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« Sur les dix sites d’e-commerce les plus fréquentés, aucun n’est belge »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Pour Isabelle Schuiling, professeure en marketing à l’UCLouvain, les commerçants belges ont trop longtemps sous-estimé les changements d’habitudes des consommateurs, y compris à Noël. Le digital sera la clé. Mais il y a urgence.

La période de Noël est-elle toujours aussi rentable pour nos commerçants ?

Il n’y a pas de raison que le Belge dépense moins qu’avant, mais ce ne sont plus les mêmes commerçants qui en profitent. Les consommateurs se tournent de plus en plus vers l’e-commerce, y compris pour Noël. Si l’enseigne La Grande Récré est tombée en faillite l’année dernière, c’est parce que l’on achète désormais les jouets sur Internet. Le commerce de détail en souffre déjà et va encore en pâtir davantage dans les prochaines années. Ce qui est très ennuyant, c’est qu’aucun des dix sites d’e-commerce les plus fréquentés chez nous n’est belge.

Quels sont ces sites ?

Les Néerlandais sont les grands gagnants au niveau de la Belgique, comme le montrent les chiffres de l’organisation européenne Ecommerce Foundation. En numéro 1, c’est Bol.com. A la deuxième place, on retrouve Coolblue. Nous, les francophones, nous ne connaissons pas du tout ces sites, mais les Flamands en font grand usage. Amazon, qui est en tête pour la partie francophone, se classe à la troisième place. Dans la suite de la liste, il y a Zalando, Apple, Vandenborre et Mediamarkt, qui ne sont plus belges depuis qu’ils ont été rachetés, le site allemand d’Amazon et enfin Vente exclusive (NDLR : rebaptisé Veepee), qui n’est plus belge non plus. Ce sont ces acteurs-là qui attirent un nombre croissant de consommateurs, y compris pendant la période de Noël. Pour le commerce belge en tant que tel, c’est assez catastrophique. Beaucoup n’ont pas su se digitaliser à temps et offrir les mêmes types d’approche. A cet égard, les Pays-Bas, l’Allemagne ou la France sont bien meilleurs que nous et accaparent une grande partie du business.

Les commerçants belges sont plus conservateurs.

Pourtant, des enseignes belges développent de plus en plus des webshops en parallèle…

Oui, mais les consommateurs se sont déjà habitués à acheter un maximum sur des sites tels qu’Amazon. Et il est très difficile de changer des habitudes. Certains commerçants belges essaient de prendre le train en marche, mais il est compliqué de prendre des parts de marché à ceux qui ont déjà fidélisé les consommateurs. Amazon ou Zalando en font une stratégie à part entière : pendant plusieurs années, ils sont en perte financière pour habituer les consommateurs à ne payer ni les livraisons, ni les retours, tout en proposant des prix très bas. Un commerçant belge qui n’a pas la même force de frappe, lui, ne peut pas se permettre de perdre de l’argent.

Les périodes de promotions semblent se multiplier. Y compris à l’approche de Noël, avec le Black Friday et le Cyber Monday. Est-ce une autre manière pour l’e-commerce d’enfoncer le clou ?

Tout à fait. D’autant que ces promotions ont essentiellement lieu sur Internet. Certains sites étendent même les actions initialement prévues sur une journée à trois jours, voire une semaine. Ces périodes sont devenues beaucoup trop fréquentes, ce qui a habitué le consommateur à acheter uniquement en promotion.

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Ces opérations ont aussi un coût en matière de marketing, de logistique…

Oui, mais ce n’est pas très cher pour un e-commerçant, qui dispose par ailleurs des données des consommateurs pour les atteindre d’autant plus facilement. Si nos commerçants vendent sur Amazon, leurs marges seront non seulement moins importantes mais surtout, c’est Amazon qui gardera les données. Seule nouvelle positive : il y a un mois, pour la première fois, Nike a décidé de ne plus vendre sur Amazon car la marque considère qu’elle peut toucher tout aussi bien les consommateurs sur ses propres sites en gardant les données. Ikea fait de même. C’est un nouveau mouvement qui commence et que d’autres vont suivre.

Comment expliquer le retard de la Belgique ?

Je pense que les commerçants belges sont plus conservateurs. Ils n’ont pas pensé que les habitudes changeraient aussi vite. On dit souvent que ce sont les jeunes qui achètent en ligne, mais ils ne sont pas les seuls. En 2018, une enquête de Gondola (NDLR : magazine spécialisé dans le secteur du commerce de détail) montrait que 23 % des consommateurs belges en ligne sont âgés de 50 à 64 ans, 19 % de 40 à 49 ans et 16 % ont plus de 65 ans. Presque 60 % des e-shoppers belges ont donc plus de 40 ans, ce qui montre l’urgence d’investir dans le digital.

Quelle sera la clé pour permettre au commerce belge de redresser la barre ?

Il faut un management qui comprenne le digital et des investissements guidés par un marketing omnicanal, qui consiste à agir sur tous les canaux de distribution. On ne peut plus se permettre de ne compter que sur les magasins physiques.

Sont-ils voués à disparaître ?

Non, mais leur modèle évolue. Il faut offrir une expérience unique aux clients en magasin, les accueillir différemment, y organiser des activités… Ce que l’on appelle le marketing expérimentiel. Les gens continueront à se rendre dans les magasins, mais ils doivent pouvoir acheter ce qu’ils y ont vu plus tard depuis chez eux, quand cela les arrange.

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