© Frederic Pauwels

Sea King : A bord d’une ambulance des mers

Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Depuis trente ans, les hélicoptères Sea Kings veillent à la sécurité des plaisanciers en villégiature sur la côte. Ces gros bourdons au nez rouge prêtent également main-forte aux marins en détresse. Scramble ! à Coxyde

Assis à même le sol de la carlingue vibrante, le dos coincé contre un boudin jaune qui, le cas échéant, peut se transformer en canot pneumatique, Windels, le plongeur, ouvre partiellement la porte latérale du Sea King. Vivifiant, l’air du large s’engouffre dans l’habitacle. Un instant, il arrive même à estomper l’odeur du carburant. Mais rapidement, l’air chaud dégagé par le moteur du rotor le remplace. En équilibre au milieu de l’hélicoptère, la visière de son casque rabattue sur le visage, Lanoye, le mécanicien de bord, passe un harnais avant d’ouvrir entièrement la porte de l’appareil. Dix mètres plus bas, glissant entre l’Angleterre et la côte belge, un porte-conteneurs asiatique fend la mer de son étrave. L’hélicoptère se stabilise à hauteur du poste de pilotage du bateau. A l’aide d’un panneau, Lanoye indique un canal de communication au commandant du navire. La liaison radio établie, le pilote du Sea King demande alors l’autorisation d’apponter.

Sans aucune hésitation, le plongeur se lève. Face au vide, il agrippe le mousqueton du treuil auquel il s’accroche. D’un simple geste de la main, il fait signe au mécano qu’il est prêt avant de se placer en suspension dans le vide. En bas, le vent dégagé par les pales de l’hélicoptère soulève des gerbes d’eau. Le vacarme est assourdissant. Comme dans un ballet, les mouvements sont rodés : une main protégée par un gant de Kevlar sur le câble, l’autre sur la commande du treuil, Lanoye dirige la descente du plongeur. Deux minutes et le mousqueton du câble revient déjà à vide. Son sac de premiers soins sur le dos, Boyen, le « médic » de l’équipe (un ambulancier urgentiste) s’arrime à son tour. Sur le pont du navire, le plongeur prépare la zone d’arrivée : homme, câble ou matériel, rien ne doit entraver la manoeuvre. Au signe du plongeur, le « médic » entame la descente sous les yeux attentifs du mécanicien de bord. A l’aide du micro placé devant sa bouche, l’opérateur du treuil devient l’oeil du pilote. De la bonne compréhension des deux hommes dépend la sécurité des personnes hélitreuillées. Pour éviter un stress inutile au pilote, la manoeuvre terminée, le Sea King se dégage du sillage du navire pour se positionner, en vol stationnaire, à une centaine de mètres de celui-ci. A genoux devant l’ouverture de la porte, Lanoye attend le signal de la récupération. Cinq minutes de patience et l’hélicoptère survole à nouveau le navire asiatique. Sans anicroche, les deux hommes sont remontés à bord. Calmement, chacun reprend alors sa place dans la carlingue. Le plongeur referme la porte, le vol peut se poursuivre.

