Stéphane De Wit: « Un tracing électronique est indispensable et urgent » (entretien)

Le tracing manuel, selon lequel une personne dépistée doit se souvenir de qui elle a côtoyé à moins d’un mètre cinquante, ne marche pas très bien. Et si on passait au tracing électronique ? Entretien avec Stéphane De Wit, chef du service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre (ULB).

Le Vif/L’Express: Stéphane De Wit, vous êtes chef du service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre (ULB). Alors qu’on découvre des clusters de personnes contaminées, parfois par centaines, en Italie, en Allemagne ou en France, chez nous, le nombre de nouvelles infections reste constant et le nombre de décès n’a toujours pas atteint le zéro, ne fût-ce qu’un seul jour. Craignez-vous que ce soient les braises d’une deuxième vague dévastatrice ?

Stéphane De Wit: Aucun scientifique ne dispose d’une boule de cristal. Mais ces clusters ne m’inquiètent pas, parce qu’il était prévisible qu’ils aient lieu. On ne sera pas étonné, sur base d’observations précédentes, qu’une grande vague épidémique soit suivie de petites vaguelettes. C’est comme un immense tremblement de terre, suivi d’un grand nombre de répliques de moindre importance. Il est peu probable que nous assistions à une deuxième vague en forme de tsunami, parce que la société est mieux préparée, que les voyages ne sont toujours pas nombreux, que de nombreuses activités sont encore à l’arrêt, mais aussi parce que nous avons développé quantité d’outils pour mieux dépister à temps, et plus tôt, l’apparition de nouvelles infections.

On voit que le tracing manuel, selon lequel une personne dépistée doit se souvenir de qui elle a côtoyé à moins d’un mètre cinquante, ne marche pas très bien.

En tout cas, avec une moyenne de cinq contacts élucidés, il est insuffisant à mettre vite en garde si, justement, des braises de l’épidémie se rallument de manière plus conséquente. C’est pour cela que le tracing numérique, ou plutôt l’avertissement numérique, qui détecte simplement si votre smartphone a passé plus de 15 minutes à moins d’un mètre cinquante d’un individu infecté ou suspecté de l’être, offre une capacité d’alerte nettement supérieure. Je ne comprends pas pourquoi on se passe d’un tel outil. Depuis deux mois, on dispose de solutions fiables et opérationnelles. Que l’on fasse un cahier des charges et un appel d’offres, et que l’on aille vite. En France, en Allemagne, en Suisse, des applications sont déjà en service. Dans dix jours, des touristes venus de ces pays parcourront notre pays et des Belges seront en vacances dans le leur. Nous devrions disposer d’un tel outil pour interconnecter nos données avec celles des étrangers qui nous rendent visite ou à qui nous rendons visite. Je ne veux pas savoir si c’est un accord entre Régions, une sous-commission ou quelque autre organisme qui doit trancher, ce n’est pas mon problème. L’important est d’avancer. Ou alors attend-on une appli qui ne serait pas prête et qui aurait les faveurs de l’un ou l’autre ?

Vous parlez de Frank Robben, qui a pris publiquement parti pour la solution de la KULeuven ?

C’est vous qui le nommez…

Qu’apporterait un tracing électronique ?

Une cartographie précise des clusters, très vite après leur apparition. Ce n’est pas la mémoire humaine qui doit estimer si les quinze minutes ont été un peu ou beaucoup dépassées, si la distance a été ou non atteinte. C’est un simple module de géo- localisation qui est intégré dans tous les smartphones et qui enregistre ceux qui l’entourent. Si ce sont, par exemple, les galeries commerçantes ou les cinémas ou les gradins de foot qui sont les plus susceptibles d’aboutir à une situation de contamination, on le saura rapidement. L’appli ne sert pas seulement à prévenir ceux que vous avez croisés s’il s’avère que vous avez développé les symptômes, mais surtout à cartographier les situations dangereuses afin de piloter la gestion de l’épidémie.

Mais tout le monde n’a pas un smartphone…

Qu’à cela ne tienne, un porte-clés ou un pendentif à 1,5 euro fait l’affaire. C’est aussi adapté aux petits enfants. Et au public défavorisé, comme celui qui vit en rue et qui, par déficit d’immunité chronique, risque bien davantage d’être contaminé. Cette technique permet la collecte d’une énorme base de données, bien entendu anonymes, sécurisées et utilisées uniquement dans le cadre de la lutte contre la maladie. Pourquoi alors attendre septembre ? C’est tout de suite qu’il faut mettre cela en place, avant les vagues de touristes.

Vous défendez l’application d’un consortium… parce que vous en êtes un des partenaires ?

J’y participe parce que mon université, comme d’autres d’ailleurs, y participe, que j’ai pu éclairer les initiateurs de cette application de mon expérience sur les aspects de la contagion par un virus aussi spécifique que le Sars-CoV-2, que ma spécialité concerne les virus comme ceux de l’Ebola ou du sida. C’est ma responsabilité citoyenne et scientifique de répondre présent à une telle sollicitation qui peut, à terme, sauver des centaines de vies. Et pour ceux qui se poseraient quand même la question, mon intervention est évidemment bénévole. Cette solution est encadrée par des gens totalement indépendants des acteurs économiques qui devront la fournir. Des éthiciens, des spécialistes de la gestion des données, des sociologues, des médecins. On a les compétences, les outils, les capacités, qu’est-ce qu’on attend ?

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