A côté de l'organisateur de courses Christian Prudhomme, André Gilles, Christophe Lacroix et Willy Demeyer. La joyeuse entente. © MICHEL KRAKOWSKI/BELGAIMAGE

Scandale Publifin : au commencement, il y avait Liège

Qui tire les ficelles de Publifin/Nethys/Ogeo Fund ? Le PS liégeois, obligatoirement. Mais il n’est pas seul, et des logiques souterraines sont à l’oeuvre.

Le PS liégeois est au coeur de l’actualité, perpétuel symptôme du  » mal wallon « , la Waalse maffia, comme résumait brutalement le quotidien DeMorgen. En fouillant bien dans les dossiers de la banque Optima faillie (Gand, Anvers) et d’Elicio (ex-Electrawinds, éolien en mer, Ostende), on verrait sans doute surgir des tentacules aux couleurs principautaires (jaune, blanc, rouge). Mafia ? Pure coïncidence : le troisième procès Cools devant les assises de Namur a tourné court en plein tourbillon Publifin (poursuites déclarées irrecevables pour cause de dépassement du délai raisonnable). Vingt-cinq ans déjà et, pourtant, le souvenir de l’assassinat du ministre d’Etat André Cools, le 18 juillet 1991, plane toujours. Deux tueurs à gages se sont déplacés de Tunisie pour assassiner un soi-disant  » baron de la drogue  » à la seule fin de protéger les trafics de quelques membres d’un cabinet ministériel socialiste en pleine déréliction. Ainsi le veut la vérité judiciaire mais la page n’est pas tournée.

André Cools, le leader socialiste a marqué la région.
André Cools, le leader socialiste a marqué la région. © BELGAIMAGE

En décrivant Publifin comme un  » système de nature mafieuse  » ( » car il fait la loi lui-même, il distribue de l’argent à tout le monde pour que personne ne pose de questions « ), le chercheur François Gemenne, 36 ans, a donc touché un point sensible de l’âme liégeoise.  » A l’avenir, j’éviterai de me promener sur les parkings de Cointe « , ajoutait-il, le 18 janvier, à la RTBF. Une allusion à la scène du crime d’autrefois, qui fit sortir Willy Demeyer de ses gonds. Le bourgmestre de Liège et président de la fédération liégeoise du PS qualifia les propos de l’académique (FNRS) de  » faux, injurieux  » et sans caractère  » scientifique « . Né à Liège, travaillant à Paris, François Gemenne sait que  » si ça ne pète pas maintenant, c’est reparti pour trente ans « , confie son ami Eric Jadot, conseiller communal indépendant de Herstal, ex-député fédéral Ecolo. Les deux hommes signent des cartes blanches sur le site du Vif/L’Express (levif.be). Est-ce l’heure de vérité ?  » Tant qu’il n’y aura pas de commission d’enquête au parlement wallon, tant que les responsables du système resteront en place, tant que les communes actionnaires ne se retourneront pas contre Publifin et Nethys en exigeant des démissions, rien ne bougera « , préviennent-ils. A voir. Le système est puissant. Voilà sur quoi il repose.

Aux sources de l’empire Publifin/Nethys/Ogeo Fund se trouvent indiscutablement des hommes issus de la fédération liégeoise du PS. Une forteresse de 9 000 affiliés, tenue en lisière par des présidents du PS systématiquement hennuyers depuis la fin du règne d’André Cools (1978-1981). Avec son projet Neos, ce dernier avait l’ambition de remplacer le capitalisme privé défaillant par un capitalisme public, en prenant appui sur l’Association liégeoise d’électricité, ancêtre de Tecteo, et sur la Smap, future Ethias. Stéphane Moreau a repris le flambeau en 2005 et construit sur cette belle idée un réseau complexe de sociétés, avec l’aide de conseillers prodigieusement bien rémunérés (en société) comme Pol Heyse (ex-RTL-TVI), Daniel Weekers (Be TV), Frédéric Vandeschoor (ex-McKinsey) et l’indispensable avocat Jean Bourtembourg, spécialiste du droit public et administratif. Ce dernier veille à donner une assise légale à cette structure hybride et volontairement opaque. Il y a quelques années, le conseil donné à un acteur du câble invité au bureau de Tecteo était très simple :  » Tout est confidentiel, le conseil d’administration ne doit pas savoir ce qui se passe au bureau et tu seras bien rémunéré.  » En cas de refus, après les cajoleries, c’était les intimidations. En bande, si possible. De science personnelle, le genre de la maison.

