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Salvatore Adamo: « J’ai toujours tenu à descendre de mon nuage »

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

La veille de son 75e anniversaire, Salvatore Adamo sera sur la scène de Bozar, à Bruxelles. Toujours bon pied bon oeil. Et avec cette humilité et cette bienveillance qui n’appartiennent qu’à lui.

Vous démarrez votre dernier album en chantant :  » Je voulais juste te faire rêver un peu/T’emmener vers un ailleurs moins désespérant/C’est trop facile, dis-tu, de tout peindre en bleu.  » C’est une manière de justifier votre image de chanteur policé et candide ? Vous avez pourtant toujours évoqué des thèmes plus  » engagés « …

Absolument ! A vrai dire, je pense qu’aujourd’hui, le malentendu s’est un peu dissipé. Mais à l’époque, quand j’ai écrit cette chanson, il existait encore une espèce d’incompréhension entre une partie de mon public et moi. On m’attendait surtout dans les chansons plus gentillettes, un peu fleur bleue. Alors que, dès 1967, j’ai écrit Inch’ Allah. Celle-là a eu la chance de devenir un succès. Du coup, ça a pu donner l’impression que c’était la seule du genre. Mais je n’ai jamais arrêté de chanter sur des sujets plus graves ! Sauf que personne n’en a jamais parlé. Hormis, bien sûr, les gens qui me suivaient en concert. Eux savaient que je chantais aussi Vladimir, On se bat toujours quelque part, etc . J’ai toujours tenu à descendre de mon nuage.

Sur votre disque précédent, vous affirmiez encore : « Je ne peux rien faire de mieux/Que de chanter mon refrain. » Une chanson peut-elle changer les choses ?

Non, ce serait vraiment utopique que de penser ça. Le titre dont vous parlez, Chantez, est un morceau que j’ai écrit juste après la tuerie de Charlie Hebdo. C’est vrai que quand ce genre de drame arrive, on se pose des questions : a-t-on le droit de rester aussi insouciant et, apparemment, naïf ? On se sent tellement désarmé, presque anachronique quelque part. Après réflexion, je me suis dit que je devais assumer cette naïveté. J’accepte mon rôle de saltimbanque, tout simplement.

Aujourd’hui, il y a des gens qui fuient la pauvreté, mais qui ont surtout la mort aux trousses.

Vous avez également écrit une chanson sur les attentats de Bruxelles…

Oui, mais je n’ai pas voulu l’enregistrer. Je l’ai chantée une fois, lors des commémorations. Mais la glisser sur un disque… J’avais l’impression que certains auraient pris ça pour de la récupération. Ma conscience m’a dit qu’il valait mieux s’abstenir. J’ai écrit pas mal de morceaux comme ça, juste pour une occasion. Lorsque je suis remonté sur scène après ma convalescence ( NDRL : en 2004, Salvatore Adamo fut victime d’un accident vasculaire), à Mons, dans la salle où j’avais débuté, j’ai chanté Les Anges de l’ombre en hommage au corps médical. Ce titre existe, c’est tout. C’est peut-être une coquetterie de ma part. Une manière de montrer que je peux écrire une chanson sans penser la vendre, en l’offrant tout simplement… J’en ai écrit une autre qui s’appelle Migrant. J’aurais dû l’enregistrer avec Maurane… Peut-être que je la chanterai à Bruxelles, le 31 octobre. Peut-être même que celle-là, je finirai par la mettre sur un album, si c’est nécessaire.

A propos de Matteo Salvini :
A propos de Matteo Salvini :  » Je suis embarrassé. Ce n’est pas ça, l’Italie. « © Alessandro Serrano/reporters

Si nécessaire ?

A un moment, j’ai pensé qu’on avait bien saisi la problématique des migrants. Je dois constater qu’il faut déchanter. Mes parents étaient des migrants, qui ont fui la misère. Aujourd’hui, il y a des gens qui fuient non seulement la pauvreté, mais qui ont surtout la mort aux trousses. Il faudrait leur accorder un minimum d’attention, me semble-t-il. Le respect de l’autre, la solidarité, ce sont des valeurs essentielles, que je tiens de mon père. On ne me les enlèvera jamais. Quand j’étais gamin, nous vivions dans une cité constituée de baraquements. Il y avait surtout des Italiens, mais aussi quelques Nord-Africains. Ma mère faisait le ménage et la lessive pour quelques ouvriers mineurs, dont cet Algérien qui s’appelait Barack. C’était le seul qui parlait un peu français. Du coup, il regardait un peu mes devoirs, me corrigeait de temps en temps. Un jour, toute la cité est sortie devant sa porte : il était encadré par deux gendarmes, menotté. Il n’avait pas obtenu son permis de séjour. On l’emmenait comme un malfaiteur. Ça marque, ce genre de choses.

Quel regard portez-vous sur l’Italie de Matteo Salvini ?

(Silence) Disons que je suis embarrassé. Ce n’est pas ça, l’Italie. Ce n’est pas normal qu’un peuple qui connaît une telle diaspora un peu partout dans le monde devienne aujourd’hui un pays qui refoule. Ça n’a pas de sens. Cela étant dit, il y a trois, quatre ans, j’avais été très touché par l’attitude des gens à Lampedusa, qui s’étaient montrés très solidaires. C’est là qu’on attendait une intervention de l’Union européenne. Une Europe vraiment unie aurait pu trouver une solution. Au lieu de ça, le problème est récupéré par quelqu’un comme Salvini…

Cette propension que chacun a maintenant à étaler ses états d’âme est troublante.

Malgré tout ça, l’un des mots qui continuent de revenir dans votre dernier disque, c’est « rêve ». Comment continuer à rêver dans une époque qui apparaît extrêmement anxiogène ?

