Michael Verbauwhede

SNCB: la ministre Galant veut-elle faire dérailler les trains?

Michael Verbauwhede Député PTB au Parlement Francophone Bruxellois

Une société publique aura rarement généré autant de colère. Colère chez les usagers. Colère dans le personnel qui annonce un plan d’action jamais vu depuis 30 ans. Le malaise est très profond et toutes les composantes du rail belge sont touchées. Retour sur les raisins (et les raisons) de la colère.

Connaissez-vous Quinten Coucke ? Quinten est étudiant. Ses parents habitent à Knokke (Flandre Occidentale) et il étudie à Courtrai dans la même province à 66 kilomètres. Tous les dimanches, ce jeune étudiant prend pourtant… son vélo. La raison ? Vu les nombreux retards, il lui arrivait souvent de mettre plus 3 heures (1). Comme Quinten, les usagers de la SNCB en ont marre. Marre des retards, marre des tarifs qui grimpent, marre des automates qui ne fonctionnent pas, marre du manque de places assises. Ils ont raison. Et puis bardaf, encore 5 jours de grève en plus ?

Une société publique aura rarement généré autant de colère. Colère chez les usagers. Colère dans le personnel qui annonce un plan d’action jamais vu depuis 30 ans. Le malaise est très profond et toutes les composantes du rail belge sont touchées. Retour sur les raisins (et les raisons) de la colère.

De Herman à Alexander, 30 ans d’économies à la SNCB

Depuis les années 1980, les différents gouvernements n’ont fait qu’économiser sur la SNCB. Un cheminot m’a un jour raconté : « quand je suis arrivé à la SNCB dans les années ’80, j’ai connu les coupes budgétaires d’un certain ministre De Croo. Pas Alexander [celui qui est ministre des entreprises publiques maintenant], non, Herman, le père. » Et voici le « tableau de chasse » de Herman De Croo, ministre de tutelle de la SNCB entre 1981 et 1988. Fier, il rappelle avoir « supprimé 237 gares et fait passer le personnel de 68.000 à 48.000 cheminots ». Et cela ne s’est pas arrêté durant toutes ces années. De « plan d’économie », en « plan de la dernière chance », le rail belge a été détricoté par les différents gouvernements. Et celui-ci continue, aujourd’hui avec Alexander. Entre 2015 et 2019, la SNCB devra ainsi économiser 3 milliards d’€ au total. 20 % de son budget de fonctionnement. Le gouvernement prévoit une hausse de la productivité de 20%. En clair : faire plus avec 7.000 travailleurs en moins. Toutes ces mesures peuvent sembler abstraites ? Au contraire, c’est très concret pour les usagers. Et ca se cristallise sur 4 points : la sécurité, la ponctualité, l’offre et le prix.

Les cheminots ne veulent pas d’un Buizingen-bis

La sécurité est aussi menacée par les coupes budgétaires. Qu’on pense à Buizingen ou Pecrot. Il a fallu attendre des accidents mortels pour que les investissements nécessaires soient accélérés. Mais les coupes budgétaires menacent les investissements. Un document interne d’Infrabel (2) (le gestionnaire des infrastructures) dit clairement que de très nombreux chantiers vont devoir être ralentis, voire arrêtés au vu des coupes budgétaires.

Le rallongement du temps de travail a aussi un impact sur la sécurité. Conduire un train pendant 10 heures, travailler dans les cabines de signalisation pendant 12 heures et connaitre deux fois l’heure de pointe : de mauvaises conditions de travail des cheminots sont un danger pour tous les usagers.

Il y a peu, le ministre Jambon déclarait que les cheminots mettaient la vie des usagers en danger. Au vu des faits, on a plutôt l’impression que c’est le gouvernement par sa politique qui met les usagers en danger. Comme si Buizingen et Pecrot étaient déjà loin. Là où on devrait accélérer la mise en place des systèmes les plus modernes de sécurité, le gouvernement freine les investissements. Là où il faut maintenir un temps de récupération suffisant aux conducteurs de train, le gouvernement le diminue. Là où du personnel est nécessaire pour entretenir les voies et les locomotives, le gouvernement le diminue. La sécurité des 224 millions de voyageurs annuels de la SNCB est à ce prix.

Retards de train : incident technique ou manque de volonté politique ?

L’absence de moyens et la diminution du nombre de cheminots ont un impact sur l’entretien du matériel : une locomotive allait avant à l’entretien tous les 100.000 km, actuellement, c’est tous les 1 million de km. Conséquence concrète pour les usagers : « en raison d’un incident technique le IC vers Anvers de 16h45 ne circulera pas aujourd’hui ». Incident technique ou manque de volonté politique ? L’entretien des voies est aussi menacé. Chaque hiver, les usagers connaissent un feuilleton mythique, « la saga des feuilles mortes et du givre ». Début janvier 2015 par exemple, de nombreux retards ont été constatés dans la circulation des trains, notamment en raison du givre. Pour remédier à cela, Infrabel étudie « des solutions mais cela demande des investissements ». Allô le gouvernement ?