L’union fait la force liégeoise

Stéphane Moreau à l'apogée de sa gloire, véritable tycoon wallon.
Stéphane Moreau à l’apogée de sa gloire, véritable tycoon wallon. © NICOLAS LAMBERT/BELGAIMAGE

Sans regarder de trop près à la tambouille, le bourgmestre de Liège prolonge, lui, le storytelling coolsien en rappelant que  » la Wallonie devra bientôt se débrouiller sans la Flandre « , raison pour laquelle l’aigle principautaire doit pouvoir déployer ses ailes en toute liberté. L’union fait la force. Ce n’est pas nouveau en bord de Meuse. Avec le libéral Jean Gol et le social-chrétien Jean-Pierre Grafé, le  » maître de Flémalle  » avait jeté les bases de l’aéroport qui nourrit aujourd’hui 6 000 familles. Vers la fin (brutale) de sa vie, André Cools suspectait certains hommes politiques de son bord de s’enrichir indûment sur le dos de la collectivité. En juin 2012, le dernier survivant du trio, Jean-Pierre Grafé, avait prévenu le conseil communal de Liège de dérives potentielles. L’intercommunale Tecteo (futur Publifin) s’apprêtait à transférer toutes ses activités dans deux filiales opérationnelles de droit privé (dont la SA Tecteo-Service, futur Nethys). L’homme politique liégeois craignait que la première devienne une  » coquille vide  » permettant aux secondes d’échapper à tout contrôle démocratique.

Un an plus tard, le rachat des Editions de l’Avenir ayant réveillé ses inquiétudes, l’ancien avocat fit parvenir une note confidentielle à la présidente du CDH, Joëlle Milquet.  » Une intercommunale pure peut-elle céder la gestion de tout ou partie de ses activités à une filiale SA de droit privé, sans conserver le moindre contrôle décisionnel quant au respect de la légalité des activités menées par sa filiale et la conformité statutaire de ses investissements de portée stratégique ?  » On lui rit au nez et c’est à Dominique Drion que le CDH confia sa foi, sa déontologie et, par voie de conséquence, la prolongation de juteux mandats dans les intercommunales liégeoises.

La démocratie interne a reculé à la fédération liégeoise du PS

Une loi du genre qui se vérifie au PS liégeois où quatre des cinq membres de sa commission fédérale de vigilance ont été invités à s’effacer par ceux-là qui les y avaient invités. Tous étroitement liés à l’empire Nethys, dont le président, Jean-Dominique Franchimont, avocat pénaliste chargé de la défense de Stéphane Moreau et d’Alain Mathot, ou Bénédicte Bayer, directrice générale de Publifin. L’omerta au coeur du système de contrôle, on ne fait pas mieux.  » La commission de vigilance ne se réunissait pas très souvent et ne s’intéressait pas aux caciques du parti « , confirme un proche du PS.

