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Somnolence au volant, ouvrez l’½il !

Les accidents routiers riment souvent avec excès de vitesse ou consommation d’alcool. Pourtant, l’une des causes de mortalité les plus importantes provient de la somnolence au volant. Toute la lumière sur ce sujet méconnu.

En France, selon une étude réalisée en 2010 par l’Asfa (Association des sociétés françaises d’autoroutes), la somnolence au volant est considérée comme la première cause de mortalité sur les autoroutes. C’est un mort sur trois, devant l’alcool responsable d’un mort sur six et bien loin devant la vitesse, avec un mort sur dix. Or, on parle beaucoup d’alcool et de vitesse et pas de somnolence. Pour démontrer que celle-ci ne survient pas uniquement la nuit, Christophe Bourgeois, journaliste au magazine automobile français L’Argus, s’est prêté à une expérience édifiante, réalisée en collaboration avec le Centre Médical Eveil Sommeil, basé à Paris. En optant pour le cas de figure d’un père de famille, le journaliste a effectué le trajet Paris-Nice durant lequel il a été équipé d’électrodes placées sur la tête, autour des yeux et sur la jambe droite, destinées à enregistrer ses gestes et ses états de veille et de somnolence. « J’ai pris la route le matin à 8 heures dans des conditions physiques optimales, après une bonne nuit de sommeil, raconte Christophe Bourgeois, joint au téléphone par Le Vif/L’Express. Sur le trajet de 930 kilomètres, j’ai effectué des pauses recommandées et j’ai déjeuné léger. » Malgré ces précautions, le journaliste a dormi au total 11 minutes, en huit étapes. La phase la plus courte était de 30 secondes. Peu avant le déjeuner, les électrodes ont marqué un endormissement de 2 minutes 30, sans que le conducteur s’en rende compte. « Pendant 24 kilomètres j’étais derrière mon volant, les yeux ouverts, mais d’un point de vue clinique, j’étais en phase de somnolence. La voiture a roulé, à 130 km/heure en moyenne, sans conducteur à son bord. Certes, cette expérience n’a aucune valeur scientifique mais les conclusions donnent froid dans le dos d’autant plus que j’avais une bonne qualité du sommeil, évaluée à 94 %. Il y a des gens qui dorment moins bien ou qui ont des problèmes de santé. » Imperceptibles pour les automobilistes, les phases de micro-sommeil au volant concernent tout le monde, mais pas dans les mêmes proportions ni au même degré.

Somnolence comme facteur d’accidentalité

En Belgique, la somnolence au volant reste le parent pauvre dans le débat sur la sécurité routière. « Elle est sous-estimée en absence de chiffres précis et de statistiques officielles, note Benoit Godart, porte-parole de l’Institut belge de la sécurité routière. Il n’existe aucune méthode de mesurage objective pour la fatigue, comme c’est le cas pour l’alcool. S’il est exact qu’en France, on estime que la somnolence provoque 30 % d’accidents mortels, nous préférons nous appuyer sur des chiffres provenant de l’Observatoire européen de la sécurité routière selon lesquels la fatigue intervient dans 10 à 20 % de tous les accidents mortels. » Cela dit, le problème est réel et la somnolence au volant est aussi dangereuse que l’alcool : une dette de sommeil peut rendre « ivre de fatigue ». Différentes études ont démontré qu’un conducteur qui reste en état d’éveil depuis 17 heures court deux fois plus de risques d’être impliqué dans un accident. Cela correspond au risque d’une personne qui a 0,5 % d’alcool dans le sang. Vingt-quatre heures sans sommeil correspondent à une alcoolémie de 1 %.

Personnes à risques

Trois profils de population sont moins bien lotis face à la somnolence au volant. Les hommes de moins de 25 ans constituent le groupe le plus important et sont six fois plus impliqués dans un accident lié à la somnolence que les conducteurs appartenant à un autre groupe d’âge. Sur le plan physiologique, ils ont un grand besoin de sommeil qui est rarement respecté. Résultat ? 20 % de ces jeunes sont en dette de sommeil qui s’exprime surtout en fin de semaine, lors des sorties de week-end. Le risque d’accident est multiplié par la conduite la nuit, vers 3-4 heures, pendant la période de forte somnolence et, éventuellement, par la prise d’alcool ou de cannabis. Le deuxième profil se recense parmi les adultes de plus de 50 ans souffrant de pathologies médicales et/ou du sommeil qui peuvent favoriser l’hypovigilance. Au dernier groupe appartiennent les travailleurs à horaire irrégulier dont l’horloge biologique est perturbée et dont la dette de sommeil est constante.