Et pour masquer le manque d’investissements et de personnel qui causent des retards, la SNCB a trouvé la solution : augmenter le temps de parcours. Un rapport de la cellule ferroviaire du Service public de Wallonie indique « Une des constatations les plus frappantes du nouveau Plan de Transport est l’allongement quasi généralisé des temps de parcours; une manière bien commode d’améliorer le taux de ponctualité de la SNCB ». Un conducteur de train : « depuis que le temps de parcours est rallongé, il m’arrive très souvent de devoir m’arrêter pour ne pas arriver à l’avance en station. On allait plus vite à l’époque de la vapeur ».

Plan de transport 2014 : 1h30 de perdu pour Celien à Gentbrugge

Les mesures d’économies font diminuer l’offre de trains. Celien, une navetteuse de Gentbrugge peut en témoigner. Auparavant, un train y passait toutes les demi-heures. Avec le nouveau plan de transport, c’est maintenant un par heure. Conséquence : les trajets de Celien durent tous les jours 1h30 en plus. Pas de quoi la motiver à prendre le train. Partout en Belgique, l’offre de trains a diminué. 193 trains ont été supprimés par le nouveau plan de transport 2014. De très nombreux trains en soirée ou en début de matinée ont été supprimés. Une amie me disait : « le nouveau plan de transport a supprimé des trains en soirée. Du coup, quand j’ai des réunions tard, il n’y a plus de train pour me ramener chez moi. Je dois prendre ma voiture, ce qui me bloque dans les embouteillages ». Et on ne parle pas encore du RER, attendu pour 2012 au départ, le gouvernement inaugure cette semaine (fin 2015), minablement… 2 « nouvelles » gares à Bruxelles. Une goutte d’eau dans un océan de besoins en mobilité à Bruxelles. Fin programmée du RER ? 2030 si tout va bien…

Le climat, grand oublié de la politique ferroviaire

Face aux enjeux environnementaux, le rail a aussi un rôle à jouer. Pour un même trajet, le train rejette jusqu’à 20 fois moins de CO2 que la voiture. Au lendemain du sommet de Paris COP21 où grâce à la mobilisation du mouvement climatique, la planète entière a pris conscience de l’importance de préserver notre planète, détruire un outil écologique comme le train est la pire décision à prendre pour le gouvernement. Le train doit au contraire être massivement développé pour répondre au défi environnemental.

Mais « TINA », there is no alternative, disent en coeur les responsables politiques et les patrons du rail. Ce même TINA qui a déjà servi dans les années ’80 à Herman De Croo pour justifier ses coupes budgétaires. Aujourd’hui, on nous sert la même soupe, en disant que ca va aller mieux. Or, cela fait 30 ans que « la seule voie possible » suivie par les gouvernements nous mène à : plus de retard, moins d’offre de transport, moins de sécurité, et des tarifs plus élevés.

Cette politique chasse les usagers du rail. C’est une politique de dégoût des navetteurs que les gouvernements ont suivi. Avec pour conséquence que les files autour des grandes villes n’ont pas cessé d’augmenter. Et si rien ne change (en clair : si on n’investit pas dans le rail), ces besoins vont encore augmenter : selon une étude, les heures perdues dans les véhicules (dues aux embouteillages) vont augmenter de 35 % entre 2007 et 2020 (3) . C’est un coût gigantesque pour la société. Sven Marivoet, chercheur au Transport & Mobility Leuven, évalue que les bouchons autour du Ring de Bruxelles coutent en moyenne 600.928 euros… par jour. Pour des jours de gros bouchons, l’addition monte à 3 millions d’euros (4). Une facture d’environ 2 milliards d’€ par an. C’est quasiment 2/3 du budget total octroyé à la SNCB actuellement. Et sans compter les coûts environnementaux : pollution, maladie, destruction de la nature, morts prématurées dues à la pollution,…

Le rail privé : ou comment passer deux fois à la caisse

La question des moyens et de l’ambition à accorder à la SNCB est donc fondamentalement liée à la question des choix politiques. Et on aurait tort de croire que le gouvernement n’a pas un « plan » derrière la tête. Le gouvernement a un plan. Il s’appelle libéralisation. On peut le résumer par : « désinvestir, faire en sorte que le rail ne fonctionne pas, les gens se mettent en colère : la voie est royale pour libéraliser et privatiser ».

