Sophie Dutordoir © BELGA

SNCB : « L’amabilité de Dutordoir envers les politiques et les syndicats est un choix tactique »

L’analyse dramatique que Sophie Dutordoir a réalisée de l’état de la SNCB n’est pas neuve. Peut-elle réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ?

L’exposé de la nouvelle CEO sur l’état de la société de chemins de fer, devant la Commission de l’Infrastructure, n’était guère surprenant. C’était l’étonnement de nombreux auditeurs qui l’était. Parce que qu’est-ce que souhaite Dutordoir ? Tenez-vous bien : des trains plus ponctuels, plus de trains, une meilleure accessibilité des gares, des tarifs plus adaptés aux besoins du client, wifi dans les plus grandes gares, une meilleure diffusion d’informations aux voyageurs, et un meilleur entretien des trains et des gares. Ah oui, et elle ne veut pas d’ingérence de la politique. Dutordoir déclare qu’elle veut faire fonctionner la SNCB comme « une entreprise normale dotée d’une gouvernance claire et efficace ». Ça alors !

Quand Karel Vinck a succédé à l’apparatchik Etienne Schouppe au poste de CEO de la SNCB, il avait déjà les mêmes problèmes qu’aujourd’hui. L’ingérence politique est l’une des principales raisons pour lesquelles il y a si peu de choses qui changent à la SNCB. Depuis le début de ce siècle, le gouvernement place un manager du secteur privé à la tête de la SNCB, mais malgré leurs lettres de noblesse Karel Vinck (Eternit, Bekaert et Umicoret), Marc Descheemaecker (ISS Belgique) et Jo Cornu (Alcatel et Agfa-Gevaert) ont échoué à faire bouger la société de chemins de fer.

Pour quelle raison? « La SNCB est soi-disant une entreprise publique indépendante », a déclaré Cornu au début de l’année dans une interview d’adieu. « Si c’est vrai, on s’attendrait à ce que le conseil d’administration ait le pouvoir de prendre des décisions. Mais ce n’est pas le cas de la SNCB. Beaucoup de décisions doivent y être soumises au ministre ou à tout le gouvernement. C’est un double handicap. »

Il est même arrivé qu’un gouvernement charge la direction de chemins de fer de céder aux exigences des syndicats. Et il n’était pas rare que des grèves tournent autour de « la défense de droits indéfendables », comme décrivait Cornu. À côté de la politique, la toute-puissance des syndicats qui s’opposent à tout changement, est le deuxième facteur qui entrave le progrès à la SNCB.

Entre-temps, la SNCB se dirige droit vers la faillite. Si ce n’était pas une entreprise publique au rôle primordial dans la mobilité en Belgique, elle aurait sombré depuis longtemps. En 2005, l’état a repris 7 milliards d’euros de dettes. A présent, le déficit de la SNCB et du gestionnaire du réseau ferroviaire Infrabel atteint à nouveau les 5 milliards. Ils ne survivent que grâce aux 3 milliards d’euros qu’ils reçoivent chaque année des caisses de l’état. Et même là, la SNCB dépense davantage par jour que ce qu’elle gagne. C’est intenable. En outre, le client reçoit beaucoup trop peu en retour. Pour prouver ce que tout le monde savait déjà, Cornu avait commandé une étude qui comparait la SNCB aux sociétés de chemins de fer à l’étranger. Les conclusions se sont révélées désastreuses. Notre société de chemins de fer est beaucoup plus chère que les autres entreprises, alors que la qualité du service et la satisfaction de la clientèle sont plus faibles.

Sept mois après son entrée en fonctions, Sophie Dutordoir a répété tout cela – un discours qualifié par certains de « parler-vrai ». Son éloge du personnel des chemins de fer – qu’elle appelle « bijoux » était justifié. Qu’elle soit restée très aimable envers les politiques et les syndicats ne s’explique que par un choix tactique : elle aura encore à négocier avec eux.

Il y a plus de dix ans, les journaux titraient déjà « Le chef des chemins de fer, Karel Vinck souhaite une plus grande autonomie pour la SNCB ». Il y a longtemps qu’on entend dans les couloirs des gares que le client doit être la première préoccupation de la SNCB. Quelle que soit la motivation affichée par Dutordoir, elle ne pourra accomplir sa mission si la politique et les syndicats sont d’accord. Et cela signifie qu’ils doivent faire machine arrière. Le sentiment de l’urgence est-il assez grand pour cela ?

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