Sans compter le temps passé sur le pont du navire, l’opération d’hélitreuillage n’a pas dépassé la dizaine de minutes. Maîtrise des gestes, coordination parfaite des opérations, calme olympien… on ne peut qu’être épaté devant autant de professionnalisme. Pour l’équipage, la chose est naturelle. Tous sont déjà repartis dans leurs pensées. Le bruit des moteurs rend d’ailleurs toute conversation impossible : le débriefing de la mission se fera plus tard. D’autant que la journée n’est pas terminée. Perdus au beau milieu de la mer du Nord, trois zodiacs, incongrus à une telle distance des côtes, attendent l’hélicoptère. Comme la mer est calme et la visibilité excellente, le pilote les a repérés de loin. A l’inverse du capitaine du porte-conteneurs, les hommes des zodiacs sont prévenus de son arrivée : membres des services spéciaux en opération, l’exercice d’hélitreuillage fait partie de leur formation. Calmement, l’équipage du Sea King réitère ses manoeuvres d’approche, de débarquement et de rembarquement. L’exercice de voltige semble toujours les laisser de marbre. La concentration est telle qu’on pourrait presque penser que ces hommes s’ennuient. En réalité, ils sont simplement absorbés par leurs objectifs. Après une dizaine de minutes et un dernier salut de la main aux hommes des zodiacs, l’hélicoptère quitte la zone pour prendre la direction de l’aéroport d’Ostende au-dessus duquel il doit réaliser un passage à basse altitude. C’est l’occasion pour l’équipage de vérifier que la configuration de l’aéroport n’a pas changé depuis leur dernier passage. En cas de vol nocturne, la chose est importante. Quelques conteneurs déplacés suffisent, en effet, à changer la configuration d’une possible aire d’atterrissage. Après deux heures de vol, le gros bourdon et son équipage sont de retour à B Koks, la base de Coxyde où sont stationnés les 4 Sea Kings de la 40e escadrille, Search and Rescue (40 Sqn SAR). A l’origine, l’escadrille a été créée pour mener à bien des opérations de sauvetage en cas d’accident d’avion civil ou militaire sur les territoires belge et luxembourgeois. Dans la pratique, les Sea Kings sont surtout engagés pour sauver des personnes de la noyade, transporter des grands brûlés, assister des navires en difficulté, rechercher des disparus et surveiller le littoral.

Un équipage de 6 personnes

Alors que les pales de la machine s’immobilisent dans un dernier sifflement, les mécaniciens s’avancent déjà sur le tarmac pour bichonner la bête. C’est que vieux de 36 ans, l’hélico a besoin de soins quotidiens. « Je ne suis pas un grand spécialiste de l’entretien, rigole Geerts, alias Krikke, pilote de 28 ans, mais, pour une heure de vol, il faut compter une bonne dizaine d’heures de maintenance au sol. Sans parler de l’air marin, particulièrement corrosif pour la carlingue de l’appareil. » Pendant que l’hélicoptère, maintenant totalement silencieux, est tracté à l’ombre du hangar, son équipage part se changer. Casques et combinaisons sont impeccablement rangés en prévision d’une alerte. « Aujourd’hui, nous volons plutôt léger, poursuit Geerts. Mais si l’eau fait moins de 13 degrés, nous devons enfiler des combinaisons capables de nous protéger en cas d’immersion prolongée dans l’eau. Par contre, comme dans les meilleurs films, nous avons toujours dans notre poche une mini-bouteille d’air comprimé. Si nous devions nous abîmer en mer, ce qui n’est heureusement jamais arrivé dans l’escadrille, elle nous donne théoriquement le temps de sortir de l’appareil. » En cas d’amerrissage sur une mer calme, un Sea King peut flotter grâce à deux grands sacs à air placés au niveau des roues. Une fois stabilisé sur l’eau, il est alors possible d’évacuer l’appareil à bord d’un canot de sauvetage. Sur une mer agitée, c’est plus compliqué. Vu la hauteur de l’appareil, il chavirerait rapidement. « Une fois par an, reprend Geerts, nous avons un entraînement d’évacuation de la carlingue en piscine durant lequel nous sommes drillés à poser les bons gestes. » « Ouvrez votre gilet de sauvetage alors que vous êtes encore à l’intérieur de l’appareil et vous pouvez être certain de rester bloqué au plafond et de couler avec lui », précise d’ailleurs Windels, le plongeur.

