Luc Van Der Kelen

« Séparez Bruxelles de la Belgique et le pays perd son coeur et son âme »

Luc Van Der Kelen Conseiller politique pour BPlus

Quel rôle doit jouer Bruxelles dans la Belgique renouvelée? Que peut représenter la capitale dans un État fédéral ? Le problème peut être complexe, la réponse à la question du rôle de Bruxelles en Belgique est en substance très simple.

En dehors de son rôle international, Bruxelles doit être le trait d’union entre les deux principales communautés du pays. Bruxelles doit être la capitale qui unit et non pas une ville pour faire valoir les communautés / régions les unes contre les autres. Bruxelles doit être l’endroit où les Wallons, les Flamands et tous les autres Belges sont chez eux, la capitale de tous, l’endroit à partir duquel nous pouvons jouer ensemble notre rôle dans le monde.

Séparez Bruxelles de la Belgique et le pays perd son coeur et son âme.

Les arguments sont évidents. C’est à Bruxelles que les néerlandophones et les francophones se rencontrent et découvrent la culture de l’autre. C’est l’endroit où les Belges vivent ensemble, où tous les habitants sont appréciés ou devraient l’être pour ce qu’ils sont, qu’importe la langue qu’ils parlent, qu’importent leurs traditions ou leur culture.

Séparez Bruxelles de la Belgique et le pays perd son coeur et son âme. La Belgique devient alors un pays séparable, une deuxième Tchécoslovaquie. Ni Prague ni Bratislava n’étaient le trait d’union entre les Tchèques et les Slovaques, car ces deux villes étaient par eux-mêmes des villes monoculturelles. La Tchécoslovaquie a été scindée en un temps record, à l’instigation d’un leader tchèque et d’un leader slovaque sans aucune forme de consultation de la population. Nous ne voulons pas suivre cet exemple.

Dans un passé récent, on parlait déjà, des deux côtés de la frontière linguistique de lâcher Bruxelles. Particulièrement en Flandre, où la problématique se manifeste de façon plus aiguë et massive, certains nationalistes ont fait valoir qu’on ne peut pas empêcher l’indépendance pour quelques dizaines de milliers de Flamands à Bruxelles.

Eh bien, dans ce cas-ci, l’obstacle à une solution séparatiste ou confédérale de la réforme de l’Etat disparaît. Alors les Wallons et les Flamands suivront leur propre chemin. Dans le meilleur des cas, la capitale pourrait prendre son avenir entre ses propres mains, mais au pire, elle serait placée sous la tutelle des deux monocultures prédominantes. Elle s’étiolerait sans une vision pour l’avenir et sans les investissements nécessaires pour en construire une mégalopole attractive.

Tout autre rôle que celui de fédérateur finirait catastrophiquement pour la capitale. Le rôle international de la capitale comme le deuxième centre de décision dans le monde à côté de Washington, apporte des revenus, mais aussi des coûts. Comment garder une ville dynamique et internationale quand les bureaux internationaux manquent tellement de place et de vivacité ? Mais le point principal, c’est qu’il n’y a aucune organisation supranationale qui veut ou peut prendre en charge Bruxelles.

« Pourquoi voulez-vous vous débarrasser de Bruxelles ? C’est une ville fantastique, riche en culture, un endroit idéal pour vivre, soignez-la ! » déclarait l’ancien président de la Commission José Manuel Barroso à la presse belge lors de son début de son second mandat. Il avait raison. Les Wallons et les Flamands doivent apprendre à connaître et apprécier leur capitale, comme s’ils la découvraient de l’étranger. Mais une prise en charge par l’Union européenne est une illusion pour tous ceux qui y croient encore.

En Flandre l’idée subsiste encore de faire gérer Bruxelles par un gouvernement paternaliste, conjointement par la Communauté wallonne et la Communauté flamande. Bruxelles sous la tutelle donc, une sorte de colonie commune de la Flandre et de la Wallonie. On peut s’imaginer parfaitement à quoi ceci conduirait : à la stagnation absolue, au manque d’initiative, à la fin de la créativité et à l’absence de ressources financières.

