Kris Peeters et Charles Michel © Belga

Silence radio au gouvernement fédéral: pas de nouvelles, bonnes nouvelles?

Si 2016 a été une année agitée pour la politique belge, c’est le calme plat qui règne début 2017. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? « Michel I sombre dans un immobilisme qu’on a souvent reproché au PS ».

Vous avez peut-être remarqué que depuis Noël, il fait calme autour du gouvernement fédéral, inhabituellement calme. Michel I (N-VA, MR, CD&V et Open VLD) ne nous a pas habitués à une période aussi longue sans chamailleries publiques. Par moments, on dirait que ce gouvernement a déjà réalisé ses grands projets. D’après les politologues Nicolas Bouteca (Université de Gand) et Dave Sinardet (VUB), le silence est lié à un grand dossier – « l’épée de Damoclès », d’après Sinardet : la réforme de l’impôt sur les sociétés, associé à l’instauration d’un impôt sur la plus-value et à une activation de l’épargne.

Rappelons que lors de la concertation budgétaire, Kris Peeters (CD&V) a fait sauter les négociations. Son parti exige un impôt sur la plus-value en compensation de l’impôt sur les sociétés réformées. Les chrétiens-démocrates voulaient se profiler comme le visage social du gouvernement en imposant les grandes fortunes. L’Open VLD a rapidement fait une proposition, l’activation de l’épargne – d’après Sinardet, « il s’agit uniquement pour les libéraux flamands de jouer un rôle dans un dossier qui concerne surtout la N-VA et le CD&V. »

Depuis des mois, les trois dossiers sont sur la table, mais les fuites sont rares. « Il est probable qu’on n’ait pas encore trouvé le package idéal », déclare Bouteca. « C’est ainsi que fonctionne la politique dans notre pays : on conclut des package deals, qui contiennent un cadeau pour tous les partis. Aujourd’hui, le deal n’est pas prêt. Pour l’Open VLD, les choses sont en tout cas très claires : il n’y aura pas d’impôt sur la plus-value – alors que pour le CD&V c’est une condition absolue pour la baisse de l’impôt sur les sociétés. »

« Il nous faut un accord d’ici le contrôle budgétaire en mars, mais il est à peine question de rapprochement », explique Sinardet. « Cependant, il y a un problème plus fondamental – savoir que ce gouvernement et surtout les partis flamands – sont en permanence en confrontation parce qu’ils ont d’autres priorités et points de vue. Au fond, c’est le cas depuis le début en 2014. »

Déception et immobilisme

« Au fond, Michel I est toujours resté en mode électoral », estime Sinardet. Le CD&V se profile sur le socio-économique, la N-VA sur la sécurité et les lignes de rupture culturelles, chaque fois en dehors des lignes de l’accord gouvernemental. « C’est une des déceptions de ce gouvernement, surtout qu’il a pu travailler dans un contexte extrêmement favorable. Dans le passé, on a souvent invoqué l’excuse du rythme trop élevé d’élections pour les dossiers bloqués. Aujourd’hui, il est exceptionnel d’avoir quatre ans sans élections – pour la première fois depuis Dehaene II. Or, cette expérience a tourné à la campagne électorale permanente. »

« L’opposition communautaire était la deuxième excuse, et surtout le PS qui soi-disant bloquait tout alors que les Flamands étaient prétendument sur la même longueur d’onde. À présent, on aboutit au même résultat suite au conflit entre les partis flamands entre eux. S’il y avait eu les mêmes conflits entre partis flamands et francophones, il y a longtemps qu’on nous aurait infligé des analyses hystériques sur la fin de la Belgique. »

Pour 2017, Michel I souhaite une approche différente. La semaine dernière, le vice-premier ministre Kris Peeters a fait son mea culpa dans le quotidien De Morgen : nous avons été trop souvent été brouillés. Le « kibbelkabinet » (cabinet des disputes), comme l’ont surnommé les médias flamands, semble revenir à de meilleurs sentiments. Nicolas Bouteca : « Sur ce point, le climat s’est un peu dégelé, oui. C’est nouveau pour ce gouvernement. Kris Peeters a également admis qu’il avait parfois déclenché les disputes. »

