Le Vif

Santé : faut-il encore fustiger les graisses ?

Par Nicolas Guggenbühl – Diététicien Nutritionniste

Professeur à l’Institut Paul Lambin (Haute Ecole Léonard de Vinci, Bruxelles) – Rédacteur en chef du magazine Food in Action et de son media web www.foodinaction.com


Les graisses ou lipides sont la forme la plus concentrée d’énergie (9 kcal par gramme, contre 4 kcal/g pour les glucides et les protéines), on conçoit donc aisément qu’en excès, elles contribuent au déséquilibre de la balance énergétique. Cela fait plus d’un demi-siècle que bien des recommandations nutritionnelles attirent l’attention sur la nécessité de réduire l’apport en graisses. Une des conséquences est un déplacement de l’apport énergétique vers les glucides, notamment les sucres, ce qui n’est pas forcément bénéfique, et pourrait même avoir des conséquences fâcheuses.

Diététique évolutive

La diététique n’est pas une science exacte, et son évolution est intimement liée à la connaissance des relations entre l’alimentation et la santé. Elle n’est pas figée, mais évolutive, et doit pouvoir constamment se remettre en question. Or, il apparait aujourd’hui de plus en plus clairement qu’une alimentation fortement allégée en graisses ne peut plus être consi-dérée comme le modèle de références en matière d’alimentation saine. Rappelons que le fameux régime méditerranéen des années soixante – qui est devenu un modèle de référence – comportait près de 40 % de l’énergie sous forme de lipides, soit un niveau compa-rable à ce qui est consommé actuellement en Belgique. Dans leurs dernières recommandations nutritionnelles, nos voisins français ont remonté la limite maximale de la part des graisses à 40 % de l’apport énergétique, alors qu’elle est encore fixée à 30 % dans de nombreux pays.

Moins gras ou mieux gras ?

Le principal problème actuel ne réside pas tant dans la quantité de graisses que dans sa qualité. Ici aussi, certains préceptes volent en éclat : les acides gras saturés, tant décriés pour leur effet sur le taux de cholestérol, ne sont plus vus de manière aussi homogène. Car si cer-tains d’entre eux (les C12, C14 et C16) sont effectivement reconnus comme néfastes pour les vaisseaux, d’autres (C18) sont tout à fait neutres, et d’autres encore (C4) pourraient même présenter certains effets bénéfiques. Ce qui pourrait expliquer que la relation couramment admise entre graisses saturées et maladies cardiovasculaires n’a pu être mise en évidence dans les travaux récents. L’amélioration de l’alimentation ne passe pas par une réduction de la proportion de graisses, au risque de laisser trop de place aux glucides qui, trop souvent, sont issus de céréales raffinées et de sucres ajoutés, mais bien par une meilleure composition de la ration des lipides. Concrètement, elle s’obtient en privilégiant les sources de graisses d’origine végétale (huiles, noix, graines…), sans pour autant devoir adopter un régime végétarien. Le poisson est une source d’oméga-3 pratiquement irremplaçable. Et les produits laitiers (lait, yaourt, fromages…) ont leur place, leur consommation n’étant pas associée à une augmentation du risque cardiovasculaire, contrairement à ce que laisserait supposer leur teneur en acides gras saturés. Par contre, les huiles hydrogénées utilisées dans l’industrie contenant des acides gras trans sont clairement identifiées comme nuisibles et gagneraient à être supprimées.

Fausse route

Certaines huiles, comme l’huile de palme, sont pointées du doigt en raison de leur richesse en acides gras saturés. La stigmatisation d’une source d’acides gras saturés n’a cependant pas beaucoup de sens, car l’alimentation est un tout, et l’équilibre peut très bien s’obtenir en composant entre autres avec de l’huile de palme, des produits laitiers autres qu’à 0 % de matières grasses, et même un peu de chocolat ! Ce qui compte, c’est certes d’éviter les excès d’acides gras saturés (sans devoir les supprimer), mais aussi de s’assurer d’une teneur suffisante en graisses mono- et polyinsaturées. Faire une fixation sur une huile en particulier, et envisager de la taxer, n’a pas beaucoup de sens. Ou alors, il faudrait taxer aussi le beurre, les produits laitiers entiers, le beurre de cacao, le chocolat… Et jusqu’à présent, il y a peu ou pas d’évidence indiquant que de telles mesures changent le problème de fond, à savoir une consommation calorique excessive et un niveau de sédentarité croissant.

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