Chez Monsieur-et-Madame-Tout-le-monde, le risque de somnolence augmente en fonction de quatre facteurs. Le plus important ? La dette de sommeil. « Depuis le début du XXe siècle, nous avons perdu deux heures de sommeil, indique le Dr. Stéphane Noël, neurologue, spécialiste du sommeil, responsable des Laboratoires du sommeil du CHU André Vésale et de Vivalia Libramont-Arlon. La télé, l’ordinateur et les obligations professionnelles ont chahuté nos nuits. Or, une dette de sommeil multiplie le risque d’accident par trois. » Le deuxième facteur met en relation le risque de somnolence et la baisse de vigilance entre 14 heures et 16 heures et davantage entre 2 et 5 heures. Cette baisse est due à la fluctuation de la température corporelle. Le troisième facteur est lié à la prise de certains médicaments. La liste est longue et on y retrouve, notamment, les anxiolytiques, les antidépresseurs, les antiallergiques, les anti-douleurs, les anti-toussifs, les anti-nauséeux, les médicaments contre l’épilepsie, le diabète et la maladie de Parkinson… Environ 1 200 références sont concernées. Certes, une mise en garde figure bel et bien dans la notice d’accompagnement. Le hic ? Personne ne se donne la peine de la lire attentivement. Les Français, qui ont toujours une longueur d’avance en matière de la prévention, ont trouvé la parade, en rendant obligatoire, depuis 1999, l’apposition sur les emballages extérieurs d’un pictogramme montrant une voiture noire dans un triangle rouge. Le concept a été affiné en 2005 et décliné selon trois niveaux de risques. Le fond jaune invite à la lecture de la notice. Le fond orange conseille de consulter un professionnel de la santé. Le fond rouge signale le danger et déconseille totalement de prendre le volant. « Un médicament potentiellement « dangereux » est retrouvé dans le sang chez environ 10 % des accidentés de la route, tous accidents confondus », souligne le Dr. Stéphane Noël.

Les maladies du sommeil

Quatrième facteur, ces maladies peuvent multiplier par six le risque de somnolence au volant. « Il faut faire la différence entre la somnolence normale et pathologique, poursuit le Dr. Stéphane Noël. On parle de somnolence pathologique quand elle est involontaire, incontrôlable et quand elle perturbe les activités quotidiennes. Environ 15 à 20 % de la population belge en souffre et chez 7 à 8 % des personnes, elle interfère et pose problème dans la vie sociale. » Il est aujourd’hui possible de trouver la cause de la somnolence, de l’évaluer et… d’y remédier. Un premier bilan subjectif est suivi, à l’hôpital, d’une batterie de tests et d’un examen polysomnographique de nuit permettant de détecter la cause de la maladie du sommeil. La plus fréquente est la somnolence induite par le syndrome de l’apnée du sommeil chez les ronfleurs. Le traitement, à vie, consiste dans l’application sur le nez d’un appareil (le CPAP) qui rend la respiration fluide et continue. Parmi les autres maladies du sommeil citons les somnolences dues aux maladies infectieuses, endocriniennes ou psychiatriques (la dépression) ou encore le syndrome des « jambes sans repos », méconnu en Belgique et qui touche pourtant 10 % de la population, aussi bien des hommes que des femmes. Pendant le sommeil, les jambes ne restent pas en place et bougent sans arrêt. Ce trouble peut être soigné avec les mêmes médicaments que dans la maladie de Parkinson. Ajoutons, enfin, la narcolepsie qui se manifeste par des accès de sommeil pouvant survenir à tout moment de la journée et des attaques de cataplexie, correspondant à des pertes brutales de tonus musculaire lors d’une émotion, agréable ou désagréable. Deux à trois personnes sur dix mille sont victimes de cette pathologie.

Que dit la loi ?

La somnolence diurne excessive induite par la narcolepsie et l’apnée du sommeil est considérée comme des facteurs à risque, définis par l’Arrêté royal du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire. Une personne qui souffre de somnolence anormale relative à l’une de ces maladies, est jugée inapte à conduire. Cela dit, on peut reprendre le volant au bout d’un mois de traitement dans le cas de l’apnée et au terme de six mois dans le cas de la narcolepsie. Le texte de la loi se focalise sur les professionnels de la route (chauffeurs de poids lourds) qui cumulent les risques. Autre bémol, la législation européenne est très disparate et face au trafic croissant des poids lourds originaires de tous les pays, une législation plus uniforme serait la bienvenue. « En tant que médecin, on ne peut pas interdire la conduite, note le Dr. Stéphane Noël. Et nous sommes tenus par le secret professionnel… Cela dit, la répression ne sert à rien. Privilégions la prévention. Ce qui importe, c’est la prise de conscience. Il faut que les gens se connaissent mieux. On a l’habitude de dire : « tout le monde est fatigué ». C’est faux. Il existe des somnolences à risque pathologique et les gens l’ignorent. »

Des conseils simples à respecter

En guise de conclusion, rappelons que le meilleur moyen d’éviter le risque de s’endormir au volant consiste à se constituer une réserve de sommeil avant un long trajet et à effectuer des arrêts toutes les deux heures, accompagnés d’un somme de 15 à 20 minutes. Avant la sieste, il est bon de prendre un café pour ressentir son effet boosteur au réveil. Les remèdes habituels tels que l’écoute de la radio ou une bouffée d’air frais, ne servent, selon les spécialistes, à rien. Depuis peu, les nouvelles technologies s’intéressent à la somnolence au volant et proposent des outils high-tech pour prévenir le conducteur en cas de somnolence. Certains constructeurs automobiles ont développé des capteurs qui émettent un signal au conducteur lorsqu’une perte de trajectoire est enregistrée. D’autres ont doté leurs véhicules d’avertisseurs de franchissement de lignes. En Belgique, Touring vient de distribuer sur le marché l’Anti-Sleep Pilot. Conçu au Danemark, cet appareil détecte les symptômes de la fatigue et alerte le conducteur dès qu’un niveau critique est atteint. Une assistance, certes, bonne à prendre mais qui ne doit pas remplacer le respect des conseils de sécurité. La responsabilité finale incombe toujours au conducteur.

BARBARA WITKOWSKA

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