Sur le plan de l’éthique, les libéraux principautaires sont toujours en stand by. Certains, dont le célèbre Georges Pire (31 mandats selon Cumuleo), trente ans de Province à côté d’André Gilles (PS), sont également impliqués dans le  » Nethys profond « . En 2013, le MR avait encaissé quelques chocs  » tectoniques « , tiraillé entre ses attaches locales et la bonne gouvernance. Alain Jeunehomme, chef de cabinet de la ministre fédérale des Classes moyennes, Sabine Laruelle, avait dû démissionner pour avoir voté l’achat de L’Avenir contre le voeu (hésitant) de son parti. Peu de temps après, la ministre quittait la politique. Les trois partis traditionnels sont donc impliqués, à des degrés divers, dans le capitalisme public de la Cité ardente. Nourrie de familiarités maçonniques, l’entente PS-MR est souvent mise en avant mais elle a ses faiblesses. Aux dernières élections législatives, Daniel Bacquelaine, actuel ministre fédéral des Pensions, a ravi à Willy Demeyer le leadership en voix de préférence.

La chute de Stéphane Moreau, le rôle d’André Gilles

L'union fait la force des Liégeois.
L’union fait la force des Liégeois.© PHILIPPE BOURGUET/BEPRESS PHOTO AGENCY – BPPA

Jusqu’il y a peu, Stéphane Moreau, le patron de Nethys, était intouchable. Désormais lâché par le Boulevard de l’Empereur, il a entamé sa descente. Affaibli physiquement, il doit choisir entre Ans et l’entreprise à laquelle il a voué sa vie et dont il estime mériter, à l’instar d’un capitaine du privé, les somptueux avantages. Ses émoluments gigantesques (près d’un million d’euros brut par an), leur défiscalisation et autres comportements boiteux (il est inculpé dans quatre dossiers judiciaires dont l’investigation arriverait opportunément à son terme) ne l’empêchent pas de figurer en bonne place au sein du  » Club des Cinq « , avec Jean-Claude Marcourt, Willy Demeyer, André Gilles et Alain Mathot. Vrai ami de ce dernier, étroitement lié au bourgmestre de Liège, inséparable d’André Gilles pour les affaires, il publiait sur sa page Facebook une photo de la choucroute du 14 janvier en compagnie d’André Gilles et de Jean-Claude Marcourt. Avec cette dédicace appuyée :  » A mon ami Jean-Claude.  » Il a fallu un certain temps pour que le scandale Publifin, amorcé par LeVif/L’Express avant les fêtes, se fraie un chemin dans l’esprit du  » directoire « .  » Ils se croyaient intouchables, s’étonne encore Eric Jadot. A leur place, je ne sortirais plus de chez moi…  »

En 2015, au sortir de son expérience de ministre du gouvernement fédéral, Jean-Pascal Labille, a été lancé par Elio Di Rupo à l’assaut de cette fédération que le Montois déteste tout en cherchant à l’imiter jusque dans ses démesures calatraviennes. Cependant, l’homme des Mutualités socialistes, lui-même addict aux mandats, ne faisait pas le poids. Il contestait la gestion oligarchique de la  » fédé  » ? Sa non-candidature a fait  » pschitt « . Une fois réélu, Willy Demeyer a offert un strapontin à Isabelle Simonis, ministre régionale wallonne (Enseignement de promotion sociale, Jeunesse, Droit des femmes), et à Frédéric Daerden, député-bourgmestre de Herstal, bombardé porte-parole de la fédération. Sans excès d’ouverture :  » Ils étaient invités de temps en temps « , glisse un socialiste.

Etrangement, peu de critiques s’abattent sur André Gilles, l’homme de la Province depuis trente ans, fils d’un bourgmestre socialiste de Jemeppe-sur-Meuse et protégé de Guy Mathot, ancien député-bourgmestre de Seraing, plusieurs fois ministre,  » plusieurs fois éclaboussé, jamais mouillé « . C’est André Gilles qui veille aux destinées du rejeton Alain Mathot. Il le pistonne dans les coins les plus reculés de la nébuleuse Nethys-Ogeo Fund. Avec Michèle Lempereur, ex-partenaire de Guy Mathot et actuelle compagne de Willy Demeyer, il lui offre la protection sans faille de la fédération dans l’affaire Intradel, où le fils de Guy était soupçonné d’avoir facilité la construction d’un incinérateur contre plus de 700 000 euros de pots- de-vin (le Parlement n’a pas levé son immunité).  » Porteur d’eau « ,  » second couteau « ,  » politiquement assez modéré et habile  » : les qualificatifs abondent pour décrire le rôle de Gilles, homme falot mais en réalité  » faiseur de roi « . A la Province, il contrôle les finances, les nominations ainsi que le magot de Nethys-Ogeo. Cela fait beaucoup d’obligés dans son sillage.  » Le secret, il est là « , appuie un observateur imperméable aux théories du complot.