Nous connaissons les arguments classiques pour justifier la privatisation : une entreprise privée fonctionne mieux, la concurrence fait baisser les prix et augmenter l’offre ainsi que la qualité, cela coûte moins cher à la collectivité. Or, la libéralisation et la privatisation du rail, présentées comme la solution miracle, se révèle être une catastrophe dans les pays qui les ont appliquées.

Dans ces pays, le rail plus cher à l’Etat et plus cher aux usagers. Nous passons donc deux fois à la caisse. Tout ça pour remplir les poches des actionnaires. Le rail y est aussi moins efficace, moins ponctuel, moins sûr. Aux Pays-Bas, la privatisation de la NS (Nederlandse Spoorwegen) est considérée comme « la mère de tous les malheurs » par son ex-patron, Jan Timmer, dans le scandale du FYRA. Suite à la libéralisation, la Grande-Bretagne a connu 1.800 accidents de train entre 1996 et 2000, soit 5 fois plus que la France. Une telle catastrophe que le gouvernement britannique a du renationaliser la gestion des infrastructures. Toujours en Grande-Bretagne, les tarifs sont en moyenne 3 fois plus élevés que chez nous. Où va cet argent ? Directement dans la poche des actionnaires : selon The Guardian, environ 300 millions d’€ de dividendes ont été accordées aux actionnaires privés des compagnies de chemin de fer. Pour des subsides publics en augmentation constante. En Grande-Bretagne, un récent rapport montre que la renationalisation de 11 lignes de chemin de fer permettraient une économie de 856 millions d’€. Le rail privé coûte plus cher aux usagers mais aussi à l’Etat. On passe donc deux fois à la caisse.

Suite à la libéralisation et la privatisation du transport de marchandises en France, e volume des marchandises transportées a baissé de 40 % entre 2008 et 2013. La libéralisation est inscrite noir sur blanc dans l’accord de gouvernement. Est-ce cela que nous voulons pour le rail en Belgique ?

Une hausse des prix, la meilleure pub pour la voiture

Pour réduire la dette de la SNCB, causée entre autre par les coupes budgétaires, le gouvernement ainsi que la direction de la SNCB s’accordent chaque année pour augmenter les tarifs. Ce sera encore le cas en février 2016. Jo Cornu, le patron de la SNCB, a ainsi dit à plusieurs reprises que les tarifs étaient pour lui « excessivement bas ». Le gouvernement est prêt à tout : hausse des tarifs en heure de pointe (histoire de dégouter encore davantage les navetteurs de prendre le train), suppression de la carte famille nombreuse, de formules d’abonnement avantageuses,… Pourtant, de nombreuses études montrent que l’abaissement du coût des transports augmente la fréquentation. Inversement, une étude de De Lijn montre qu’une hausse du prix du ticket de 1% diminue la demande de ticket de 1% (5). Le gouvernement voudrait pousser les gens à prendre la voiture qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

La ministre Galant peut encore arrêter la grève

Usagers et cheminots sont les victimes des politiques gouvernementales. Les décisions de la ministre Galant vont aboutir au déraillement de la SNCB. Ceci explique la colère des usagers et des cheminots. Et la grève des cheminots n’est pas faite « pour le plaisir » mais en réaction directe aux plans de la ministre Galant. Elle ne veut pas qu’il y ait grève ? Très bien. Que la ministre déclare qu’elle arrête de libéraliser le secteur du rail et qu’elle investit dans ce service public. Les mouvements sociaux s’arrêteront tout de suite. Car qu’on le veuille ou non, face à l’arrogance gouvernementale et l’ampleur du désastre qu’il nous prépare, le seul moyen dont disposent in fine les cheminots est la grève. Le calcul est le suivant : il vaut mieux un train qui ne vient pas pendant quelques jours en raison de la grève, pour empêcher que les trains ne roulent plus du tout suite aux plans du gouvernement. La grève n’est pas une partie de plaisir, mais une ultime réaction lorsque le dialogue a échoué. Et on peut d’ailleurs se demander si la volonté du gouvernement n’est justement pas de faire échouer le dialogue. Si le gouvernement était réellement soucieux des voyageurs et de l’avenir de la SNCB, il prendrait une toute autre voie. La balle est plus que jamais dans le camp du gouvernement.

1 : De Morgen, 9 mars 2015.

2 : Marc Smeets, Note au Conseil d’administration d’Infrabel. Budget d’investissement 2015, 16 décembre 2014.

3 : Transport & Mobility Leuven, Analyse de la congestion routière en Belgique. Rapport pour le SPF Mobilité, Louvain, 2008, p. 35

4 : De Standaard, 21 avril 2015.

5 : De Morgen, 24 octobre 2014

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