« Il est étrange qu’il ait fallu aussi longtemps, mais le cabinet de Michel réalise aussi que l’atmosphère a été très négative. « , déclare Bouteca. « Les résultats sont noyés dans les disputes. » Aussi le contraste avec le calme de ces dernières semaines est particulièrement grand. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de disputes, qu’on ne travaille pas. « Il est possible qu’ils prennent des décisions et mènent des négociations en coulisse – au lieu de discuter en public de toutes sortes de mesures à prendre. »

Dave Sinardet note un autre élément frappant dans le témoignage de Kris Peeters. « La même interview révèle également qu’il existe toujours des oppositions fondamentales importantes. Il y donc moins de disputes, mais on risque de sombrer dans l’immobilisme. En pratique, c’est devenu un gouvernement d’affaires courantes. Les discussions orageuses et le progrès ne sont-ils pas préférables ? »

Silence avant la tempête

Une chose est sûre: le contrôle budgétaire réveillera le gouvernement fédéral. Bouteca prédit une série de discussions animées. « Le premier ministre souhaite éviter qu’il y ait encore un parti qui fasse une nouvelle proposition. On dirait que le gouvernement devra à nouveau faire pas mal d’économies. Tout le monde n’a pas encore lâché l’objectif de l’équilibre budgétaire en 2018. La décision de le respecter ou non est de plus en plus remise à plus tard. On ne peut pas dire que ce gouvernement ne réalise rien, mais il semble incapable de tenir une de ses promesses principales. C’est une des plus grandes taches sur ce gouvernement. »

Le budget est donc le plus grand chantier de Michel I, mais il y a d’autres dossiers importants qui restent à résoudre, tels que les vols de nuit, Arco et le plan de pension du ministre Daniel Bacquelaine (MR).

« Pour le CD&V, le dossier Arco est très important, mais ici aussi on voit peu de progrès », estime Sinardet. « Arco peut également avoir de nombreuses répercussions budgétaires, en fonction du montant que le gouvernement suppléera », ajoute Bouteca. « Un accord éventuel fera probablement partie d’un package deal sur plusieurs dossiers ».

Les réformes de retraite de Bacquelaine – tels que le projet de rachat des années d’étude en échange d’une pension plus élevée – sont encore très floues. Bouteca : « Cela demande un débat, car il y a encore beaucoup de questions sans réponse, par exemple pour les métiers lourds. Concrètement, comment va-t-on garder les gens plus longtemps au travail ? « 

« C’est étrange que le gouvernement se profile avec ce dossier », estime Sinardet. « Il donne pour le moins l’impression que le but est de rapidement engranger de l’argent et de transmettre les factures aux générations suivantes – ce qu’on a reproché pendant des années aux gouvernements violets. »

Le tax shift non plus n’est pas encore clarifié, note Bouteca. « Celui-ci est-il suffisamment financé ? Il y a encore beaucoup d’imprécisions du côté des revenus. Évidemment, ce gouvernement ne peut pas être tout à fait transparent, car il compte sur les effets d’amortissements. »

Sinardet cite aussi le dossier du survol de Bruxelles, même s’il ne s’agit pas d’une discussion au sein du gouvernement, mais entre deux gouvernements asymétriques. « Le gouvernement bruxellois est opposé au flamand, mais il est clair que le PS et le cdH veulent toucher le fédéral depuis le gouvernement bruxellois – et particulièrement le MR, le parti du ministre compétent en la matière. C’est une conséquence de la situation exceptionnelle d’asymétrie du côté francophone. Tout comme dans le dossier du CETA on peut se demander si le conflit aurait été aussi poussé à outrance si le PS était au fédéral ? Poser la question, c’est y répondre. »

Finalement, Sinardet s’interroge également sur les projets d’être un gouvernement d’investissement. « Là aussi, silence règne, probablement parce qu’il y a différents gouvernements impliqués. Et je ne parle même pas de dossiers plus généraux tels que la mobilité. »

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