A la tête de Publifin, André Gilles aurait dû logiquement prendre les coups, autant que les lampistes obligés de démissionner (CDH) ou de restituer le trop-perçu des rémunérations au sein des comités de secteur de l’intercommunale (PS). Mais il s’obstine :  » On n’a rien fait « , répète-t-il lors des réunions de crise de Publifin et du parti.  » Au comité fédéral, rapporte un membre du PS liégeois, il a lu un rapport long et détaillé défendant le caractère légal du système des rémunérations mis en place dans les comités de secteur, couvert par un arrêté ministériel du ministre des Pouvoirs locaux, Paul Furlan.  » Son large dos maintient dans l’ombre d’autres acteurs, comme Gil Simon, ancien bras droit de Michel Daerden, secrétaire général de Publifin et membre du comité de direction de Nethys, espoir politique du PS à Visé et, selon certains, ministrable.

Le poids des appareils

De fait, Elio Di Rupo se concentre sur Stéphane Moreau, le plus visiblement exposé de tous les Liégeois. Le président du PS place tous ses espoirs de moralisation dans l’assèchement des fontaines d’euros.  » Il n’y aura plus la reconnaissance du ventre « , décode un intime.  » Il n’a pas sous la main un jeune loup prêt à s’en prendre aux caciques comme à Charleroi, où Paul Magnette était un homme nouveau « , réfléchit un socialiste bruxellois. Tenant à son image de pater familias au-dessus de la mêlée, Willy Demeyer, dont la probité personnelle n’a pas été mise en cause, se rapproche du Boulevard de l’Empereur, laissant à d’autres le masque de Padrone.  » Stéphane Moreau est très méchant. Tout le monde en a peur « , frémit le Bruxellois.

La modeste opération mani pulite qui se joue à Liège va- t-elle bousculer les rapports de force entre individus, basés sur le contrôle de l’appareil et des loyautés dynastiques ? Difficile à prévoir. La démocratie interne a reculé à la fédération liégeoise du PS, jadis l’une des plus débatteuses et frondeuses.  » La bonne question à se poser est la reproduction ou la confiscation du pouvoir au sein des partis, analyse un Liégeois. Après la fusion des communes, le PS a abandonné le scrutin dit en roue de charrette qui permettait aux affiliés de déterminer l’ordre de la liste électorale. La fédération a opté pour le scrutin de liste pour garantir la représentation des anciennes communes. Il faudrait une mobilisation massive pour modifier l’ordre de la liste, ce qui n’arrive jamais.  »

Le PS n’utilisera jamais l’arme atomique – le retrait du label socialiste – pour mettre au pas les fiers Liégeois, soudés par un patriotisme qui tolère  » un parasitage qui finit par coûter beaucoup d’argent, à l’heure où la recherche et le développement indispensables au bien-être des générations futures est en rade « , regrette une source. L’idée serait de ramener Nethys dans le périmètre du public. Soit de vendre les pièces rapportées qui ne correspondent pas aux missions d’une intercommunale. Pour cela, un audit approfondi de la nébuleuse Nethys-Ogeo, voire la désignation d’un gestionnaire de crise, est nécessaire. Les partis politiques s’y résoudront-ils de bon coeur ?

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