J’ai dû garder une grande part de candeur. Avec le temps, j’ai même l’impression qu’elle s’est accentuée. Les choses s’accélèrent tellement, que je n’ai plus l’occasion de les analyser. Je les accepte telles qu’elles se passent. Il arrive encore que je sois agréablement surpris par certaines personnes qui montrent une volonté d’aider, de soigner. Je connais des gens magnifiques. Bien sûr, je suis l’actualité comme tout le monde. Mais j’ai l’impression qu’à côté de cette réalité implacable, il y a d’autant plus un besoin de rêver.

Dans un morceau comme Nu, vous épinglez l’influence des réseaux sociaux, aussi bien dans les relations humaines qu’à un niveau plus social, voire politique.

Cette chanson m’a été inspirée par L’homme nu, l’essai de Marc Dugain et Christophe Labbé, une lecture assez traumatisante ! J’ai essayé de partir de leurs constats et de les transformer en situations humoristiques. Cette propension que chacun a maintenant à étaler ses états d’âme est troublante. Internet, c’est un miracle, c’est magnifique. Les plus grands cerveaux s’y expriment. Mais, excusez-moi, on y trouve aussi certains qui feraient mieux de garder leurs réflexions pour eux. Et puis, toutes ces tentatives de formatage subliminal, c’est terrible. Certains ne se rendent même plus compte qu’ils n’ont pas agi de leur propre gré. Ils ont été manipulés, très habilement, et très délicatement… Mais je veux rester optimiste. On assiste à la naissance d’un monde qui peut être fabuleux. Aujourd’hui, se concrétisent les premiers pas de ce qui était encore considéré, il y a vingt ans à peine, comme de la science-fiction.

Dans le même temps, les prévisions sur le climat, par exemple, sont de plus en plus alarmantes. Une chanson comme Tombe la neige risque de devenir anachronique…

En Belgique, le morceau est sorti à l’hiver 1963. Mais en France, le disque a paru en plein mois d’août 1964. C’était ce qu’on appelle un  » tube de l’été  » (rires) ! Donc, même si les hivers deviennent caniculaires, elle peut fonctionner. Blague à part, je suis évidemment sensible à la cause écologiste. J’essaie de mettre certaines choses en pratique, à ma façon. Ce sont des gestes naturels, qui me semblent appartenir à la convivialité, au respect de l’autre. J’ai aussi vu les résultats des dernières élections communales évidemment. Et en même temps, j’estime que l’écologie devrait être un souci essentiel de chaque parti.

Salvatore Adamo:

Dans Méfie-toi, vous chantez : « Un rien parfois, et je pique ma colère. « On a du mal à vous imaginer sortir de vos gonds…

Ce sont des colères tellement rentrées, intérieures, et retenues. C’est d’ailleurs ça mon problème, je n’ai jamais explosé. Donc, j’implose. Mes deux gros problèmes de santé tiennent à ce caractère. Qu’est-ce qui me met en colère ? Le fait de me retrouver parfois devant quelqu’un dont je sens la condescendance, et ne pas oser lui dire, continuer à faire comme si je n’avais pas compris. Et qu’il puisse écrire que j’ai été un peu naïf (sourire). Mais un jour, j’écrirai quand même moi-même certaines petites choses pour remettre les pendules à l’heure. Cet été, j’ai d’ailleurs pris la plume. Mais j’ai préféré aller vers la fiction, et terminer un second roman. Je n’arrive pas à me dire que je vais écrire un livre sur moi. Je vis encore pleinement. Pourquoi se tourner vers le passé, alors qu’il y a encore tellement de belles choses à venir ? Je touche du bois…

Vous vous apprêtez à fêter votre 75e anniversaire, le 1er novembre prochain. Vous vous êtes fixé une limite pour continuer de chanter ?

Celle de la crédibilité. Tant que je ne serai pas pénible à regarder ou écouter. Je compte sur mon entourage pour me le faire comprendre (sourire).

Quelqu’un comme Charles Aznavour a continué à tourner jusqu’au bout.

Il y a quatre ou cinq ans, nous avons encore mangé ensemble, rue des Bouchers, à Bruxelles, avant d’aller se promener Grand-Place. J’étais très fier. Il était un peu paternel… Quand j’ai gagné mon premier télécrochet, c’est lui qui m’avait remis le prix. Il m’avait laissé un autographe et un mot qui disait :  » M… et faites-en bon usage !  »

Aznavour a pu être frustré de ne pas avoir été toujours considéré comme l’égal d’un Brel, Brassens ou Ferré. Vous-même, avez-vous l’impression d’avoir obtenu la reconnaissance que vous méritez ?

Je suis conscient d’avoir commencé avec des chansons plus gentillettes. Bien écrites, parce que j’ai toujours été puriste dans la langue, mais dont les idées étaient peut-être très simples. Avec le temps, je pense que j’ai affiné mon don. Mais quand j’écoute des chansons comme La Mémoire et la mer de Ferré, ou Brassens, Béart, etc., je me rends compte qu’il y a encore un palier à atteindre. Qui sait, peut-être dans une ou deux chansons…

Salvatore Adamo, Si vous saviez, distr. Universal. En concert ce 31 octobre à Bozar, à Bruxelles. En 2019 : le 15 mars, au Forum de Liège ; le 28 mars, au PBA de Charleroi.

Bio express

1943 Naissance, le 1er novembre, à Comiso, en Sicile.

1947 Salvatore Adamo rejoint son père parti en Belgique pour travailler dans les mines. Il grandit à Jemappes.

1963 Premiers succès avec Sans toi, ma mie, Tombe la neige

2001 Le roi Albert II fait Salvatore Adamo chevalier.

2018 Sortie de Si vous saviez, son 25e album studio.

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