrait être apporté aux travailleurs, les deux autres syndicats comptent obtenir des avancées minimes sur le salaire brut et l’augmentation d’un euro de la valeur faciale des chèques repas. Dérisoire. Comme le sont les discussions qui n’en finissent pas pour décider d’une norme salariale, la même pour tous, très éloignée des préoccupations des travailleurs qui ne verront pas un grand changement sur leur feuille de paie.

Car ce que voient surtout les salariés ordinaires, ce sont les protections dont jouissent les représentants syndicaux, notamment contre le licenciement – parfois plusieurs années de salaires. Ce qui pousse certains à  » s’engager » dans la lutte pour des considérations assez éloignées de l’idéal fondateur des syndicats. Trop de protection tue-t-elle la protection ?

La lutte des classes version FGTB et l’Encyclique Rerum Novarum version CSC sonnent comme un parfum désuet : les intérêts des travailleurs et des entreprises se confondent

Il est temps que les syndicats acceptent de devenir adultes : avoir, enfin, une personnalité juridique, renoncer au paiement (malsain) du chômage, évoluer vers un combat de proposition, reconnaître que la création d’entreprise est la condition sine qua non de notre prospérité et donc du partage des fruits de la croissance, amender les longs marathons que constituent aujourd’hui les accords inter-professionnels.

La lutte des classes version FGTB ou l’Encyclique Rerum Novarum version CSC sonne comme un parfum désuet : les intérêts des travailleurs et des entreprises se confondent, ils ne sont pas antinomiques. Une entreprise prospère engage. Les mots « évaluation » et « performance » des travailleurs ne doivent pas être des gros mots.

Bref, si les patrons doivent nettoyer devant leurs portes, il faut évoluer vers un vrai dialogue d’adulte à adulte fait de respect mutuel. La meilleure façon d’affronter la globalisation est de le faire ensemble, patrons, travailleurs et syndicats, animés d’un intérêt mutuel : une prospérité pérenne et équilibrée.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire