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Serge Lipszyc, l’homme du clash (portrait)

La saga du président du comité R n’est pas terminée. Ses accusations d’infiltration de l’armée par l’extrême droite n’ont pas convaincu.

Avec ses déclarations au magazine Wilfried, Serge Lipszyc peut se targuer d’avoir embistrouillé le débat sur l’extrême droite. Son père, originaire de Pologne, a été un enfant caché à Haccourt, près de Visé, après avoir été chassé de l’athénée Liège 1 parce que juif. Après la Seconde Guerre mondiale, il a repris ses études et est devenu un notable liégeois, président de la Communauté israélite et consul général honoraire de l’Etat d’Israël. Cette généalogie pèse lourdement sur les épaules du fils, mais elle n’explique pas tout. Que ce soit comme procureur du roi d’Arlon ou aux cabinets d’Annemie Turtelboom (Open VLD), ministre de la Justice sous le gouvernement Di Rupo, ou du Premier ministre Charles Michel (MR), il y a eu des clashs. Après avoir accédé, en 2018, à la présidence du comité permanent de contrôle des services de renseignement (comité R) dans des conditions difficiles – cinq avis favorables sur sept à la commission de suivi des comités P et R au Parlement, le CDH Georges Dallemagne et l’Ecolo-Groen Stefaan Van Hecke dénonçant un choix téléguidé par l’exécutif -, il a décidé de s’épancher sans filtre et sans biscuit dans le trimestriel belge. Quand il a relu ses propos, il a bien vu la bombe qu’il avait lâchée, en a refusé la publication, mais le magazine l’a maintenue après consultation des instances journalistiques. Vaincu, l’intéressé s’est incliné.

Dans les diffu0026#xE9;rentes strates de l’Etat belge, il y a une volontu0026#xE9; de favoriser des mouvements extru0026#xE9;mistes, notamment d’extru0026#xEA;me droite.u0022

Sur l’Etat, dans Wilfried, nu0026#xB0;17, automne 2021.

Censé étayer ses alarmes sur une infiltration de l’Etat par l’extrême droite, son mémoire de défense déposé le 8 novembre au Parlement s’égare sur de nombreuses pistes annexes, dont l’espionnage. Il soulève néanmoins le cas troublant d’un militaire qui fut condamné en 2014 dans l’affaire du groupe néonazi « Bloed, Bodem, Eer en Trouw » (NDLR: Sang, terre, honneur et fidélité, une devise nazie) et qui travaille toujours pour les forces armées, qui plus est dans l’unité à laquelle appartenait Jürgen Conings.

La classe politique ignore totalement ce qu’est le Renseignement et u0026#xE0; quoi u0026#xE7;a sert.u0022

Sur le monde politique, dans Wilfried, nu0026#xB0;17, automne 2021.

Serge Lipszyc aurait pu exercer son droit à la liberté d’expression en respectant certaines formes. D’abord, la collégialité. Dans La Libre du 9 novembre, ses deux conseillers, Thibaut Vandamme et Pieter-Alexander De Brock, soulignent que le comité R est une entité qui décide de concert et évoquent des « affirmations gratuites », « aucunement fondées sur les informations disponibles au sein du comité permanent R, hors le petit nombre de cas connus au sein du département de la Défense, suivis activement à ce jour ». Notons qu’il existe un passif au sein de ce petit trio, qui remonte au passage de l’un d’entre eux au parquet d’ Arlon, en même temps que Serge Lipszyc. Ensuite, ce dernier avait l’obligation de faire parvenir d’abord son rapport sous une forme classifiée aux ministres de tutelle, dans ce cas, la Justice et la Défense, et sous une forme déclassifiée (moins de détails) au Parlement. A la minute où ce document était transmis, Serge Lipszyc pouvait publier la version déclassifiée, voire donner une interview ou une conférence de presse.

J’ai le sentiment que notre du0026#xE9;mocratie est excessivement fragile, en situation de pu0026#xE9;ril.u0022

Sur la du0026#xE9;mocratie, dans Espace de libertu0026#xE9;s, nu0026#xB0;494, du0026#xE9;cembre 2020.

Une chose est certaine: la crédibilité du comité R est entamée, alors que ses rapports et enquêtes constituent des interfaces utiles entre le monde politique et les services. Le collège des procureurs généraux a fait savoir son mécontentement (Serge Lipszyc pointait l’apathie de la justice). Le chef de la Défense a pris la peine de réfuter ses déclarations dans une lettre au personnel. Ni le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw, ni les patrons de la Sûreté de l’Etat, Jaak Raes et son numéro 2 francophone, Pascal Pétry, n’ont validé sa sortie médiatique. Le nouveau rapport de la Sûreté de l’Etat, en accès public, constitue visiblement une meilleure source d’information sur les menaces, y compris celle de l’extrême droite.

Dates clés

  • 1958: Naissance à Liège.
  • 1988-2006: Premier substitut de l’auditeur du travail de Liège.
  • 2007: Procureur du roi d’Arlon.
  • 2012: Chef de cabinet adjoint de la ministre de la Justice Annemie Turtelboom (Open VLD), puis conseiller « sécurité » du Premier ministre Charles Michel (MR) pendant quatre ans.
  • 2018: Président du comité R.

DROIT DE REPONSE

Sous le titre L’homme du clash et dans la rubrique Le portrait, Le Vif du 18 novembre 2021 publie un article parsemé d’informations inexactes ou insidieuses pour appuyer l’idée que certaines de mes déclarations publiques manquent de crédit et ont embistrouillé le débat sur l’extrême droite.

Ainsi, l’auteur de l’article, à tort :

  • prétend sans en donner le moindre exemple qu’il y eut des clashs du temps où j’ai travaillé comme Procureur du Roi d’Arlon et aux cabinets de Madame Turtelboom, Ministre de la justice et du Premier Ministre Charles Michel; si clash signifie, dans l’esprit de la journaliste, un affrontement dont un comportement inapproprié de ma part serait à l’origine, son affirmation est absolument inexacte ; au-delà de la confrontation d’idées naturelle, courtoise et légitime, je n’ai jamais provoqué le moindre clash dont quiconque aurait eu à se plaindre à l’occasion de ces expériences professionnelles ;
  • affirme que j’aurais accédé à la Présidence du Comité R dans des conditions difficiles alors que la Chambre m’a élu en séance plénière le 19 avril 2018 sans observation ;
  • soutient que j’aurais déposé le 8 novembre 2021 au Parlement un mémoire de défense en m’égarant sur de nombreuses pistes annexes ; il n’en est rien ; je n’ai pas déposé de mémoire de défense et n’avais pas à le faire ; il me revenait, à la suite d’un échange de vue informatif avec des parlementaires, de transmettre à la Commission ad hoc de la Chambre certaines données de fait dont elle souhaitait la communication, ce que je me suis employé à faire dans les limites auxquelles m’astreignent mes obligations légales ; au demeurant, la journaliste concède que mon rapport évoquait à tout le moins un cas troublant d’un militaire condamné en 2014 dans l’affaire (d’un) groupe néonazi qui travaille toujours pour les forces armées dans l’unité à laquelle appartenait Jürgen Conings ; Le Vif relayait lui-même récemment les propos d’un haut fonctionnaire qui s’inquiétait du danger de l’extrême droite en Belgique ;
  • m’accuse d’avoir exercé ma liberté d’expression en violant la collégialité attachée au Comité R. Or, cette liberté d’expression, mesurée bien sûr à l’aune des fonctions que j’exerce, m’est personnelle ; de plus, interrogé à titre personnel par le Parlement, je n’étais assujetti en lui répondant à aucune obligation de collégialité ;
  • prétend qu’il existe un passif au sein du petit trio constitué de moi-même et mes deux conseillers, passif qui remontrait à plusieurs années ; jamais il n’y eut le moindre clash ni quelconque circonstance à mettre au passif de nos relations professionnelles ;
  • prétend que j’aurais eu l’obligation de faire parvenir d’abord (mon) rapport sous une forme classifiée aux Ministres de tutelle et sous une forme déclassifiée (moins de détails) au Parlement ; cette affirmation est fausse ; ma seule obligation (respectée scrupuleusement) était de répondre à une demande du Parlement ; il n’y a pas de version classifiée de ce rapport et il n’y avait pas à en avoir.

Enfin, la journaliste soutient que ma généalogie dont elle rappelle avec insistance qu’elle est imprégnée d’origine juive, d’une part pèse lourdement sur (mes) épaules de fils d’un notable liégeois, président de la Communauté israélite et consul général honoraire de l’Etat d’Israël et, d’autre part, explique, sinon totalement du moins en partie, le fait que j’aurais embistrouillé le débat sur l’extrême droite.

Avec d’autres qui s’en sont émus, je déplore ce mécanisme de réduction identitaire qui exacerbe les stéréotypes et altère la rationalité de toute discussion.

Que vos lecteurs sachent que :

  • mon ascendance juive ne pèse guère lourdement sur mes épaules ; je ne m’en enorgueillis pas ni n’en ai honte ; comme la plupart d’entre nous, mon ascendance est constitutive de mon identité ni plus ni moins, et de manière non pesante ;
  • tout au plus, m’étais-je permis, dans cette interview au journal Wilfried à l’origine de l’article de votre journaliste, d’indiquer que le fait que je sois juif et fils d’immigrés a sans doute renforcé chez moi la sensibilité au bon fonctionnement de l’Etat, l’attachement à la noblesse de ses fonctions régaliennes et le souhait de m’engager à son service ; à l’instar de nombreux citoyens, j’ai prêté serment de fidélité au Roi et d’obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge ; que je sois ou non juif n’ajoute ni ne retire à mon ambition d’agir en conscience et loyalement, comme beaucoup, au service de l’état de droit et de la démocratie.

Serge Lipszyc

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