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Semaine de la mobilité : pourquoi on ne touchera pas aux voitures de société

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Exploitée à tour de bras, la formule du véhicule de fonction ravit employeurs et employés. Surtout en Flandre. De quoi dissuader le gouvernement Michel de taxer le système actuel, même s’il constitue une aberration en termes de mobilité, de santé, d’environnement, de finances publiques. Et de justice fiscale.

« Sur ce sujet, on est mal à l’aise. » Et pour cause : la question des voitures de société est « schizophrénante » pour les syndicats. Sur le principe, ils y sont hostiles : aucune cotisation sociale n’est perçue sur cet avantage en nature, ce qui entraîne un réel manque à gagner pour les caisses de la sécurité sociale. Sur le plan fiscal, cet avantage est imposé forfaitairement, mais moins qu’un salaire classique : selon les estimations, l’Etat voit s’envoler, chaque année, entre 2 et 4 milliards d’euros, tous postes confondus, et même si l’on prend en compte les dépenses consenties pour ces voitures (taxe de mise en circulation, accises payées sur le carburant, coût du contrôle technique…)

Or, en entreprise, les délégués syndicaux négocient avec les employeurs pour obtenir des véhicules au profit du personnel. « Ils vont chercher tout ce qu’ils peuvent, reconnaît Didier Seghin, porte-parole de la CGSLB. Et même si nous sommes bien conscients qu’il s’agit d’une vision à court terme pour tout le monde, qui encourage un modèle individualiste, pour ne pas dire égoïste, qui mène droit dans le mur. »

Les syndicats n’en proposent donc pas moins eux-mêmes ce type d’avantage à leurs salariés. On compte 22 voitures de société (pour 162 membres du personnel) à la FGTB fédérale, octroyées aux membres du secrétariat fédéral et aux chefs de service qui en ont besoin pour leurs déplacements professionnels. La CGSLB en dispose d’une petite centaine, pour un peu plus de 500 personnes, tandis qu’à la CSC, on en recense 130, pour un effectif global de 330 personnes. Les trois organisations syndicales insistent sur le fait qu’il s’agit bien de voitures de fonction, rendues nécessaires par le métier de leur conducteur, et non de « voitures salaire », qui se substituent à la rémunération, sans être d’office professionnellement utiles.

Les syndicats ne sont pas les seuls empêtrés dans ce dilemme. Car tout le monde s’accorde à dire que la Belgique se porterait mieux si elle comptait moins de voitures sur son territoire, donc moins d’embouteillages, d’heures de travail perdues dans les files, de pollution et de problèmes de santé publique. Dans le même temps, le recours aux voitures de société et aux cartes de carburant qui y sont souvent liées fait florès. C’est qu’elles se substituent de plus en plus fréquemment au salaire, pour une valeur de quelque 500 euros/mois en moyenne, en raison d’un coût du travail particulièrement lourd en Belgique.

On sait que le pays compte 5,5 millions de voitures, que 800 000 sont des véhicules de société dont 200 000 qui ne peuvent effectuer que des trajets professionnels. Mais sur les 600 000 autres, combien servent vraiment pour le travail ? Et combien au titre de rémunération de substitution ? « On l’ignore », répond-on à la Febiac. Et c’est bien ce qui rend tout débat complexe.

2 milliards de pertes annuelles en recettes fiscales

L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la Commission européenne et le Conseil supérieur des finances ont déjà pointé du doigt la Belgique pour l’abondance des voitures de société sur ses routes. L’OCDE a ainsi calculé que la subvention annuelle moyenne par véhicule s’élevait à 2 763 euros en Belgique. Au total, les voitures de société représenteraient près de 2 milliards de pertes en recettes fiscales par an et environ 1,5 milliard en manque à gagner pour la sécurité sociale. L’ardoise totale, comprenant leurs coûts social et environnemental, serait quatre fois supérieure au montant du subside fiscal. Au-delà de ces chiffres, contestés par certains, ce débat questionne la responsabilité de l’utilisateur d’une voiture de fonction, à qui un kilomètre parcouru de plus ne coûte rien.

Pour autant, le gouvernement fédéral ne lèvera pas le petit orteil. Bart De Wever, président de la N-VA, et son ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, ont clairement fait savoir que le sujet était tabou. On peut comprendre : sur les 800 000 personnes profitant de l’aubaine à quatre roues, auxquelles s’ajoutent environ 300 000 indépendants, les Flamands sont très largement majoritaires (68 %). « Les voitures de société arrangent tout le monde, sauf les générations futures, résume un économiste. Le système a de belles années devant lui, sauf si un gouvernement courageux programme une sortie progressive. »

« On doit oser dire aux gens qu’il s’agit d’un mauvais système et que ce sera pire encore à plus long terme, lance John Crombez, nouveau président du parti socialiste flamand (SP.A). Nous devons mener à ce propos une discussion de fond, sans tabou. Il faut un budget pour compenser la perte de cet avantage et pour pouvoir ainsi proposer d’autres choix aux gens. » « D’accord pour réexaminer tout ce qu’on veut, enchaîne Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB. Pour autant que le financement de la sécurité sociale soit garanti. » Certains plaident pour la remise à plat de l’ensemble de la fiscalité sur le travail : laisser les employés opter pour une pension complémentaire au lieu d’un véhicule par exemple, offrir des abonnements pour les transports en commun, voire proposer du cash moins taxé à la place des voitures de société ou replafonner les cotisations sociales…

Côté employeurs, c’est peu dire que l’on voit d’un mauvais oeil la seule idée de modifier le système. Car de tous les avantages qui peuvent être proposés au personnel, la voiture de société présente le rapport coût/bénéfice le plus intéressant. En Flandre, des entreprises offrent même une voiture à leurs cadres en plus d’un abonnement SNCB et leur demandent de venir en train parce qu’il n’y a pas de places de parking dans l’entreprise ! « On n’est pas demandeurs d’une nouvelle réforme si c’est pour tripler les recettes fiscales, prévient Jean Baeten, spécialiste fiscal à la FEB (Fédération des entreprises de Belgique). Mais nous sommes partants pour mener une réflexion sur la mobilité générale. »

Les employés ne sont pas plus demandeurs de troquer leur voiture de fonction contre une augmentation de salaire équivalente. En net, ils ne récolteraient que des miettes.

Les voitures de société n’en constituent pas moins une entorse à l’équité fiscale, puisque 30 % de leurs bénéficiaires sont concentrés dans le décile de revenus les plus élevés. Et la taxation leur est favorable. Le coup est deux fois gagnant. Mais le gouvernement regarde ailleurs…

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