L’équipage d’un Sea King se compose de six personnes : deux pilotes, un navigateur, un spécialiste des instruments de bord, un plongeur et un ambulancier urgentiste. Un équipage complet se trouve toujours en stand-by à la base de Coxyde. Dès qu’un appel de détresse lui parvient, il doit décoller dans un délai imparti : quinze minutes en journée et trois quarts d’heure au maximum la nuit. « Dans la pratique, on fait toujours beaucoup mieux, sourit Dirk Vanleeuw, alias Simba, un des sept « médics » de la base. Comme c’est le cas aujourd’hui, notre efficacité est surtout le résultat de nos entraînements quotidiens. Seules 10 % de nos sorties sont de véritables interventions. Mais les exercices sont indispensables. Dans un vrai scramble (alerte), les secondes comptent. Lorsque la sirène se déclenche, l’équipage court se changer pendant que le navigateur va aux informations pour prendre les objectifs de la mission. Quand une ambulance doit charger un blessé, on lui communique une adresse. Chez nous, c’est un peu plus compliqué. On nous fournit les coordonnées de l’endroit où la personne a disparu. En fonction du laps de temps écoulé, des conditions climatiques et des courants, on calcule la dérive possible à l’aide de tableaux. Arrivé au-dessus du point d’intervention, c’est toujours le plongeur qui descend en premier. Une fois la zone sécurisée, je peux rejoindre le patient. En fonction de la gravité de son état, je prends ou non la décision de l’évacuer. Le fait de travailler trois jours par semaine au service des urgences d’un hôpital est important pour poser un diagnostic rapide. Avant de quitter le navire, je dois absolument avoir échangé toutes les informations importantes avec le patient. Car, une fois à bord de l’appareil, il est impossible de communiquer avec le patient autrement que par gestes. »

« On ne sait jamais sur quoi on va tomber »

Le type d’intervention dépend beaucoup d’une année à l’autre. Géographiquement, les hélicoptères de la 40e escadrille interviennent dans les eaux belges et hollandaises ainsi que dans le nord de la France. « Les Anglais font parfois appel à nos services, précise le 1er sergent-major Delchef, alias Spirit Boy, 36 ans, le seul « médic » francophone de l’escadrille. La réciprocité est vraie. Lors de la catastrophe de Ghislenghien, nous avions trois Sea Kings sur place pour transporter les grands brûlés. Ce sont les appareils anglais qui seraient intervenus sur nos côtes en cas de problème. Simple question d’adaptation… C’est d’ailleurs une des constantes de ce boulot : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Un jour, une alerte nous signale un marin se plaignant d’une douleur à la main. Quand nous avons hélitreuillé le gars, nous avons constaté que plusieurs de ses doigts ne tenaient plus que par des lambeaux de peau. Les pêcheurs nous apprécient, ils savent que nous volons pour eux. C’est une des raisons pour lesquelles ils ne refusent jamais de participer à nos exercices quotidiens. »

Habitués aux interventions critiques, les équipages de Sea King n’hésitent pas à affronter la tempête pour porter secours. Deux éléments les clouent cependant au sol : un vent soufflant à plus de 45 noeuds (un peu plus de 80 kilomètres-heure) et un brouillard limitant la visibilité à une dizaine de mètres. « Au décollage, un vent violent rend impossible l’engagement du rotor, explique Geerts. Il est toutefois possible de contourner l’obstacle en plaçant le Sea King à l’abri des rafales, derrière un hangar, par exemple. Une fois en l’air, même si nous volons moins vite, le vent n’est plus un problème, sauf, bien entendu, pour les opérations d’hélitreuillage. Dans le cas du brouillard, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Il est inutile de décoller dans une mélasse qui rend vaines toutes opérations de recherche. A ce propos, nous sommes une des seules nations à voler avec un équipage de 6 personnes. En cas de recherche, dont la dernière partie s’effectue toujours à vue, c’est particulièrement important d’avoir 6 paires d’yeux pour scruter la surface de l’eau. On l’oublie souvent, mais, d’une personne à la mer, on ne voit que la tête qui émerge. Si les professionnels de la mer sont souvent équipés de tenues voyantes munies parfois d’un système de localisation, c’est rarement le cas des plaisanciers. Pourtant, quand on part en mer, un simple vêtement bien visible fait souvent la différence. »

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