A Bruxelles, de plus en plus de voix s’élèvent pour transformer la Région de Bruxelles-Capitale, lors des septième et huitième réformes de l’État qui vont probablement venir à moyen terme, en une troisième région avec les mêmes compétences que les autres régions. Une perspective attrayante pour Bruxelles bien-sûr, mais, pour garder sa place en tant que trait d’union de la nation, il est nécessaire que ceci aille de pair avec une marge de manoeuvre suffisante pour les diverses communautés culturelles, non pas sur leur tutelle, mais comme des partenaires. Ce serait l’accomplissement d’une évolution qui dure depuis des années. Dans les différentes étapes de réforme institutionnelle du pays, Bruxelles a en effet rassemblé progressivement plus de compétences et la capitale s’est développée de plus en plus comme une région urbaine indépendante.

Comme il existe en Flandre beaucoup de méfiance sur la volonté de Bruxelles de respecter la minorité flamande, il est possible que ceci pourrait même conduire à une demande de plus d’autorités de contrôle, jusqu’à la demande d’instaurer des « mystery calls » afin de déterminer si la minorité flamande est ou non victime de discriminations.

Bien sûr, le fédéralisme/confédéralisme existant que nous avons développé, nous a conduit à un ensemble peu transparent et très complexe d’institutions et des garanties mutuelles, dans toutes les directions. Ceci n’a certainement pas bénéficié à l’efficacité de l’administration. C’est une des raisons pour B Plus de rédiger ce dossier qui, d’abord, fera découvrir l’état actuel (partiel à certains aspects) de la situation en présentant la région bruxelloise, sa gestion, les autorités locales et les autres institutions qui ont un impact direct ou indirect sur sa vie.

Après tout Bruxelles mérite beaucoup plus. C’est une métropole qui a connu, après une période de stagnation, une croissance rapide de la population, principalement due à l’immigration. La ville a donc besoin de plus de ressources et de meilleures institutions qui permettent une plus grande efficacité. Néanmoins, les Bruxellois eux-mêmes doivent tenir compte du fait qu’un gouvernement démocratique avec de nombreuses garanties pour les différents groupes de la société, sera toujours complexe. Mais il vaut mieux une démocratie et une diversité dans l’harmonie et la paix dans le coeur de chaque Bruxellois et de chaque Belge plutôt qu’une gestion où une froide efficacité l’emporte sur l’intérêt des gens.

Sur base du principe de subsidiarité, que B Plus a inscrit dans sa charte, ce serait une bonne chose de donner plus de possibilités à Bruxelles. Les politiciens francophones ont inventé dans la précédente législature une forme de coexistence entre la région et la communauté : la Fédération Wallonie-Bruxelles. Celle-ci est d’abord destinée à améliorer l’efficacité de l’administration, à l’exemple du Gouvernement flamand, mais d’autre part elle excite les deux principales communautés du pays l’un contre l’autre et elle ne répond pas aux aspirations légitimes de la population de Bruxelles et à sa représentation démocratique pour plus d’autonomie et d’auto-gouvernement.

Les politiciens belges ont toujours réussi à trouver des solutions créatives à leurs réformes institutionnelles. Pour Bruxelles, ville de nombreuses minorités, un effort supplémentaire est nécessaire, parce que c’est la partie la plus complexe de notre pays, où les communautés sont intimement liées. Il pourrait y avoir une combinaison d’un fédéralisme de coopération avec plus de possibilités pour Bruxelles en tant que région, une collaboration étroite avec l’hinterland et la délibération pour les principales communautés culturelles.

Jusqu’à 2019, les problèmes institutionnels vont rester dans le frigo fédéral. Malgré la 6ème réforme de l’Etat, la révolution copernicienne est loin d’être accomplie. Au contraire, le niveau fédéral conserve des compétences décisives dans la sécurité sociale et dans les finances de l’état. Il y a maintenant quatre ans pour faire fonctionner cette réforme de l’état , pour l’évaluer à la fin de la législature et pour faire des propositions dans le débat formant un ensemble plus cohérent de notre enchevêtrement institutionnel.

Ce dossier n’est pas un modèle pour un nouveau Bruxelles. C’est d’abord un instrument de découverte de la région bruxelloise et des éléments qui régissent actuellement sa gestion. C’est aussi la contribution de B Plus au débat sur le développement d’une Belgique fédérale et d’une meilleure gouvernance pour le bénéfice de tout le monde, selon la mission et les statuts de l’association.

Le document constate ce qui existe aujourd’hui et fait des recommandations prudentes pour ce qui pourrait arriver dans l’intérêt de tous les Bruxellois et de tous les Belges. Parce qu’une capitale qui prospère, n’est-ce pas dans notre intérêt à tous ?

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